Après 10 semaines de grève dure, les salarié.es de Vertbaudet viennent de gagner une augmentation de salaire, des primes et l’embauche de 30 intérimaires en CDI. Classe ! C’est le résultat d’une lutte longue, qui aura réuni des gens de partout dans dans le Nord et même de Belgique sur le terre-plein devant l'entrepôt logistique de Marquette-lez-Lille. Un modèle de grève.
Vertbaudet est une entreprise de vente de vêtements et accessoires pour enfants, qui fait 80% de son chiffre d'affaire sur internet et dont le seul entrepôt logistique de France se trouve à deux pas de Lille. Sans compter les dizaines d’intérimaires utilisés comme variable d’ajustement, ce sont plus de 250 salarié.es qui préparent des colis pour répondre aux dizaines de milliers de commandes quotidiennes… et qui, sous la direction d’ un ancien PDG de Sephora, enrichissent doucement l'actionnariat. Lors des dernières « Négociations Annuelles Obligatoires » (NAO), la direction a proposé une « augmentation de salaire de 0% » (sic) que les syndicats majoritaires (FO et CFTC) ont gentiment signé. Avec l'inflation qui sévit, plus que de la bêtise, c'est un crachat à la gueule de celles qui sont « en première ligne ». D'où cette grève dure, qui dure.
La dignité face au mépris
La CGT Vertbaudet, c’est une affaire récente. Après presque 10 ans d’absence, la section renaît en 2019 avec l’idée d’être plus combatif.ves. Fin 2022, alors que les prix flambent et que les salaires n’augmentent pas, ça commence à s’agiter. Même si elle ne représente que 17 % des salarié.es, la section compte bien peser dans les négociations à venir et lutter pour une juste reconnaissance salariale. Pourtant, début mars, les organisations majoritaires que sont FO et la CFTC signent les NAO, bien que les concessions se limitent à des primes (qui peuvent être remises en cause chaque année) et des jours de congés qu’on ne prend pas tous les ans (déménagement, conjoint hospitalisé…).
Suite à cet accord qui sonne comme une trahison, les délégué.es du personnel qui n’ont pas signé distribuent des tracts devant l’entrepôt pour informer leurs collègues et prendre la température. « Le tractage leur a permis de discuter ensemble, notamment de leur salaire et de se rendre compte que tout le monde touchait la même chose, peu importe l’ancienneté » explique un syndicaliste de l’Union Locale CGT Tourcoing, qui soutient très vite ce mouvement. Au final, 90 personnes se mettent en grève le 20 mars 2023.
Sans broncher, la CGT demande direct 20 % d’augmentation. « On voudrait notre salaire brut en net » précise Manon, déléguée syndicale CGT à Vertbaudet. Anaïs, préparatrice de commande depuis 9 ans qui vit sa première grève : « Une augmentation de salaire, c’est une chose qu’on mérite tous aujourd’hui. Avant le covid, l’entreprise ne se portait pas très bien, pourtant on avait au minimum entre 0,4 et 0,7% d’augmentation. Aujourd’hui l’entreprise va bien, et on n’a rien, 0%. » Invitée à s’exprimer par François Ruffin, en visite sur le piquet début mai, elle ajoute : « En ayant travaillé pendant le covid, j’ai eu une belle paye, beaucoup de collègues peuvent le confirmer. On était fières de travailler à Vertbaudet. Fières de marcher les 25 km par jour. On savait pourquoi on était fatiguées, parce qu’on avait un remerciement derrière. On aimerait bien avoir ça à longueur de temps.» 200€ de plus sur la fiche de paye en temps de crise sanitaire, qui ne reviennent pas en temps de crise économique.
Stephan Fertikh, DRH de l’entreprise, se défend : « Le premier niveau de salaire chez nous, c’est 17 % au dessus du SMIC. Pas un seul salarié chez nous n’est payé au SMIC. » Vives réactions chez les salarié.es : « J’ai 33 ans de société, je suis payée au SMIC, environ 1300€, en temps plein », dit Sandrine, emballeuse. « Je sais pas d’où il va chercher ses calculs. Moi ce que je vois pas c’est les 17 % sur ma fiche de paye. » Le mépris de la direction passe déjà par ce manque de reconnaissance du travail accompli, surtout quand il est accompagné d’insultes pour le moins scabreuses. Manon évoque souvent cette phrase qu’on peine à citer tant elle est consternante : « les salariés c’est comme la sodomie, si on ne met pas de vaseline, ça coince. » Ne pas être respectée sur son lieu de travail apporte aussi son lot de souffrance et de rage…
Droit du travail à mi-temps
Sollicitée par la CGT, l’inspection du travail passe rapidement sur le site et constate un recours massif aux emplois intérimaires. En effet, au prétexte d’un accroissement d’activité soi-disant prévu de longue date, plus de 80 intérims sont embauchés dès le début de la grève, en plus de celleux déjà présent.es, . Pour les grévistes, faire appel à ce type de contrats est une manière de casser la grève, et c’est d’ailleurs une pratique interdite par le code du travail. Pour cette raison, la CGT attaque le patron en justice le 25 avril au tribunal.
Le 4 mai, le délibéré ne donne pas raison aux grévistes. Suite à l’audience, soupçonné d’avoir fourni un témoignage qui validait la version du patron, le syndicat de cadres CFE-CGC Vertbaudet nie, sans expliquer la provenance du document qui aurait convaincu le tribunal...
Globalement, le patron ne veut pas causer. Au début du mouvement, Manon expliquait : « Vendredi, on a une réunion avec la commission de conciliation […] pour entrer en négociation avec notre direction, parce que jusqu’à maintenant, elle ne nous a pas donné de signe de vie. » 18 jours sans nouvelle, ça énerve les grévistes, évidemment. Sandrine, préparatrice de commandes : « J’aimerais bien qu’ils nous écoutent, [qu’ils voient] que nous les petits ouvriers, on est abîmés de partout pour un salaire de misère ». Au lieu de ça, la direction préfèrent en appeler aux flics pour débloquer l’entrée de son entrepôt logistique, n’hésitant pas à utiliser ses fameux intérimaires à plusieurs reprise, pour débarrasser les dizaines de pneus qui en empêche l’accès. « S’il y en a un qui se blesse, je me demande comment la direction expliquera ce qu’il faisait en dehors de son poste de travail ! », commente Aurore, déléguée syndicale.
Les négociations, qui finissent par avoir lieu, irritent très vite les grévistes. En effet, le patron affirme d’entrée que les primes et les jours de congé concédés, correspondent à 6% d’augmentation… Mais les salarié.es savent bien que des primes, sans cotisations pour financer le système social et sans garantie de renouvellement, c’est du vent. L’enfumage se poursuit lorsque la direction propose aux grévistes d’attendre le mois d’octobre pour de nouvelles NAO, prétextant que d’ici là, 2 augmentations du SMIC sont prévues nationalement, ou quand elle affirme s’inquiéter pour les prestations sociales auxquelles les travailleur.ses n’auront plus le droit s’iels sont augmenté.es. Et les propositions farfelues se succèdent, avec toute l’inventivité possible pour ne rien lâcher sur les salaires (une augmentation de 13€ est proposée en échange de l’abandon d’une prime, mdr).
Heures sup’ pour les soutiens
Au delà du soutien financier, de nombreuses actions de soutien ont lieu. Les autres CGT locales (Cargill, MEL, Roquette, FNAF, Energie…) évidemment, mais aussi des « extérieurs » comme on les appelle sur le piquet : autonomes, organisés ou non pour venir apporter un soutien concret, aussi bien le jour que la nuit. Apporter un croissant ou, comme le tout jeune Réseau de Ravitaillement des Luttes, carrément des marmites de soupe ou de couscous, c’est aussi comme ça qu’on tient !
D’autres actions moins symboliques permettent de maintenir la pression : blocage des accès de l’entrepôt, mur de pneus ou fers à béton dans la chaussée, tous les moyens sont bons pour inciter les patrons à de vraies négociations. Même s’iels ne participent au blocage, les grévistes sont touché.es par la solidarité et la détermination des personnes qui se mobilisent. C’est le cas le 11 avril, lorsque l’accès au site est empêché par la présence de personnes déterminées qui improvisent une mini-manif. Une des 2 grilles d’entrée finit par s’ouvrir, et après un moment d’hésitation, les flics décident d’utiliser la lacrymo par crainte d’une intrusion sur le site de l’entreprise. Ils finissent pas se gazer entre eux, dans l’hilarité des gens mobilisés, pendant que le Réseau de Ravitaillement continue de faire des crêpes. Bonne ambiance.
Le 14 avril, Sophie Binet, fraîchement élue secrétaire-générale-de-la-CGT, vient faire un petit discours devant la boîte. Des centaines de personnes sont là, sous le nez de non-grévistes dont certains se permettent des bras d’honneur, planqués dans l’entrepôt. L’occasion est trop belle : sur le parking, on couvre la voiture du DRH d’autocollants, pendant que des barres de fer sont empoignées pour forcer une porte. On nous dit que la direction se serait retranchée dans son bureau, meubles à l’appui. Fertikh (le DRH) au contact, affirme même avoir pris quelques coups… alors que les participant.es décrivent ce moment comme bon enfant, « chamailleur » comme dirait l’autre. U. Bernalicis, député LFI qui s’était déplacé pour l’occasion, aurait même osé une partie de baby-foot dans l’espace désormais open.
Violences policières contre des travailleur.ses
Autour du 15 mai, tout s’accélère. De nouvelles interventions policières ont lieu et 2 personnes sont mises en garde-à-vue, dont une personne, violemment immobilisée au sol pendant l’arrestation, en sortira 24h plus tard avec des côtes fêlées, une luxation d’épaule et plusieurs jours d’ITT. « Ils étaient quand même 6 policiers sur lui pour l’allonger par terre » se souvient Anaïs. Le lendemain, la police intervient pour déloger le site, et violente des grévistes. Claudia, 36 ans, témoigne à Europe 1 : « Le policier est arrivé derrière mon dos, m’a fait une clé de bras, m’a étranglé, m’a transporté sur 70m du piquet de grève au mur de boucliers qu’ils avaient fait. » Ce que confirme Anaïs : « Claudia fait 48 kilos, elle sort d’un cancer, elle est fragile. Un policier l’a attrapée par le cou. Elle avait le souffle coupé. Elle était sur l’emplacement du piquet pour récupérer des effets personnels. Mais d’après la police, ça n’allait pas assez vite à leur goût. »
Quelques heures plus tard, Mohamed, délégué syndical, se mange une expédition punitive à son domicile, frappé devant son gosse par 4 personnes qui se disent policiers. Il est ensuite emmené dans une bagnole et, après des injures (« sale gréviste »), des crachats et des coups, il est relâché à 15km de chez lui, sans son portefeuille. Il se fait basiquement humilier et intimider, des méthodes qui nous rappellent néanmoins à quoi sont prêts les bourgeois et ceux qui leur prêtent allégeance. Même si les réactions ont été unanimes sur la gravité des faits dont a été victime Mohammed, difficile de dépasser le traumatisme. Encore sous le choc et redoutant des représailles, il ne souhaite pas porter plainte, ni s’exprimer sur le sujet, même si le parquet a ouvert une enquête.
L’argent, le nerf de la guerre
Sur le piquet de grève, avec ses cabanes en toiles de bâches ses fresques en graffiti et ses montagnes de pneus, on organise des concerts, des grandes bouffes, des jeux, des rencontres… Autant de moments qui permettent d’inscrire la lutte sur le temps long. L’objectif d’une grève, c’est bien d’attaquer le patron au portefeuille. Et ça se traduit clairement : « Hier, l’entreprise aurait perdu un million d’euros. » explique un syndicaliste de l’Union locale de Tourcoing, sous-entendu, si tout le monde avait fait grève. « On va les ruiner » renchérit Amar Laghar de la CGT Commerces & Services, dès la mi-avril. Et ça ne rate pas. Jusqu’à 350.000 colis préparés ne sortent pas du site, au plus fort de la grève. « C’est 20 % de chiffre d’affaires de perdu » nous glisse une déléguée. De plus, l’appel au boycott des produits Vertbaudet est relayé massivement.
Si ce sont bien les travailleuses qui produisent la richesse de l’entreprise, comment la toucher au porte-feuille sans se ruiner soi-même ? La caisse de grève est une première réponse. Son but est d’aider financièrement les grévistes qui ne touchent plus leur salaire, et pour cause ! Ainsi, des salarié.es de l’entreprise qui ne peuvent pas se mettre en grève y participent, puis d’autres personnes, travailleur.ses de différents secteurs ou chômeur.ses qui ne se côtoient pas en temps normal. La mobilisation est évidemment un facilitateur de rencontres et les soutiens sont massifs, autant financiers que logistiques et humains. Des partis politiques aux bagnole qui s’arrêtent 30 secondes, tout le monde contribue. « Il faut pas tourner autour du pot : si il y a des sous, elles tiendront, sinon, c’est que de la parole. », résume Mélenchon le 22 mai à Tourcoing, devant le siège social de Vertbaudet. Puis le tribun s’embrase : « Sortez votre portefeuille ! Plus vous avez de fric dedans, plus il faut donner ! Payez, payez, soutenez la lutte ! »
Gloire aux grévistes !
Certes, les soutiens y sont pour beaucoup dans cet heureux dénouement, apportant de l’énergie, de la bonne humeur et de la combativité, de l’ingéniosité ou une certaine médiatisation, et plus prosaïquement de la bouffe et des tunes ! Pourtant celles qu’il faut féliciter et remercier, ce sont les grévistes, des travailleuses pour la plupart. « La direction pensait qu’on était des moutons. Comme on est des femmes, ils pensaient qu’on allait plier au bout d’une semaine. Finalement, ils se sont rendus compte qu’on était des guerrières », résume Aurore.
Par leur courage, leur obstination et la conviction que leur lutte est juste, elles ont gagné l’augmentation conséquente de salaire qu’elles réclamaient : 90 à 140€ nets par mois suivant les cas ! De plus, conformément à l’esprit de solidarité qui a soufflé sur ces 10 semaines de grève, elles ont aussi obtenu l’embauche en CDI de 30 intérimaires dont les perspectives à long terme s’améliorent grandement (certain.es l’étaient depuis plus de 4 ans!). Surtout, les grévistes de Vertbaudet ont ouvert la voie, donnant de l’espoir à de nombreux.ses travailleur.ses et posant un rapport de force qu’on aimerait imiter. C’est simple, plusieurs syndiqué.es confirment déjà qu’il suffit de parler d’une « Vertbaudet » pour que les interlocuteurs patronaux se montrent aussitôt plus à l’écoute !
Enfin, les grévistes savent qu’il faudra continuer à tenir face aux dirigeants de l’entreprise pour défendre leur revendications, notamment sur les conditions de travail, car au-delà du salaire, c’est une question de dignité et de reconnaissance : « C’est notre boîte, sans nous les salarié.es, les grands patrons ne feraient aucunes thunes » commente Aurore. Pour Peggy, « préleveuse » depuis 21 ans, l’arithmétique est sans appel : « On est sur un bon 20km minimum par jour, si on prélève pendant 7h. On est à 174 allers, ça serait bien de les réduire. » Pour Manon, les conditions de travail se sont carrément assouplies depuis le début de la grève, ce qui montre bien qu’une grève, ça peut apprendre le respect à des patrons.
Ludovico Missaria