L’abolition du salariat, c’était bon pour l’économie sociale du XIXe siècle. Place au marketing pur jus. À l’Infocom de Roubaix, lors d’un débat sur la promotion de l’économie-sociale-et-solidaire (ESS), plusieurs agences de com’ et organisations de ce secteur sont venues présenter les résultats prometteurs de leur campagne de pub. Vive la com’, la vraie celle qui ramène clients et capitaux.
"Entre pub et com’ : comment l’économie sociale et solidaire fait sa promo ? ». Pour ce débat des rencontres de l’ESS [1], on s’attendait à du lourd. ça n’a pas loupé. Voici trois exemples merveilleux de cette discussion entre publicitaires.
Le responsable du service qualité de l’ADAR (aide à domicile de personnes âgées notamment) vante les mérites de son association : 5000 client-es et 800 000 heures de prestation annuelles. Il met en avant leur meilleure « visibilité » depuis le déménagement de plusieurs agences dans le but d’avoir des « vitrines en vue ». Il entend « communiquer pour de vrai » en insistant sur leur professionnalisme, en s’appuyant sur des techniques marketing... ou en réalisant une thérapie collective afin d’accepter des « mots tabous qui faisaient peur » : « le mot client faisait fuir la moitié de nos administrateurs », nous confie-t-il.
Bernard Fautrez, de l’agence de pub Résonances, renchérit : « Parler de clients, c’est la seule association d’aide à domicile qui ose, les autres parlent de bénéficiaires, d’usagers », tout en concédant que « ça crée un rapport marchand ». En effet, compliqué d’attirer des « clients », pour leur expliquer ensuite qu’ils sont « adhérents »... L’origine militante de cette structure, le discours social-et-solidaire ? À l’arrière com’, supprimant ainsi toute entrave à la logique de marchandisation de rapports sociaux (l’entraide entre générations), qui reposaient auparavant sur... la solidarité !
L’investissement militant boursier
Puis c’est la plongée dans le publicitaire marchand, racoleur. Salariée de l’agence Sous tous les angles, Sylvie Loutre a mené la récente campagne de la société de « capital-risque solidaire », Autonomie et solidarité. Son credo : « Passer d’une communication militante à une communication pédago » et « [la] raccrocher à la vague porteuse de l’ESS ». Auparavant, « le vocabulaire identitaire était très présent, c’était fraternel, un peu boy-scout... L’identité militante c’est la moëlle, il ne fallait pas l’abandonner, mais ça rimait trop avec l’entre-soi ». Elle poursuit avec le « diagnostic sémantique », « la communication multi-canal », « les publics cibles », etc. Pour au final sortir une propagande calquée sur le lexique boursier : des slogans chocs comme « sales capitalistes solidaires », « passez à l’action », « investissez dans des valeurs... boursières humanistes ». De la provoc’, de l’info pratique, point barre. Résultat des courses : un million et demi d’euros récoltés en dix mois. Voilà une association qui a parfaitement réussi son intégration au sein de l’économie capitaliste.
Finansol : l’appel aux banques
Pour finir en beauté, le directeur du réseau Finansol, Guillaume Legaut, présente la raison d’être de la finance solidaire : « faire fructifier son argent tout en finançant des activités qui ont une forte utilité sociale ». Il défend une com’ « plus citoyenne que militante ». Mais il prévient : « Il ne faut pas avoir peur de ce mot là ». Ouf, on tremblait déjà... Leur campagne publicitaire (financée par Métro et France info) présente des flyers, des bracelets en tissu, des affiches, où est inscrit en grosses lettres : « Épargne solidaire : parlez-en à votre banquier, il a peut-être connaissance du monde qui l’entoure », ou encore : « Mon argent fait le bonheur : www.parlezenavotrebanquier.com ».
En clair, Finansol labellise des produits financiers « solidaires », et incite les client-es de toutes les banques à faire pression pour qu’elles investissent dans ce secteur. Du pur lobbying naîf.
BNP, Natixis, Carrefour : financeurs solidaires !
Hors débat, nous accostons M. Legaut [2]. sur le fait que Finansol présente Natixis comme l’un de ses partenaires : pourquoi pas la BNP, Carrefour ou d’autres entreprises comme Total, qui finance les dictatures de par le monde ? Et bien justement, selon lui, pourquoi pas : « Je ne regarde pas si l’argent est vert, bleu, jaune ou rouge, peu importe la couleur, s’ils veulent bosser avec nous. (...) Je ne fais pas dans l’idéologie... ». Pour Total ou Carrefour : « Si à l’intérieur de ces entreprises, des gens croient en la finance solidaire, il n’y a pas de raison de ne pas travailler avec eux... Tu peux trouver des gens à la BNP qui croient plus aux valeurs de la finance solidaire que dans les Cigales ou à Nord Actif, par exemple... ».
Contactée par téléphone, Sandra Monteiro, salariée aux Cigales [3] de la région, nous dira au contraire qu’ils ont décidé de ne plus demander le label de Finansol, estimant qu’il y a là « un mélange des genres »... En effet M. Legaut nous avouera qu’un partenariat avec la BNP est en cours. Et parmi les Sicav et les fonds de placement déjà labellisés par Finansol, on trouve Carrefour et le Crédit Lyonnais...
La boucle est bouclée. Des organisations de l’ESS s’intègrent au marché capitaliste, et des multinationales qui sèment la misère et l’exploitation s’intègrent à l’économie-sociale-et-solidaire.
La caution Télé lille
Télé Lille, ce projet de télé locale « porté par les valeurs de l’économie solidaire », a échoué au CSA face à l’alliance Télémélody -Voix du Nord - Partouche et son projet Télé Grand Lille [4]. Un débat aux « Rencontres de l’ESS » leur a été consacré. Quel étonnement d’apprendre qu’à présent l’équipe désire « intégrer [ses] idées citoyennes sur les télés qui vont exister ». Elle est en effet ouverte pour proposer des programmes sur Télé Grand Lille, qui s’annonce comme le TF1 du nord. Une personne du public leur reproche de servir de « caution solidaire » à une télé qui ne visera que la rentabilité et la recherche d’annonceurs friqués. Régis Servan, responsable de la com’ de Télé Lille, répond que « oui, bien sûr... Mais un programme c’est quand on le regarde... Sur canal +, il y a parfois de super émissions. (...) Pour casser ce monopole [de La Voix, etc], c’est par les programmes qu’on peut mettre à l’intérieur ». Une deuxième question souligne l’absence de la volonté de relayer les mouvements sociaux de la région dans leur ligne éditoriale. Régis Verley, le « PDG de Télé Lille », avance qu’ils n’avaient pas vocation à « être exhaustifs », mais qu’une soirée de débat avec des syndicalistes enseignants aurait très bien pu être envisagée... Qu’en sera-t-il avec les actionnaires de La Voix du Nord et du Losc ?
Plan social « mutualiste »
Salarié de l’Union régionale de la mutualité française, Jean-Pierre Dinaut était présent au dernier débat des rencontres de l’ESS, s’interrogeant sur la portée des valeurs mutualistes comme alternative au capitalisme... Il parla sans gêne du plan social en cours à la MGEN [5]. effectué « dans le respect de [leur] valeurs », soutenant que « vraiment très peu de personnes [étaient] restées de côté ». Ils ont « pris le temps de la réflexion ». On comprend mieux lorsqu’on apprend que la MGEN « compte accompagner la réforme du système de santé dans les années à venir » [6] . En effet, avec les dé-remboursements en cours, il va falloir dégraisser...
[1] Troisième journée des rencontres de l’économie-sociale-et-solidaire de la métropole, le 27/11.
[2] Précisons que c’était un dialogue informel
[3] Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire. Les Cigales font des prêts à « des projets à vocation sociale et environnementale ». On n’y vient pas pour faire « fructifier son argent », puisque la rémunération du capital, quand il y en a une, ne vient « qu’après la réussite sociale et économique du projet ».
[4] Voir La Brique n°10, nov-déc 08
[5] Mutuelle générale de l’Education nationale qui assure la sécu et la mutuelle de salariés du secteur public
[6] Citation tirée de la présentation de la MGEN dans l’annuaire d’entreprises de l’ESS publié par la CRESS.