En Avril 2001, après une semaine d’agitation anticarcérale dans les squatts lillois, et pour relayer localement l’action déjà engagée sur un plan national et international par le groupe ABC (Dijon/Lille) et le journal/émission anticarcéral L’Envolée (Paris), quelques personnes se sont donné comme objectif de lutter à long terme contre les prisons et le monde qu’elles nourrissent. Elles souhaitent notamment permettre aux prisonnier-e-s et à leurs proches, de pouvoir être entendu-es par-delà les miradors ou les parloirs et relayer leurs luttes et leurs revendications chaque fois que possible. Bref, de pouvoir créer une brèche à travers les murs pénitentiers, car " La prison reste un mur ".
La Brèche catalyse bien plus d’énergies et d’antagonismes que les seul-es animateur-trices de la radio. De leur point de vue, « la lutte contre les prisons n’a de sens que si elle s’inscrit dans une lutte plus globale contre la société actuelle et reste donc un angle d’attaque. La position abolitionniste ne saurait être une fin en soi. Elle permet au contraire de poser les fondements d’un débat critique indispensable à la transformation de ce monde. » (La Ligne 12b).
Plus concrètement, (ils y tiennent), ils ont édité le journal La Ligne12b jusque septembre 2005. Chaque premier vendredi du mois, il est possible d’entendre leur discours anticarcéral sur Radio Campus (106,6 FM) : " La Brèche, l’émission contre toutes les prisons ". Les témoignages, les dédicaces ou les messages des proches et des familles de prisonniers et prisonnières ont une place importante. C’est un aspect concret de leur volonté de redonner la parole aux enfermé-e-s, comme de leurs activités (ne leur parlez pas de militantisme). En outre, recueillir des témoignages est le fruit d’un travail de longue haleine rendu fragile par les parcours des personnes qui peuvent être tranférées, remises en liberté ou découragées.
Il nous est apparu intéressant de retranscrire une de leurs interventions radiophoniques qui permet de percevoir leur différence par rapport à l’idéologie réductionniste :
" Cette campagne qui dénonce la surpopulation carcérale se déroule dans toute la France. On va certainement nous reprocher de nous complaire dans la critique, ce qui est faux, de ne jamais être content, ce qui est plutôt et souvent vrai, mais ce n’est pourtant pas de la mauvaise fois qui nous anime, à la différence de ceux ou celles qui nous font ce reproche. Nous serions même tentés d’apporter notre soutien à de telles opérations. Mais, c’est avant tout la faute à notre époque, le problème qui nous titille dans cette campagne, c’est – encore une fois - son côté citoyen, son p’tit côté fayot, son engagement qui ne risque rien, sa "’ bonne conscience bourgeoise " pour employer une grossière expression surannée qui ne vaut pas bien cher, c’est d’ailleurs le propre de toutes ces luttes et ces mobilisations contemporaines qui ont en commun de n’être que dans le partiel et de s’afficher comme tel. Je cite un extrait du site ’" Trop c’est trop " : Une campagne est au travail habituel des associations ce qu’un article de presse est à un ouvrage de fond : une partie d’un tout ". Parce que la question de la prison est une question trop large, la campagne ’" Trop c’est trop " prétend ne s’attaquer qu’à un aspect de la question, en l’occurrence le plus spectaculaire, ce qui est une façon de penser qu’on pourrait le qualifier de journalistique. [...]
Ce refus de s’attaquer à la globalité du problème peut, dans un certain sens, se comprendre, mais le problème ici est qu’on reste dans le champ réformiste. La prison n’est pas en soi un problème, ce sont ses dysfonctionnements qui soulèvent l’indignation des bien-pensants. La campagne prétend être partie d’un tout, alors même que ce tout reste on ne peut plus flou, un tout indéfini mais qui finit par n’être rien. Car s’indigner devant les désagréments que provoquent la prison est une indignation sans fin, la prison est un système d’oppression. La surpopulation carcérale n’est pas tant un problème qu’un symptôme car le fait d’enfermer est en soi aberrant et montre bien de quelle manière la punition que la sacro-sainte justice inflige ne se distingue pas dans la réalité de la vengeance. "Trop c’est trop ", un slogan un peu gentil qui pourrait néanmoins convenir à La Brèche s’il signifiait un réel ras-le-bol. Or le “ trop c’est trop " de cette campagne humaniste respire l’acceptation défaitiste de ce monde, voire complaisante. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette campagne prend des allures de fête. Nous polémiquons sur quelque chose qui n’a rien de trivial et nous ne remettons pas en cause la bonne foi de ces gens, mais ce genre d’initiatives ne relève jamais directement de revendications des prisonniers eux-mêmes, il s’agit toujours de personnes qui prétendent parler au nom de prisonniers ou pour leur bien. Il y a toujours quelque chose d’indécent à ne tenir compte que de l’aspect quantitatif du problème qui tend à dépersonnaliser le prisonnier. (...) En définitive, il y a dans ces actions la volonté de normaliser la prison afin qu’elle ne soit plus une honte pour la République, car ceux-ci protestent d’abord pour la défense et l’honneur de l’Etat démocratique et républicain, les prisonniers se réduisent à des prétextes, c’est ce qui nous différencie de vous. On ne veut plus de prison ! " [1]
[1] La Brèche, émission du 6/04/2007.