Les 6 et 7 mai derniers à la Gare Saint-Sauveur, se tenait le « Colloque Europe XXL ». L’occasion pour Aubry et tous les europhiles, de faire un peu de communication politique en profitant du paravent culturel offert par Lille 3000. Mais quand la cour se déplace sans ses troubadours, les masques tombent.
Un auditoire docile, un défilé de courbettes réciproques entrecoupées de quelques moments de propagande exaltée, voilà le tableau. A pile un mois des élections et dans un esprit d’absolu consensus, l’arrière-ban des bureaucrates européen-nes était venu parader au cinéma Saint-Sauveur. La prouesse, une fois de plus, fut de réussir à nous parler de l’Europe sans nous parler de l’Europe… Et de ne traiter du sujet que d’une manière très superficielle, réduisant l’Europe à celle de la classe moyenne branchouille : l’Euro, Erasmus et la pseudo-liberté de circulation des individus [1].
Le bal des caricatures
En guise d’ouverture, Aubry dresse un panégyrique de Lille 3000 à sa propre gloire. On y croirait presque si elle ne s’amusait pas à présenter Lille3000 comme un projet « pensé et réfléchi avec la population », annonçant sans ironie que pour la réhabilitation de la gare Saint-Sauveur « personne n’a été repoussé en banlieue ». C’est sans parler d’Euralille 2 et de la restructuration urbaine qui attendent le quartier de Lille-Moulins dans la droite ligne de l’ouverture de Saint-Sauveur.
Plus loin, au cœur de son ode à la culture, la dame glisse un clin d’œil grossier à la clique des entrepreneur-ses : « Sur un panel assez large de villes européennes, nous sommes la première métropole pour l’attractivité des entreprises. Je salue au passage M. Bonduelle, président de la Chambre de Commerce et de l’Industrie » etc. Les étudiant-es en management international de l’ISEG, chargé-es de rédiger « les actes du colloque » ne paraissent pas étonné-es. L’Europe, cela reste avant tout la concurrence libre et non faussée, et à ce jeu-là, Lille est en train de se démarquer.
A la suite d’Aubry, Jacques Delors « un des pères de l’Europe » (d’après sa fille), vient se faire l’avocat d’un « équilibre voulu par les peuples entre l’économique et le social ». La chose est cocasse si l’on se rappelle que le bonhomme est l’un des principaux instigateurs de l’étroite complicité entre la commission européenne (dont il a été le président), et les lobbies du patronat européen [2] Mais chut, la gauche n’est plus à une contradiction près.
Sortir les pays de l’Est de « la nuit du totalitarisme »
Le premier « débat » porte sur « la réunification de l’Europe ». Au micro, on trouve l’ambassadeur de la République Tchèque en France, une anthropologue formée à l’école d’Alain Touraine (ce sociologue passé du marxisme à la gauche rocardienne), et un ancien ministre des Finances italien, ex-membre de la BCE et président de l’association Notre Europe. Les contradicteur-rices attendent toujours leurs accréditations.
Le « débat », consistera pour le reste en une succession de prises de paroles démago opposant les partisans de l’amour universel et de l’Europe élargie à l’ensemble du système solaire, aux méchant-es réactionnaires-nationalistes (dont aucune des personnes présentes ne se réclamait, bien évidemment). Pour faire illusion, on parle en long et en large des droits de l’Homme, des intellectuel-les mort-es pour leur défense et on se plaît même à citer BHL.
Les nouveaux chiens de garde
Parmi les personnalités venues défendre l’Europe tartuffe, on trouve Bernard Guetta. Le chroniqueur de France Inter et éditorialiste de Libé était modérateur de la rencontre de clôture intitulée « L’Europe dans 20 ans ». Pour lui, malgré le taux d’abstention que l’on annonce mirobolant pour les prochaines élections, pas de doutes, l’Europe se doit d’être glamour ! « L’Union Européenne n’a pas besoin de faire la guerre pour étendre son influence économique dans le monde » nous apprend ce chantre du capitalisme triomphant. « Elle offre une paix intérieure, une dynamique de développement économique et une harmonie sociale aux pays qui veulent la rejoindre ! ». Vive la guerre sociale globalisée, qui assure la prospérité aux meilleur-es d’entre nous !
A propos de la candidature turque, Guetta donne dans l’autocritique : « Nous pleurons, nous sanglotons matin midi et soir, et à juste titre, du recul de la francophonie dans le monde. Et un pays qui nous ouvre ses mains, à notre culture, à nos entreprises, nous leur répondons [comme Sarkozy au salon de l’agriculture] ! » [3]. La raison ? « C’est que nous avons peur de nous-mêmes ». Et pourtant la Turquie, rappelle t-il, « c’est 10% de croissance par an et une armée solide ». Fallait le dire plus tôt !
Un consensus « gouverné par la raison » (M. Aubry)
Pour clôturer le tout, Aubry remonte sur scène. « Aujourd’hui » déclare t-elle, « une majorité portant des valeurs fortes n’arrive pas à s’opposer à des trublions qui veulent faire parler d’eux ». Si la majorité dont elle parle est celle de mai 2005, alors les trublions en question cela doit être la gôche européenne, aux premières loges lorsqu’il s’agit de faire passer en force le traité simplifié de Lisbonne ou de privatiser les services publics européens.
Mais à un mois des élections, Madame la maire sait qu’il faut la jouer serrée. Dénonçant le « libéralisme sauvage […] qui nous mène au mur », elle accable « ceux qui veulent lui mettre de la rustine ». Révolutionnaire, le PS ? A entendre Aubry citer Léon Blum pour conclure, on se le demanderait presque. Mais lorsqu’on entend la maire de Lille parler de « l’imprudence héroïque qui fait avancer », il y a comme qui dirait une ambiguïté sémantique. Tout comme l’on a raison de se méfier de ces « grandes rencontres » qui font avancer.
[1] Voir à ce sujet les très parlantes interviews réalisées spécialement pour l’événement sur http://www.lille3000.eu/europexxl/europecestquoi/.
[2] Voir à ce sujet l’article sur Delors dans le numéro (4)0 de Fakir-édition nationale, le canard de François Ruffin daté de mai 2009 et consacré dans son intégralité à l’Europe libérale. Voir aussi Europe Inc., Comment les multinationales construisent l’Europe & l’économie mondiale, publié chez Agone par l’ Observatoire de l’Europe industrielle..
[3] B. Guetta n’a pas voulu dire de gros mots, ce faisant il n’a que maladroitement fait allusion au fameux « Casse-toi, pauvre con ! ».