Jean-Michel Bretonnier s’est sans doute trompé de vocation. Ce qu’il aurait voulu être ? Entrepreneur ou DRH. Qu’importe, le journalisme lui aura permis de devenir manager en chef de La Voix. Et, discrètement, de passer du col mao au col blanc sarkozyste.
Les éditoriaux de M. Bretonnier (cf. ci-dessous) sont parfois maladroits, souvent grossiers, mais jamais équivoques : ils portent clairement « la voix » ultralibérale et patronale. Pourtant, il y a une trentaine d’années, ce chef de presse militait pour la destruction du capitalisme et de la classe bourgeoise.
École supérieure de maoïsme
Il intègre l’École de journalisme de Lille en 1973. À 20 ans. Le « gauchisme » est en pleine ébullition. Quelques « fortes têtes » figurent dans sa promo, la 50e, comme Jean-Luc Porquet du Clampin Libéré. Mais un personnage s’illustre davantage : Bernard Béguin, militant au PCMLF [1]. Un groupuscule « prochinois ». Cet activiste parvient à canaliser certains esprits critiques autour de la mouvance « mao ». Ainsi de Jean-Michel Bretonnier.
Les deux forment vite un duo inséparable. L’un toujours pour se mettre en avant et l’autre plus en retrait. Mais tous deux sur la même ligne idéologique : destruction de l’État bourgeois, combat antifasciste, union des prolétaires, etc. « Notre manière de faire l’amour perpétue notre comportement bourgeois ! » haranguent-ils un jour devant un parterre d’étudiants [2]. Placardage de dazibao [3], distribution de tracts, création d’une commission des stages, critique de la cherté des études… Des « purs et durs », des « crétins » diront certains, des gars « intègres » et « ouverts d’esprits » pour d’autres. La rigueur propre aux « maos » ne leur est pas étrangère, et on les entendra jusqu’à évoquer l’entrisme : pourquoi ne pas devenir officier de l’armée pour faire pourrir le fruit de l’intérieur…
Entrisme à La Voix du Nord
M. Bretonnier entre à La Voix en 1978. Entrisme ? Non, même si durant la décennie suivante ses convictions ne feront douter personne : il est encore un homme ancré à gauche. Mais aussi « très ambitieux », « discipliné », toujours « en retrait », un peu « froid » et « rigide ». Une posture de « mao ».
Dans les années 1980 le chef de la locale de Tourcoing, Jean-Marie Delobelle, lui offre le poste d’adjoint. Un conflit naît alors entre les jeunes journalistes, appuyés par la direction, et leur chef, contesté pour ses méthodes « à l’ancienne ». L’adjoint, lui, doit faire un choix… décisif pour sa carrière. Soutenir cet homme dont il a gagné la confiance ou s’opposer en gage de sa loyauté envers la direction. Intégrité ou ambition. Le second sera fait, et M. Delobelle n’aura même pas le temps de lui souffler un « toi aussi mon fils ». Une faute professionnelle est inventée [4] pour le muter. M. Bretonnier, quant à lui, se voit promu au rang de « délégué de la direction », chef des éditions de la métropole. Nous sommes en 1990.
Il devient un chef « qui obéit à la direction, aux patrons ». Les anciens de la locale de Lille, les « barons », le voient d’un mauvais œil. Selon certains, il y sera « interdit de séjour » jusqu’à la fin de la décennie… Peu importe, la direction est convaincue de sa fidélité. Et lui réserve un bel avenir.
Sous-fifre en chef
Dans les années 1990, le PDG Jean-Louis Prévost et le directeur André Soleau [5] œuvrent à la refonte commerciale du quotidien. Pour ce faire, ils créent en 1997 les directeurs opérationnels de zone (DOZ). Quatre « magiciens DOZ », dont M. Bretonnier, supervisent la « transversalité » des fonctions journalistique et publicitaire des éditions réparties en zone. Nul doute, cette structure constitue une véritable « machine à fabriquer du chef » aux ordres de la direction. M. Bretonnier est placé à leur tête… et dès 2000, M. Soleau le voit à la place du rédacteur en chef Philippe Caron. Il faudra attendre 2003.
« Bretonnier, il l’a dit quand il est devenu rédacteur en chef, qu’il ferait tout pour sauvegarder la rédaction, mais qu’il était d’abord un salarié comme les autres et qu’il respecterait les volontés des patrons. » En effet, l’obéissance du soldat reste inchangée lorsque Jacques Hardouin remplace M. Soleau en 2004. À tel point qu’il fera table rase des années « Soleau » : en désavouant l’ancienne rédaction devant la Commission « Outreau » [6], ou en récupérant symboliquement le titre de directeur de la rédaction détenu à l’époque par… M. Soleau.
Plus qu’un chef docile, il devient le bras armé d’une direction soucieuse d’augmenter ses recettes publicitaires [7]. Quant à sa plume, elle trempe dans l’encrier des réformes libérales. Lors d’une rencontre avec des lycéens, un adolescent candide a interrogé le rédacteur en chef sur son passé « mao ». Il l’a fusillé du regard et a refusé de répondre. Comme avec La Brique. Il est loin, le temps des cerises… ces fruits pourris par les années et l’ambition.
Les dazibao de M. Bretonnier (extraits)
Sarkozy ?
« Il joue le soutien du pays réel contre la mobilisation des centrales syndicales. » [8]
« Les électeurs que nous sommes ont mis en lice au second tour un homme et une femme qui vivent, aiment et souffrent, comme eux. » [9]
La réforme de l’éducation ?
Prescriptions : « Ne pas augmenter les effectifs des enseignants, mais leur salaire et ceux des chefs d’établissement substantiellement. Demander aux parents d’élèves de s’occuper de leurs affaires, c’est-à-dire de leurs enfants à la maison, plutôt que des programmes à l’école. Encourager les lycéens à travailler d’abord et à exprimer un avis ensuite, plutôt que l’inverse. » [10]
La Guadeloupe ?
« En Guadeloupe, quand on n’est pas fonctionnaire, on est chômeur. »
« Les revendications sociales des Guadeloupéens et des Martiniquais sont pourtant légitimes. Le président de la République l’a compris - tardivement - en annonçant des mesures nécessaires. Des leaders de gauche et d’extrême gauche se sont rendus sur place pour soutenir le mouvement. Mais les aspirations politiques de certains meneurs, elles, sont dangereuses pour ces populations, et pour la démocratie. »
« D’autant que les signes avant-coureurs de cette montée vers les périls fourmillent. On les trouve dans la diabolisation du capitalisme. Dans la dénonciation, où se rejoignent extrême droite et extrême gauche, d’une mondialisation qui a pourtant sorti de la misère des centaines de millions d’Indiens et de Chinois. » [11]
[1] Parti communiste marxiste léniniste de France, interdit en 1968.
[2] Citations extraites d’une quinzaine d’entretiens.
[3] Journaux muraux en Chine populaire.
[4] Un « baisage » : il n’avait pas voulu relayer une « publi-info » de La Redoute que Nord Éclair, le concurrent, avait publiée.
[5] DG adjoint puis DG en 1998, il cumule la direction de la publication et de la rédaction.
[6] Oui, il y a eu des erreurs dans le traitement médiatique du procès mais ça ne se reproduira plus grâce à lui.
[7] Selon nos informations, la parution du « 7e jour », effective à la fin 2008, a été évoquée comme un moyen de développer les parts de marché publicitaires, et non exclusivement, comme l’affirme M. Bretonnier, pour répondre aux attentes du lectorat.
[8] « La chronique de Jean-Michel Bretonnier », 19/09/07.
[9] 30/12/07.
[10] 21/12/08.
[11] 22/02/09.