« Jamais je n’ai vu autant de policiers qu’actuellement en France, surtout à Paris. Même pas en Turquie à l’époque de la dictature militaire. On pourrait croire qu’un coup d’État est en train d’avoir lieu, ou qu’on se trouve dans un pays occupé. En Italie ou en Allemagne, rien de comparable en ce moment. Et quels policiers : un air de brutalité et d’arrogance qui défie toute comparaison. » (Anselm Jappe [1], « La violence, mais pour quoi faire ? », Lignes, mai 2009)
Beaucoup de personnes restent convaincues qu’une forte présence policière est bénéfique. En tête, certains élu-es comme Aubry, Vicot, Quiquet et Cie qui s’époumonent à justifier cette conviction, preuve de leur incompétence notoire ou d’une politique sécuritaire assumée [2]. Il n’est pas question ici de l’utilité ou non de « forces de l’ordre » ou d’un pseudo-gardiennage de la paix sociale dans une société en faillite. Il est d’abord question de la « densité » policière au kilomètre carré. De ces individus bleus et armés qui jonchent notre quotidien. De ces « uniformés » formatés, formés au combat avec la capacité d’écraser un œsophage en quelques secondes. Comment croire que cette densité puisse être bénéfique ? Comment imaginer qu’une telle concentration de dangerosité puisse apaiser une société ?
Les rapports d’observation sont particulièrement préoccupants, car ils témoignent clairement d’un accroissement récent du taux de dangerosité policière en France. En 2008, la Commission Nationale de Déontologie et de la Sécurité (CNDS) [3] a été saisie 152 fois, contre 19 fois en 2001, 40 en 2002 et 144 en 2007. Sur les 147 saisines traitées effectivement, 125 concernent les polices municipales, nationales (106) et la gendarmerie. Ces chiffres sont donc en constante augmentation, même si selon le rapport 2009 d’Amnesty International [4] « de nombreuses personnes ne voient pas l’intérêt de faire des réclamations auprès de [la CNDS], étant donné que cette dernière ne peut mettre en œuvre aucune forme de sanction. » On assiste de la même manière à une augmentation du nombre de gardes à vue, en hausse de 71 % depuis 2001, selon un rapport de l’Observatoire national de la délinquance [5].
Par ailleurs, dans son rapport 2008, la CNDS constate que les « interpellations et les transports (vers le commissariat, d’un commissariat à l’autre, vers l’hôpital, etc.) sont des moments où des manquements à la déontologie ont été particulièrement constatés ». Ce qui semble souvent confirmé, entre autres, par « des contradictions évidentes entre les différentes versions des faits données par les agents. » De son côté Amnesty retient « l’accentuation manifeste d’un phénomène inquiétant : les personnes qui protestent ou tentent d’intervenir lorsqu’elles sont témoins de mauvais traitements infligés par des responsables de l’application des lois sont elles-mêmes accusées d’outrage […] ou de rébellion […]. » Mêmes constatations pour le Syndicat de la Magistrature et de nombreux autres observateurs.
Dans ces conditions, la dangerosité policière bénéficie d’une impunité quasi totale. Et ce n’est pas près de s’arrêter… Récemment, sur quelques parterres lillois, on pouvait lire : « La police hors des quartiers ! » Alors, utopie ou nécessité ?
Litanie mortuaire
Voici une bien triste liste. Une énumération de morts survenues en 2009, en présence policière. A qui ou à quoi attribuer la responsabilité de ces morts ? Ce n’est pas à nous de le dire… les versions policières étant à chaque fois contestées.
Mercredi 8 avril, un homme de 22 ans meurt lors de sa garde à vue au commissariat de Rouen (Seine-Maritime).
Jeudi 21 mai, un homme de 19 ans en moto meurt en tentant d’échapper à un contrôle de police municipale à Amiens (Somme).
Mardi 9 juin, un homme de 62 ans meurt à la suite d’un contrôle policier à Argenteuil (Val-d’Oise).
Dimanche 14 juin, un homme de 38 ans meurt à la suite d’une garde à vue à Delle (Territoire de Belfort).
Mercredi 8 juillet, un homme de 21 ans meurt à la suite d’une garde à vue au commissariat de Firminy (Loire).
Vendredi 10 juillet, un homme de 18 ans en mini-moto meurt à un barrage de gendarmerie à Louviers (Eure).
Dimanche 9 août, un homme de 18 ans en moto meurt en tentant d’échapper à un contrôle de police à Bagnolet (Seine-Saint-Denis).
Samedi 26 septembre, un homme de 31 ans meurt à la suite d’un transport en fourgon de police à Lille (Nord).
Dimanche 25 octobre, un homme de 21 ans en moto meurt en tentant d’échapper à un contrôle routier à Fréjus (Var).
Dimanche 1er novembre, un homme de 22 ans en voiture meurt en tentant d’échapper à un contrôle de gendarmerie à Gray (Haute-Saône).
Vendredi 13 novembre, un homme de 41 ans meurt dans un fourgon de police à Valentigney (Doubs).
[1] Professeur de philosophie en Italie, il est un ancien membre du groupe Krisis.
[2] Cf. « Vicot : une baigne dans un gant de velours », La Brique n° 18, ou encore « Aubry, ses flics, ses chiens », n° 17.
[3] La CNDS « est une autorité administrative indépendante créée en 2000 et chargée de veiller au respect de la déontologie des personnes exerçant, sur le territoire de la République, des activités de sécurité. » Elle peut être saisie pour émettre un avis, lorsque « des manquements imputables à des services de sécurité » ont été observés. Mais la CNDS va être dissoute, et ses attributions transférées à un « Défenseur des droits » : une personne unique nommée par le pouvoir exécutif. Ainsi le principe d’« indépendance » disparaît… (http://www.cnds.fr/).
[4] « France. Des policiers au-dessus des lois » (http://www.amnesty.fr).
[5] « Bulletin pour l’année 2008 de l’Observatoire national de la délinquance » (http://www.inhes.interieur.gouv.fr). L’OND a été créé en 2003 par le ministère de l’intérieur. Il est présidé par le criminologue et franc-maçon Alain Bauer, grand ami et conseiller de M. Sarkozy. Après la parution d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rappelant entre autres qu’« un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit » (Affaire Dayanan c. Turquie, 13/10/09), les gardes à vue françaises – qui ne remplissent pas ses conditions – semblent être purement et simplement illégales.