Le prélèvement ADN et sa consignation à vie dans un fichier a été instauré en 1998 par la loi Guigou relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. Elle constituait une réponse à l’affaire « Guy Georges » et le fichage ADN ne concernait que les délinquants sexuels. Aujourd’hui, on peut vous prélever votre ADN pour un outrage à agent…
C’est la même loi qui a instauré la « castration chimique » : un traitement médical affaiblissant la libido. Malgré les nombreuses tentatives pour la rendre obligatoire – pour les délinquants sexuels uniquement – elle ne s’applique pour l’instant que sur la base du volontariat. Simplement, les détenus qui n’y participent pas ne peuvent prétendre à des remises de peine ou à la libération conditionnelle. À quand le libre choix entre électrodes et prison à vie pour les récalcitrants de l’ordre ?
Un argument bien pratique
La prévention des violences sexuelles est un prétexte en or pour ficher et surveiller toute la population. D’une part en s’attaquant aux conséquences d’un problème (les violeurs) et non à sa cause (la société patriarcale), on ne résout rien. D’autre part, on fait d’un combat féministe un combat pro-carcéral. Poser un problème dans le débat public par le biais des tribunaux est une stratégie qui a déjà porté ses fruits [1]. Autant qu’elle a été critiquée [2]. Parce que la justice d’État vise à maintenir l’ordre établi, elle peut canaliser la révolte et déposséder les premières concernées de leur revendication.
Michel [3] est militant anti-carcéral depuis de nombreuses années. D’abord dans des groupes de soutiens concrets pour les détenu-es (correspondances, visites, etc.) puis au sein de La Brèche, collectif qui luttait plus largement contre les prisons et l’enfermement. Son engagement anti-carcéral l’a rapidement amené à se questionner sur le viol. Il s’est aussi retrouvé à prendre parti dans des situations difficiles et parle avec l’expérience et l’humilité de ceux qui ont conscience de la gravité d’un viol. Pour autant, il est formel : « Lutter contre le viol , ce n’est pas mettre les gens en taule une fois que c’est fait, c’est faire en sorte que ça ne se reproduise pas. Plutôt que de questionner ce qui dans notre société permet le viol, on s’en sert comme d’un épouvantail. L’ultime argument pour justifier l’existence des prisons. Les délinquants sexuels cristallisent la haine, ils servent de défouloir. Après on élargit aux assassins tarés, aux terroristes, et puis au final on prend de la taule pour vol à l’étalage. » Pour lui l’argument est simple : « Aujourd’hui, pour la société et la justice, lutter contre le viol ça se résume à créer un arsenal législatif. Mais moi des lois j’en veux pas du tout ! Je peux comprendre qu’on lutte pour des lois qui protègent les femmes. Mais pour moi une lutte contre le viol, contre la domination de genre est inséparable d’une lutte contre un système qui a instauré la compétition, l’exploitation salariale et les innombrables dominations d’une catégorie sur une autre comme la règle à suivre. Alors je ne me bats pas pour ou contre une loi spécifique qui n’a pour seule vocation que de punir le mal déjà fait. »
L’absence d’autres perspectives
Cette position ne l’empêche pas de prendre au sérieux la question du viol comme « expression, la pire, de la domination masculine ». Et lui évite de tomber dans l’amalgame « viol = capitalisme » : « Faut pas être hypocrite. Le monde capitaliste facilite la domination d’un sexe sur l’autre, mais c’est pas avec la fin du capitalisme que disparaîtront le viol, ni les violences conjugales. Je pense que la volonté de pouvoir et de tout s’accaparer est antérieure au capitalisme. » Pour Michel, une alternative à la taule peut être l’« auto-organisation directe – sur des bases féministes ou affinitaires – contre un violeur ». Une belle idée, cependant difficile à « bien » appliquer [4] et loin d’être à la portée de toutes, en dehors de laquelle Michel n’a pas de solution à proposer : « On est tellement dépossédé de tout que c’est difficile de prétendre régler les problèmes auxquels répond la justice aujourd’hui ». Lutter contre le viol ne doit pas nous faire oublier qu’il y a un système à détruire et pas simplement des gens à enfermer. Mais dans la plupart des cas la justice et la taule sont aujourd’hui les seuls moyens concrets pour les victimes de se protéger et d’accéder à une reconnaissance [5] de l’agression qu’elles ont subie. Si ce constat est amer, la responsabilité n’en incombe pas à celles qui décident de porter plainte. La haine – on ne peut plus légitime – des flics, de la prison et de la justice peut contribuer à isoler les victimes de viol et les contraindre au silence.
[1] En témoigne le procès de Bobigny en 1972 : cinq femmes, défendues par Gisèle Halimi, furent jugées pour complicité ou pratique de l’avortement. Le procès est une « tribune publique », selon les termes et la volonté de l’avocate, de nombreux intellectuels viennent témoigner. Il fait de l’avortement un débat public.
[2] L’ouvrage Dans le tourbillon du féminisme et de la lutte des classes (1977-1998) retrace le parcours de la revue Les cahiers du féminisme. Il évoque les critiques du recours à la « justice bourgeoise ». Une ambiguïté notamment soulevée dans l’article « Viol : une loi pour assurer leur ordre » dans la même revue en 1980, en réponse à Gisèle Halimi qui avait déclaré lors du procès de trois violeurs que « la prison [peut] avoir, en cas de viol, une fonction dissuasive, sinon thérapeutique ».
[3] Le prénom a été modifié.
[4] Sur l’auto-organisation en milieu militant, on peut lire l’article d’Hélène Duriez « Des féministes chez les libertaires, remue-ménage dans le foyer anarchiste » dans l’ouvrage Le sexe du militantisme sous la direction d’Olivier Fillieule et Patricia Roux.
[5] Primordiale pour se reconstruire, voir l’article « L’Échappée. Se reconstruire après un viol ».