L’Échappée est un collectif de soutien, d’écoute, d’entraide et de solidarités pour les personnes victimes de violences sexuelles et sexistes. En activité depuis le premier avril, le collectif a déjà suivi plus de soixante situations de viol et d’agressions sexuelles, et accueilli plus de 150 personnes victimes, proches, militantes ou professionnelles intéressées par ces problématiques. Gabrielle et Camille nous expliquent leur travail au sein de l’asso depuis près d’un an et nous livrent une conception du viol qui, loin des envolées théoriques, nous permet de le cerner un peu mieux.
L’Échappée est la seule asso spécialisée sur la région qui accueille de manière anonyme et gratuite les femmes victimes de violences « sexuelles et sexistes ». Regrouper et nommer ainsi les violences n’est pas anodin. C’est adopter « une grille de lecture féministe des violences subies, les replacer dans le contexte de la société patriarcale ». On parle alors des stratégies que l’agresseur met en place pour dominer sa victime, lui faire porter la responsabilité de l’agression, la contraindre au silence. Entre autres... Les faits ainsi replacés permettent aux victimes de sortir de la culpabilisation, des sentiments de honte ou de folie qu’après son agresseur, la société continue de lui renvoyer. Non, elle ne l’a pas bien cherché. Non, elle ne pouvait pas faire autrement pour éviter que cela se produise. Non, ce n’est pas de sa faute, car les agresseurs ont des stratégies et elles fonctionnent. Un des premiers principes de L’Échappée : « écouter les victimes sans les juger et sans mettre en doute leur parole ».
C’est quoi le but de L’Échappée ?
Gabrielle : Notre objectif c’est que les dames qui viennent nous voir puissent reprendre du pouvoir sur leur vie et que les faits puissent s’inscrire dans le passé. On ne peut pas oublier un viol, mais ça peut devenir un mauvais souvenir. Pour ça on parle des violences subies, mais aussi de comment elles vont aujourd’hui, est-ce qu’elles ont du soutien, un suivi adapté à leur situation.
Camille : Un des aspects importants de notre travail est d’enlever tout sentiment de culpabilité ou de honte par rapport à ce qu’elles ont vécu, de valoriser leur ressources, parce qu’elles ont toutes des ressources.
Quel est le profil des femmes qui viennent vous voir ?
Gabrielle : Il n’y a vraiment aucun critère. Ce sont simplement des femmes. Ça peut arriver à tout moment de la vie : dans l’enfance, à l’âge adulte, ça arrive même à des grands mères. Les critères socio-économiques c’est pareil, toutes les idées reçues : c’est les familles en difficulté financière, alcooliques... C’est pas du tout le cas.
Je crois que beaucoup de personnes viennent vous voir, ça doit être un peu troublant comme succès...
Camille : Ça veut dire qu’on sert à quelque chose et que l’info circule. On savait que ça répondait à un besoin et que beaucoup de femmes sont concernées. C’est pour ça qu’on a montée L’Échappée. Il n’y a pas eu de mauvaise surprise.
Et au niveau des finances vous arrivez à vous en sortir ? Vous recevez des subventions ?
Camille : Pour l’instant on est bénévoles mais ça ne pourra pas toujours être comme ça. Ce boulot demande beaucoup d’engagement et de temps, on ne peut pas le combiner avec autre chose. Ça va vite se compliquer si on ne peut pas se salarier. Pour l’instant les subventions nous ont été refusées. C’est plus pratique de dire qu’il n’y a pas besoin de nous.
Le principe de la parole des femmes qui ne doit pas être mise en doute, est-ce que c’est quelque chose de fréquent parmi les professionnels ?
Camille : C’est plutôt le doute qui est fréquent !
Gabrielle : Certains ne relèvent pas, comme si la personne n’a rien dit. Il y en a aussi qui font culpabiliser, souvent c’est quand ça arrive plusieurs fois. Une fois ça va, mais après on pense qu’elles exagèrent, alors que ça se reproduit fréquemment. Chez les flics ou à la médecine légale, il y en a aussi des gratinés : « Quoi ! en plus vous vous êtes lavée ? », des réflexions vraiment dingues...
Et porter plainte, c’est quelque chose que vous recommandez ?
Gabrielle : Nous ne recommandons rien, on accompagne. Ce sont les dames qui choisissent. Nous, on recadre les faits par rapport à la loi. À chaque fois on dit : la loi dit ça, en terme de prescription vous avez tant de temps etc. On leur explique qu’elles ont le droit de porter plainte, mais c’est un droit, pas une obligation.
Camille : On voit si ça peut apporter quelque chose de porter plainte. Si elles refusent, il faut comprendre pourquoi. Des fois elles ont peur de représailles de l’agresseur, d’autres fois elles ont honte. Une fois débarrassées complètement de la culpabilité, de la peur et de la honte, ce sont elles qui décident.
Cela pourrait-il être une être source de traumatisme supplémentaire de voir que ce qu’on a vécu n’est pas reconnu ?
Gabrielle : La démarche d’aller porter plainte, c’est en quelque sorte remettre ça à la société. C’est déposer quelque chose que les dames ont subi, le remettre aux mains de la justice... C’est aussi en quelque sorte reprendre le dessus sur l’agresseur, lui signifier que c’est lui et uniquement lui le coupable. Dénoncer les faits en présence des policiers, face à lui, c’est lui renvoyer la responsabilité de son acte, briser l’emprise et lui renvoyer la honte de son crime.Ce qu’on peut faire au mieux pour les aider, c’est décrypter toutes les différentes étapes d’une procédure, leur expliquer pourquoi ils vont poser telle question même si c’est hyper violent, leur donner des clés pour qu’elles ne soient pas prises au dépourvu. On ne peut pas être là pendant l’audition... mais on est là à la sortie.
Camille : On leur dit aussi que ce n’est pas de leur responsabilité de porter plainte. Ce truc est parfois renvoyé aux victimes : elles doivent protéger d’autres meufs. Sauf que ça n’incombe pas aux victimes de protéger d’autres victimes.
Gabrielle : Certaines femmes se mettent ça en plus sur le dos : ce sera de ma faute s’il recommence... Si l’une décide de porter plainte, il faut que ce soit pour elle. Faire la démarche c’est parfois tellement énorme que, quelle que soit l’issue, ça leur permet d’avancer. Souvent ça, c’est quand ça se passe bien avec les policiers...
Comment on fait pour se reconstruire après un viol ?
Camille : Il n’y a pas de recette miracle, tu t’en doutes. Quand on arrive à déculpabiliser, on franchit une étape fondamentale.
Gabrielle : L’entourage est très important. Si les personnes à qui les dames se confient renvoient des choses comme « t’aurais dû faire ça », ou « moi j’aurais fait ça et ça serait pas arrivé ». Là elles se prennent une charge supplémentaire et elles culpabilisent encore plus. Un soutien bien positionné, tout de suite, ça joue beaucoup. Après il y a le parcours de vie mais ça c’est tellement aléatoire. Des dames qui auront eu des fragilités auparavant, ça va être plus lourd parce que ça se rajoute à une souffrance qui existe déjà. Dans tous les cas il faut les valoriser par rapport à ce qu’elles faisaient avant et qu’elles sont capables de faire, les encourager au maximum à prendre soin d’elles. Prendre soin de soi, c’est autant de sa santé que de faire des activités qui sont agréables, se redonner une importance, apprendre à réhabiter son corps...
La grille de lecture féministe, elle met quand même en colère, est-ce que ce n’est pas contradictoire avec le fait d’aller mieux ?
Gabrielle : Il y a des psys qui disent que déculpabiliser c’est dangereux. Mais la colère qu’on essaye de susciter ce n’est pas une colère destructrice. C’est au contraire de la colère qui mobilise, qui est vivifiante.
Les cinq priorités dans les stratégies de l’agresseur
1) Isoler la victime : socialement, au niveau familial, géographique, professionnel...
2) L’affaiblir : l’humilier, la traiter comme un objet, la dénigrer, la moquer, l’insulter.
3) Inverser la responsabilité, lui faire porter la culpabilité de l’agression.
4) Instaurer un climat de terreur, faire régner la peur.
5) Assurer son impunité, et pour cela recruter des alliés : être charmant, séduire l’entourage de la victime et les personnes à qui elle serait susceptible de parler... et verrouiller le secret.
Intervention du Collectif Féministe Contre le Viol dans le film Viol conjugal, viol à domicile de Carole Roussopoulos et Véronique Ducret.
Si vous pensez être ou avoir été victime de violences sexuelles ou sexistes, ne restez pas seule !
Vous pouvez appeler L’Échappée au 06.78.59.30.83 du lundi au vendredi de 9h à 18h (rappel gratuit) ou passer au 19 place Vanhoenacker le vendredi de 13h à 17h (sans rendez-vous). Mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.