Le 28 février dernier, 180 cheminotEs se sont rassembléEs devant le siège SNCF Nord au milieu des grands buildings d’Euralille. Sur leurs chasubles rouges on pouvait lire : LILLE, LENS, LOMME, SOMAIN, DUNKERQUE, mais aussi MARSEILLE. Leurs revendications ? Les mêmes que depuis des années (1) ! Iels continuent de dénoncer la privatisation de la SNCF et de sa branche Fret (2), encore accentuée par la loi de 2020 portée par la Ministre du transport de l’époque, une certaine Elizabeth Borne (oui, encore elle !). Certain.es des personnes mobilisées ce jour-là, ont pris la parole pour expliquer les conséquences désastreuses de cette politique libérale.
Déjà on bousille le statut des cheminot.es, parce que c’est tendance de s’attaquer aux régimes spéciaux ! À la place, on leur impose une convention collective (3) « de bas niveau » selon les CGTistes. On ajoute à ça une restructuration incessante qui dure depuis 3 ans, avec des changements de poste à tout-va et sans autre formation que celle des collègues donnée sur le tas : « Un intérimaire avec 6 mois de contrat se retrouve à former un nouvel embauché sur son temps de travail », explique un syndiqué. On sent tout de suite la transmission de qualité !
Si on ne forme pas les gentes correctement, c’est sans doute à cause du sous effectif chronique, comme le souligne un syndiqué : « 1 cheminotE qui fait le boulot de 4 personnes », et qui doit en plus se taper le taf de formateurices, c’est raide ! « La politique de l’entreprise FRET SCNF se résume trop souvent à la réduction des effectifs à n’importe quel prix, au détriment de la sécurité, des conditions de travail et de la production. » En effet, les choix de la direction ne sont pas arbitraires mais témoignent d’une véritable volonté d’affaiblir le Fret et les professionnels dont il dépend. La situation est invivable, et ça se ressent tant les arrêts maladies et les accidents du travail se multiplient.
Passage à niveau européen
La goutte qui fait déborder le vase : depuis le 16 janvier, l’État français fait l’objet d’une enquête de la Commission Européenne pour « aide illicite et distorsion aux règles de concurrence ». En cause, 5,3 milliards d’euros versés par l’État au titre d’une annulation de dette et 170 millions d’investissements lors de la transformation du Fret en société commerciale en 2019. Le 3 mars, la direction SNCF annonce que la Commission Européenne a statué : « l’aide était bien illégale ». On ne s’attardera pas sur les sacro-saintes lois du marche et de la concurrence, ni sur leur validité dans le contexte actuel où il est urgent de trouver des solutions pour réduire la pollution dans les transports.
Au lieu de ça, parlons plutôt de la situation des 5000 employé.es menacé.es de licenciement si la Commission Européenne décidait de réintégrer la dette à l’entreprise. Cela pourrait signifier une liquidation judiciaire de Fret SNCF, puisque devenue entreprise privée. Une bonne nouvelle on dirait pour le gouvernement qui, à rebours de l’histoire, donne l’impression de vouloir détruire le secteur ferroviaire à coup de restructurations et de licenciements. Pour la CGT , « c’est un PSE (4) déguisé » qui se prépare.
Les cheminotEs vont donc devoir casquer pour la privatisation, une décision politique qu’iels rejettent et contre laquelle iels luttent depuis des années, alertant les éluEs et leurs concitoyenNes sur les menaces qui pèsent sur le rail. Alors, voir leur entreprise possiblement liquidée car elle se retrouve à assumer seule une dette qu’elle ne peut pas rembourser et dont l’État est responsable, c’est un peu dur à avaler. Dernièrement, anticipant une condamnation de la Commission européenne, Clément Beaune, ministre délégué aux transports, a annoncé que Fret SNCF devait organiser son propre démantèlement (5).
L’idée du gouvernement, c’est de créer une nouvelle société, « New Fret », à qui l’on transfère la gestion des trains, alors qu’en 2024, certains contrats avec des clients ne seront pas renouvelés et donc ouverts à la concurrence, au total 20 % du chiffre d’affaire actuel. D’autre part, une autre société, « New Maintenance » sera aussi créée pour gérer l’entretien. Alors que la direction de Fret SNCF promet qu’il n’y aura aucun licenciement, la seule certitude, c’est qu’à la détérioration des conditions de travail, s’ajoute la pression de voir le métier qu’on exerce disparaître.
« La casse de notre entreprise », c’est des milliers de gens qui peuvent se retrouver sans taf d’un coup, mais c’est aussi toutes les marchandises acheminées par voie ferroviaire qui seraient transportées par des sociétés de camions privées. Un pas de plus vers la privatisation généralisée. Surtout, le transport routier est une pratique moins écologique, avec en plus, son lot de danger au travail, de pénibilité et d’isolement : des heures et des heures sur la route, le risque d’accident à tout moment, l’éloignement par rapport aux proches, la difficulté à créer du lien avec ses collègues et à s'organiser avec (même si quand les routierÈres font grève, ça réagit vite fait !
Prenez garde à la fermeture du triage
Les syndiquéEs reviennent également sur le cas du triage de Somain, un cas symptômatique des contradictions du privé dans la gestion du service de Fret. Il s’agit d’une gare spéciale où l’on détache, redirige et rattache les wagons de marchandise. La direction de la SNCF avait décidé de fermer la gare de triage, mais la CGT s’y est opposée. Au terme de la lutte, le triage est resté actif, même si toutes leurs revendications n’avaient pas été entendues. En effet, la direction avait décidé dans l’intervalle de passer au triage à plat, alors que la technique du tri par gravité utilisée précédemment était plus efficace et moins fatigante pour les cheminots en terme de manœuvres puisqu’une légère pente facilite le déplacement des wagons (rappelons qu’un wagon chargé peut peser jusqu’à 130 tonnes).
Ceci a pour conséquence directe d’avoir restreint la capacité et donc la rentabilité du triage. Plus facile par la suite de justifier des licenciements, moins de salarié.es pour protester donc moins d’opposition, et à terme, la fermeture pure et simple. Génial ! En gros, si vous êtes un patron et que vous voulez fermer un triage tranquillou-bilou, malgré une grosse mobilisation qui vous met des bâtons dans les roues, pas de panique ! Il vous suffit de rendre l’outil moins performant, d’accentuer la pénibilité des travailleur.ses et d’attendre que le temps fasse son œuvre.
Notons qu’au passage, on se passe d’une ingénierie et d’un savoir-faire qui ont fait leurs preuves. Après tout, on a bien le droit de se tirer une balle dans le pied ! D’ailleurs, alors qu’ils étaient également mobilisés contre la réforme des retraites, les cheminot.es ont appelé à la solidarité avec leur camarades de SNCF Voyageurs dont la privatisation du service, actée en 2019, prendra effet cette année. On se demande ce qu’il restera des trains après le passage des actionnaires, ces termites de nos infrastructures collectives et néanmoins vitales.
Michou
1. « C’est triste un train qui siffle dans le soir », La Brique, numéro 60, mars 2020.
2. FRET est une filiale de la SNCF au statut SAS spécialisé dans le transport de marchandises.
3. Convention collective : accord écrit entre les syndic de patron et les syndic d’employé.es.
4. Le Plan de Sauvegarde de l’Emploi intervient lorsqu’une entreprise se trouve liquidation. Avant, on disait « plan social » et c’est un euphémisme qui est généralement synonyme de licenciements.
5. Le Monde, 24 mai 2023.