Portrait d’une famille rrom partie de Roumanie pour l’eldorado lillois. En guise d’accueil : un bidonville à Saint André
Veronica, Roberto et leurs trois enfants sont arrivés en France au mois de février. Dès l’annonce de l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, ils ont misé l’avenir de leur famille sur l’opportunité de pouvoir s’installer en Europe de l’ouest. Leur maison venait d’être gravement endommagée par les inondations qui ont sévi dans leur région de Timisoara. Des années de labeur qui risquaient d’être réduites à néant…
Roberto espèrait trouver facilement un travail, pendant que Veronica bénéficierait de soins de qualité pour vivre au mieux sa quatrième grossesse. Après quelques mois, ils pourraient alors repartir en Roumanie avec les quelques centaines d’euros qui suffiront à reconstruire la maison familiale, à installer l’eau et l’électricité. Qui sait, si la chance est de son côté, Roberto pourra peut-être même se payer son permis de conduire de retour chez lui.
La petite famille arrive à Lille avec pour seuls bagages l’envie de s’en sortir. Veronica et Roberto ne sont malheureusement plus à une galère près, mais ils ne peuvent concevoir que leurs enfants grandissent dans la misère et l’insécurité.
Pourquoi Lille ? Tout simplement parce que la mère de Roberto et ses deux plus jeunes frères étaient déjà installés dans la ville. Le mot « installé » est bien ironique : près de cinquante personnes vivent sur un ancien terrain industriel place de Constantine à Saint-André. Le sol est jonché de déchêts, pas d’eau courante ni d’électricité. Dans les caravanes sans âge, on tente de se faire une petite place sur le sol français. Quelques riverains tentent de les aider : des vêtements, de la nourriture, des témoignages de soutien. Parce qu’après la faim et le froid, c’est l’isolement qui est le plus dur à vivre.
Dès leur arrivée, Veronica et Roberto comprennent que rien ne sera comme ils l’avaient imaginé. Impossible pour Roberto de trouver un emploi, même en cachant ses origines tsiganes. Il faut d’abord une promesse d’embauche, ce qui relève déjà en soi de l’exploit. Le dossier doit ensuite être transmis en préfecture puis à la direction départementale du travail. Autant dire que l’accès au travail est impossible pour lui puisque généralement ces demandes en préfecture mettent des mois à aboutir. Pourtant, plus que jamais, la volonté de s’en sortir est là. Lorsque les parents apprennent que leurs enfants peuvent aller à l’école, c’est l’espoir qui renaît. Roberto se présente à la mairie de Saint-André pour inscrire les enfants à l’école primaire. C’est alors un refus catégorique qui lui est opposé [1]. « Puisque les occupants du terrain vont être expulsés, pourquoi les inscrire à l’école ? » Voilà la seule réponse donnée à Roberto. Il précise alors que ses enfants allaient à l’école normalement en Roumanie, et qu’il sait qu’il est en droit de les inscrire ici en France. Le maire refuse de le recevoir.
Cinq jours plus tard, les caravanes prennent feu en pleine nuit. Selon les pompiers et la police, l’incendie est d’origine accidentelle. En quelques minutes, les familles ont tout perdu : leurs passeports, les cartes grises des caravanes, les vêtements des enfants et il faut tout recommencer. Mais surtout, il faut trouver un toit. La mairie refuse d’aider les familles : cet incendie est peut-être l’occasion rêvée de se débarrasser du bidonville de la place Constantine. La préfecture ne donne pas de réponse plus satisfaisante et le samu social ne peut pas reloger 50 personnes en quelques heures. Le problème semble sans issue malgré des dizaines de coups de fils pour tenter de trouver une solution, au moins pour les petits. Pendant ce temps, les enfants retournent les cendres pour essayer de sauver au moins quelques souvenirs. La scène est édifiante, invraisemblable.
Pour Roberto et Veronica, il faut se résoudre à l’évidence. Les enfants dormiront dehors cette nuit. Quelques jours plus tard, la plupart de familles sont « relogées » dans des caravanes prêtées par Emmaüs.
La vie se réorganise tout doucement à quelques mètres de l’ancien campement, qui a depuis été fermé par les forces de l’ordre. Les familles parviennent à obtenir des bennes à ordures, le concierge du gymnase voisin leur permet de venir se laver et se réapprovisionner en eau.
Après de longues démarches, les enfants sont inscrits à l’école à Lille. Et si finalement il était possible de trouver sa place ici. Roberto commence à songer sérieusement à s’installer « définitivement » en France. Il cherche un petit boulot, une petite maison… Il faudra convaincre Veronica. Bien qu’elle ait retrouvé le sourire et le sommeil depuis que les petits vont à l’école, la Roumanie lui manque énormément.
Mais la mairie de Saint-André n’a pas dit son dernier mot. Menaces d’expulsion, visites quotidiennes de la police ont raison de la tranquillité enfin retrouvée. Les familles décident de partir avant qu’il ne soit trop tard : il n’est pas question que les enfants voient la police débarquer un matin pour les chasser. En quelques heures, il n’y a plus personne. Plus une caravane, plus un gitan. Mais la galère continue à quelques kilomètres de là…
La ville de Saint-André peut s’enorgueillir d’avoir nettoyé la place de Constantine : un campement de Rroms tout de même, cela n’était pas très beau à voir.
EC
En lien sur d’autres sites, l’évolution de la situation à Lille : sur Indymedia.
[1] Le Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 25 avril 2002 précise pourtant que « Le fait que la famille soit hébergée de manière provisoire sur le territoire d’une commune est sans incidence sur le droit à scolarisation ».