En 2012, les braises de l'extrême-droite lilloise semblent s'éteindre. Les différents zigues qui composent cette bande de mauvais drilles se dispersent. La boutique de fringues néo-nazies de Luc Pécharman, la tête pensante qui théorisa – avec un accent du sud – l'identité flamande du coin, se casse la gueule. Édouard Maillet, fondateur de Opstaan ( « Se lever » en flamand), groupuscule de jeunes axé sur la culture flamande, émigre de Lille à Coudekerque. Les chefs de file des skinhead, Yohann Mutte et Tomasz Szkatulski, ont chacun fait un séjour en prison pour des agressions diverses (notamment le saccage du bar LGBT, le Vice-versa ou encore des agressions contre des supporters et des SDF). Enfin, la figure la plus emblématique, Claude Hermant, après avoir ouvert une « frite rit » rue Solférino, coule des jours rasoirs en prison accusé d'avoir fourni des armes au terroriste Amédy Coulibaly.
Joli coup de ménage
Ne restait qu'Aurélien Verhassel, fondateur d'Insula, les « jeunes identitaires lillois » (créé par le Bloc Identitaire). Ancien élu de l'UNI au CROUS de Lille, Verhassel change son groupuscule en « génération identitaire flandre-artois-hainaut ». Sa marque de fabrique est à l'image de sa gueule et de son lieu : propre en façade, fosse septique en arrière boutique. Bercé à l'idéologie spartiate, Aurélien Verhassel n'hésite pas à s'inspirer du film 300 réalisé par Zack Snyder. Même logo, même idée de résistance à l’envahisseur perse, des hommes attachés à leurs terres, ultra-militarisés, disciplinés et virilisés à outrance. À la question du nombre de militants revendiqués à Lille et ses environs, il répond invariablement « 300 » avec un nombre de cartes en augmentation et ce, même à plusieurs années d'intervalles1.
Pour compléter le curriculum, lui et ses sbires s'illustrent régulièrement dans la presse ; tournées « anti-racailles » dans le métro lillois en mars 2013 ; rassemblement contre les « casseurs » lors du match Algérie-Allemagne en juin 20142 ; publication d'un salut nazi sur le compte Vine de Verhassel3 en juillet 2014 ; maraudes en faveur des SDF blancs en décembre 20144 ; opération « expulsons les islamistes » sur le toit de la gare d'Arras en Août 20155 ; blocage de ponts contre les migrants à Calais en Mars 20166 et « opérations de protection » des églises durant l'été. La vérole s'installe, après cette série d’actions ponctuelles, et s’incruste à Lille en ouvrant un bar privé au cœur du centre ville de Lille en septembre 2016.
Bar ou porcherie ?
Situé au 8 rue des Arts en fond de cour, le club privé est accessible uniquement aux adhérents « de race blanche et de culture gréco-latine » comme l'explique à France Info le leader de Génération Identitaire7. On ne peut faire plus clair. Si jusqu'à présent le racisme de Génération Identitaire se faisait par dénégation et sous-entendus, le voici décomplexé. Le plan de com' est comme d'habitude, distillé au compte-goûte façon teasing. Un article annonçant l'ouverture du lieu publié le 09 septembre 2016 dans la Voix du Nord surprend tout le monde. L'adresse n'est révélée que lors d'une conférence de presse le 19 pour une ouverture le 24.
Entre temps Josiane Dabit, conseillère de quartier EELV à Moulins, lance une pétition8. Il n'en faut pas moins pour Aurélien Verhassel et sa clique de jouer la carte éculée de la victimisation. Ils lancent à leur tour une pétition contre la conseillère écolo : « Dans une France meurtrie par les attentats islamistes, tout le monde saura apprécier le sens des priorités de Josiane Dabit : faire taire ceux qui luttent en première ligne face à l'islamisation de la France et de l'Europe ». Elle est depuis victime de cyber-harcélement : compte Twitter piraté, compte Facebook exposé à la facho-sphère, insultes répétées, bombardement de virus et menaces nauséabondes. Sur son mur Facebook, un internaute laisse une déjection : « Si tu ne viens pas au cochon, le cochon viendra à toi ».
La réaction politique d'Aubry s'est faite attendre quatre jours et l'aveu d'impuissance est consternant. Interrogée par le journal 20 minutes, elle déclare être « attentive » et préoccupée par les troubles à l'ordre public que « pourrait » provoquer cette structure. Et de se coucher devant « la liberté d’installation et le droit de reprendre un bail commercial ». On a pourtant connu jadis la maire de Lille plus pointilleuse en terme de contrôle des bars9.
Coté légalité, l'association « La Citadelle » montre patte « blanche », façon Verhassel toujours propre en façade. Les statuts prennent un autre sens quand on sait lire entre les lignes : « Gérer et animer un local associatif dans un objectif de promotion de la culture flamande ; proposer plusieurs activités ludiques et culturelles comme du sport, des conférences et divers jeux ; organiser des actions visant à limiter l’exclusion des personnes en situation de détresse matérielle et morale et apporter aide et soutien aux hommes, femmes et enfants en difficulté ; encourager également toute initiative en faveur de la solidarité envers ces personnes ». À faire passer des fachos pour des apôtres de L’abbé Pierre. Des statuts qui montrent que le projet de ces enfants de cœurs est en germe depuis le... 7 octobre 2013.
« La Citadelle », franchise Lilloise
La création de « La Citadelle » n'est en rien une émanation locale, elle répond à une stratégie nationale du mouvement « Génération identitaire » qui vise à créer un peu partout en France des « maisons de l'identité ». Lille n'échappe pas au cahier des charges établi par le mouvement : un bar, une bibliothèque et une salle de boxe « de rue ». Si le fascisme proclame le culte de la force et les vertus de la violence, c'est pour se défendre des « hordes "d'arabes et de nord-africains" [qui] volent et violent les femmes européennes »10, de « la racaille [qui] agresse nos frères et viole nos sœurs ». Tout un programme raciste et xénophobe.
À l’intérieur, c'est folklore à outrance. Décoration rustique et drapeaux flamands au mur, une tirelire en forme de cochon sur le comptoir. Quelques événements s’y sont déjà déroulés avant l'inauguration officielle le 24 septembre. Les échos d’une soirée ayant eu lieu durant la non-braderie de cette année donnent d’ailleurs l’ambiance du lieu. Les débatteurs du soir s’amusent à classer les chaînes multinationale du fast food : Quick est à proscrire car « hallal et collaborationniste ». On taxe de « traître » son voisin pour avoir mangé au MacDo. Débat de haute volée ou le monde selon Génération Identitaire ...
La sortie médiatique délibérée de Verhassel laisse supposer une stratégie qui débouchera sur une « victimisation » à deux balles. La droitisation des débats nationaux leur donne un sentiment d'impunité. La Brique sera au rendez-vous « Assiégeons La Citadelle » organisé par l'Action-Antifasciste NP2C fixé le 24 septembre à 17 heures, place de la République... À Lille comme ailleurs, on a déjà vu Génération Identitaire être contrecarrée par la foule, à l’image du 14 novembre dernier où lors du rassemblement suite aux attentats du Bataclan, la masse a repoussé fissa la bande d'allumés11. Étonnamment, ils n'en ont pas fait tout un pataquès médiatique. Quoiqu’il en soit, ils sont prévenus, nous ne laisserons pas « La Citadelle » assiéger le centre de Lille.
1. Après les tournées "anti-racailles", les Identitaires vont ouvrir un local à Lille, LCI, 02 juin 2016
Les Identitaires ouvrent un local associatif en plein centre de Lille, Robin d'Angelo, Streetpress, 14 septembre 2016
En 2014, "Aujourd'hui, nous sommes 300 membres". En 2016, Il estime à 300 le nombre de ses sympathisants.
2. Match de l’Algérie : Le préfet du Nord interdit les rassemblements contre «les casseurs», La Voix Du Nord, 30 juin 2014
3. Les identitaires lillois à nouveau épinglés pour leurs sympathies néo-nazies, Lutte en Nord, 02 juillet 2014
4. Génération identitaire a son dentifrice humanitaire, Harry Cover, La Brique, 06 janvier 2015
5. Action coup de poing à Arras, L'avenir de l'Artois, 29 août 2015
6. Calais : Génération identitaire occupe un pont et bloque l’accès aux migrants, Nord Actu, 12 mars 2016
7. « C’est dans le sens où l’entendait le général de Gaulle [en 1959], c’est à dire de race blanche et de culture gréco-latine. Etre blanc c’est la base. » Aurélien Verhassel A franceinfo
A Lille, l’ouverture d’une "maison identitaire" inquiète : "Le racisme et la haine n’ont pas leur place ici", Elise Lambert, France TV Info, 18 septembre 2016
8. NON à l'ouverture d'un bar d'identitaires en plein centre de Lille
9. Lille la nuit, c’est fini ?, Wendy REnarde, AF, La Brique, 16 mars 2014
10. Twitter d'Aurélien Verhassel : 6 Janvier 2016 à 3h25 : « Des hordes "d'arabes et de nord-africains" volent et violent les femmes européennes en #Allemagne #Cologne »
11. https://www.youtube.com/watch?v=obJgcX2jP7k : 15 novembre 2015 : Attentats de Paris : l’extrême droite perturbe un rassemblement à Lille