Le 3 février dernier, des centaines de personnes se sont rassemblées place de la République afin de protester tout en rendant hommage à Fanta, une enfant de trois mois, décédée par intoxication au monoxyde de carbone à cause de la Préfecture.
La Brique expliquait dans son numéro précédent1 que la Préfecture laissait traîner les dossiers de régularisation, ce qui avait pour conséquence de plonger des personnes dans des situations très compliquées, voire désespérées. En Juillet 2022, Fatima, la maman de Fanta, est reconnue réfugiée en France, mais les services de la Préfecture du Nord ne lui délivrent pas sa carte de séjour2. Ce document atteste que Fatima a le statut de réfugiée, sans lui, Fatima n’a pas le droit de travailler et perd ses droits sociaux. Pendant des mois, elle n’a cessé de s’adresser aux services de la préfecture, de tenter d’expliquer sa situation dramatique, de réclamer le document auquel elle a droit. Elle a trouvé, ainsi que son avocate, des grilles fermées.
Cruauté et incompétence de la préfecture
En effet, lorsqu’on passe devant les bureaux de la Préfecture de Lille, rue Jean-sans-Peur, on voit une grande affiche : « Évitez de vous déplacer en préfecture. Réalisez vos démarches en ligne. ». On appelle cela la dématérialisation, aucun guichet n’est accessible. Tant pis si les personnes n’ont pas accès à l’informatique, tant pis s’il y a la barrière de la langue, et tant pis s’il y a des bugs comme le reconnaît elle-même la préfecture ! L’avocate raconte qu’on lui a répondu qu’en cas de bug, il faut envoyer un mail ... Fatima s’est entendue dire « Il n’y pas que vous, vous n’êtes pas la seule ! » alors qu’elle alerte, qu’elle n’a plus aucun revenu et qu’elle est dans le dénuement le plus total. Fatima a tapé à la porte de plusieurs organismes ou de mairies, qui sont restées silencieux.
Sans ce document auquel elle a droit, Fatima a perdu son travail, a été expulsée de son logement, puis EDF a réduit au strict minimum l’électricité qu’elle peut utiliser. Son avocate a expliqué s’être rendue compte de la situation de grande précarité quand elle a vu que Fatima ne pouvait pas faire chauffer un biberon. Elle ne touche pas l’argent auquel elle a droit à cause d’un document que les services de la Préfecture ne lui donnent pas, à cause de la dématérialisation, qui rime avec déshumanisation. Ce jour-là, une oratrice parle de l’abbé Pierre, qui, en 1954, appelait à un « sursaut d’humanité ». Nous sommes donc rassemblé.es pour déplorer un manque d’humanité.
Fanta, victime de l’indifférence
Fanta est née en juillet 2023. Sans revenu, Fatima n’a plus de nourriture. L’hiver arrive et, sans électricité, Fatima est forcée de se chauffer au charbon de bois. Malgré les risques connus de Fatima, elle allume un brasero de fortune. Fanta meurt intoxiquée au monoxyde de carbone dans la nuit du 3 au 4 Novembre 2023. Fatima reçoit le précieux document trois jours après. « J’ai ma carte de séjour, mais pas mon bébé », explique-t-elle les larmes aux yeux. Elle raconte que le frère de Fanta, alors âgé de quatre ans, dit à sa maman qui pleure qu’il va chercher Fanta pour la ramener, il pense que Fanta est hospitalisée.
Lors d’une combustion complète, c’est à dire quand la quantité de dioxygène est importante, les produits de la réaction chimique sont le dioxyde de carbone et la vapeur d’eau, mais quand la quantité de dioxygène est insuffisante, la combustion est incomplète et la réaction chimique produit également du monoxyde de carbone. La réaction est incomplète lorsqu’on fume une cigarette, ou lorsqu’une chaudière est défectueuse ou mal aérée. Le monoxyde de carbone est un gaz inodore et incolore. Quand on le respire, il prend la place du dioxygène sur les globules rouges, on a des nausées, des vomissements. Une intoxication au monoxyde de carbone peut être fatale, notamment lorsqu’elle se produit durant le sommeil.
Fatima savait que c’était dangereux, c’est la préfecture qui l’a forcée à prendre ce risque pour chauffer le logement qu’elle occupe avec ses enfants. Ce matin-là, Fatima s’est réveillée avec un mal de tête et des nausées. Les secours sont appelés mais ne réussissent pas à sauver le nourrisson, Fanta ne se réveillera pas. L’avocate explique que Fatima avait trois enfants en bas âge, jusqu’au décès de Fanta. Fatima a obtenu le document précieux de la préfecture quatre jours après le décès de son enfant, après dix-huit mois d’attente, de relances, de mépris de la part de la Préfecture. L’employée de la Préfecture lui a remis ce document en « mâchant du chewing-gum », signe de son plus profond mépris et de sa totale indifférence.
Une marche blanche...
Il y avait du monde sur la place de la République, mais tous.tes n’étaient pas venu.es pour les mêmes raisons. D’un côté, quelques centaines de personnes sont venues rendre hommage à Fanta et participer à une marche blanche et se sont regroupées sur les quelques marches qui font face à la préfecture. De l’autre, des policier.es municipaux ont répondu à un appel national et sont venus protester pour obtenir des hausses de salaire et une meilleure retraite. Deux coins, deux ambiances.
Un camion de la CGT est là, et trois banderoles affichent : « La dématérialisation tue », les autres sont des banderoles de personnes sans papiers venues soutenir Fatima dans cette épreuve, dont les grévistes d’Emmaüs. On reconnaît un portrait de l’Abbé Pierre sur l’une d’elles. Une photo de Fanta est également visible. Les prises de parole commencent rapidement, devant un tas de peluches colorées et des personnes vêtues de noir en signe de deuil, et portant aussi parfois, à la demande des organisateur·ices, une peluche.
Les policier·es municipaux sont toujours sur la place quand une personne du collectif Galois³ prend le micro et demande à tout le monde de respecter une minute de silence. Quelques manifestant.es côté police discutent à haute voix, iels ne respectent pas ce moment de recueillement et de dignité face au drame que Fatima a vécu.
...sifflée par des policiers !
La personne qui a le micro reprend alors la parole pour expliquer que les services de la Préfecture sont responsables de la mort d’une enfant de trois mois. C’est à ce moment-là que des policiers soufflent dans des sifflets d’arbitre et entonnent La Marseillaise, apparemment très satisfaits de leur mépris. C’est une provocation insupportable, un manque de respect inimaginable !
Les personnes présentes pour rendre hommage à Fanta n’en reviennent et expriment leur indignation. L’oratrice demande à nouveau au micro du respect mais ça rigole dans les rangs des keufs. La marche blanche va commencer, il est temps de partir, les esprits vont s’échauffer et les gens ne sont pas venus pour cela. Chacun·e veut rester digne et conserver sa retenue pour ne pas répondre aux stupides provocations des municipaux
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Pour quitter la place, la marche passe à côté des policiers municipaux qui sifflent à nouveau. Oui, ils ont littéralement sifflé la marche blanche en hommage à la mort d’un nouveau-né de 3 mois. Personnellement, il m’a fallu cinq bonnes minutes pour me calmer tellement j’étais en colère. Tout le monde hallucinait du manque de respect ostensible, de la bêtise de ces personnes,… la nausée ! La marche blanche se poursuit néanmoins, les participant.es scandent : « Fanta, Fanta, on n’oublie pas », « Justice pour Fanta », « Monsieur le préfet , régularisez » et encore « Ouvrez les guichets ».
Ce drame est survenu alors que la loi immigration de Darmanin était en discussion à l’Assemblée Nationale et au Sénat, visant à durcir encore l’accueil et les droits des personnes exilées. Même s’il a été largement censuré par le Conseil Constitutionnel, le texte a quand même été adopté grâce aux voix du RN et promulgué par le président Macron, ouvrant la voie à plus de discriminations, plus d’injustice et plus de tragédies.
Plus que jamais, ouvrez les frontières, car on en meurt !
Bennn
1. La Brique N°69, « A qui profite l'illégalité ? »
2. Si l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) vous accorde le statut de réfugié, vous recevez un titre de séjour valable 10 ans. Par ailleurs, vous bénéficiez aussi d’une aide pour l’accès aux droits. http://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits.F15401
3. Collectif Galois : Le collectif rassemble des exilés, demandeurs d’asile, réfugié·es, étudiant.e.s, professeurs, militant·es, ami.e.s ou bénévoles. Le collectif milite pour les droits des étudiants en exil et pour tous les exilés.
https://www.facebook.com/collectifdesetudiantsdegaloisetleursamis