Sequedin, Annoeullin, Haubourdin, Loos, Quiévrechain, Bapaume, Longuenesse, Béthune, Douai, Valenciennes, Arras... La région dégueule de taules - plus d’une vingtaine - qui en font la plus importante après l’Île-de-France en matière d’enfermement.
Voilà plusieurs années, La Brique s’était penchée sur l’utilité des prisons. Espace le plus brutal et le plus autoritaire du contrôle social, la peur de l’enfermement maintient la population sous la menace permanente de privation de sa liberté et de ses droits. Les mythes de l’égalité devant la justice et de la « punition réparatrice » ou « réhabilitatrice » ont explosé, levant le voile sur un système qui se nourrit lui-même en favorisant des récidives et une justice de classe. Ceux et celles qui subissent majoritairement le courroux des juges sont « les fractions précarisées de la classe populaire et tout spécialement les jeunes issus des familles populaires d’ascendance africaine ». La plupart des incarcéré-es étaient déjà des exclus du système scolaire ou social. Des études estiment à 40% le taux d’illettrisme en prison et déjà en 1996 un tiers des personnes incarcéré-es étaient auparavant sans-domicile-fixe [1].
Les services pénitentiaires, direction et surveillance mises à part, s’enfoncent dans le business et la marchandisation. Sequedin, construite par Eiffage, est entre les mains de Sodexo, Annoeullin entre celles de Bouygues. Thales vient de rafler le juteux appel d’offres à 50 millions d’euros pour s’occuper des bracelets électroniques... L’entreprise Logipro gère les catines de plusieurs établissements, affichant des prix exorbitants pour des produits alimentaires et d’hygiène de base. Des multinationales administrent des laboratoires de l’enfermement, expérimentent dans des prisons ultra-modernes et prétendument « humaines » les techniques de contrôle qu’elles appliqueront dehors. La région est à la pointe. Ses nouvelles taules sont visitées par les ministres successifs. Toutes les sortes de prisons y sont répertoriées. Semi-liberté, prison pour mineur, Quartier Haute Sécurité. Et cette année ouvrira à Seclin la première « Unité Hospitalière Spécialement Aménagée ». Comprenez « hôpital-prison ». Un nouveau type de taule où la maladie mentale trouve une fois de plus pour réponse l’enfermement.
Depuis la nomination de Taubira au ministère de la justice, la taule occupe de nouveau quelques miettes d’espace médiatique. Dans les faits divers, quand une détenue de 73 ans s’immole dans sa cellule. Dans la presse nationale, quand l’Observatoire International des Prisons (OIP* [2]) demande la fermeture des Baumettes à Marseille en raison de son délabrement généralisé (cafards, rats, etc.). La garde des sceaux veut imposer sa marque et donne le ton d’une politique carcérale édulcorée : un mélange de bonnes intentions et de faux-semblants. Taubira entame des réformes face à la surpopulation carcérale et la récidive en développant des peines supplémentaires - dites alternatives - ou des aménagements de peines. Elle laisse courir le programme de construction visant à atteindre les 70 000 incarcéré-es d’ici 2018. Elle ne touche pas à la politique pénale de la France, ne dépénalise aucun délit. Sécuritaire, réductionnisme, abolitionnisme, sont les trois tendances idéologiques qui s’affrontent autour du champ carcéral. Les uns veulent enfermer toujours plus, les autres un peu moins, et certain-es ne veulent plus enfermer du tout.
Les réponses et les alternatives sociales restent à construire collectivement pour imaginer les manières de nous affranchir de ce système répressif. Mais d’ici là, il n’existera jamais de bonnes prisons. Il n’y aura jamais d’enfermement positif. Sa violence est inhumaine, indélébile et à combattre. Les moyens et la logique de contrôle des espaces et des individus à l’intérieur de la prison et en dehors sont les mêmes. On nous dit quoi faire, où aller, quand y aller. On organise nos sorties, notre claustration, on autorise ou non nos rassemblements. On surveille nos agissements à chaque moment. Nos âmes et nos corps sont rationalisés, automatisés, rentabilisés. Dans les pages qui suivent, La Brique a tenu à laisser la place à des témoignages de personnes emprisonnées. Les mots des premiers concernés nourrissent les nôtres, enfermé-es dehors.
- Enquête réalisée par W.R.
- Témoignages recueillis par l’OIP* à l’occasion de la Journée nationale prison, le Groupe Enquête Prison* et le journal L’Envolée.
Les articles du dossier :
« Carte des prisons au nord de Paris »
« "Cet Abou Ghraïb du 59 qu’est le centre pénitentiaire d’Annoeullin" »
« Cantines carcérales : des prix exorbitants pour des produits de base »
[1] Loic Wacquant, Les prisons de la misère, 1999.
[2] * Voir le lexique.