Noël Godin défraye maintenant la chronique belgo-internationale depuis quatre décennies, à coups de violentes, joviales et vengeresses tartes à la crème. Tour à tour entartiste, terroriste pâtissier, essayiste, ciné-maniaque acteur, réalisateur et archiviste de talent, au passage anarchiste rigolo, ses cibles les plus célèbres ne furent rien de moins que les souriants Bill Gates, BHL ou Sarkozy. Attablée à l’Univers, La Brique s’est tapé une délicieuse tranche du glouton bavard. Extraits d’une heure de discussion, du comptoir informel à l’interview professionnelle, parsemée de nos claquages de barre...
Interview gloutonne réalisée par tomjo et Sébastien, à l’occasion de la présentation du film Que qui peut puisse ! par son réalisateur Geoffroy Le Grelle (2), son sujet Noël Godin et son Internationale pâtissière, ainsi que Sihame Fattah, collègue de Noël, le 1er mars 2008 au cinéma l’Univers, à Lille. Cette copieuse réception… éminemment « terroriste » a été organisée, non sans bienveillance, par les activistes écolos de Chiche !
La Brique : Comment poser la question... ça t’est venu d’où, cette espèce de châtoyance du verbe, du mot..?
Noël : Je l’ai pas fait exprès... Je n’en ai aucun mérite et je ne fais aucun effort.
La Brique : Oui, ça se voit ! C’est vraiment fluide... Geoffroy : C’est vrai qu’il a cette manière de s’exprimer, qui est assez fascinante,
La Brique : T’écris dans le Bakchich (3) ! Noël : Ils se débrouillent bien, et puis heureusement, ils ne se mêlent pas une seconde du moindre mot dans ce qu’on écrit… Mais c’est sur Internet, surtout, que ça marche bien.
Geoffroy : Noël, on disait… tu es vraiment un cinéphile averti, hein ?
Noël : J’aime pas ce mot… « Ciné-maboul ! cinéma-nique »… Non, la plupart des cinéphiles sont des andouilles bien dressées, des lèche-cul du cinéma d’auteur le plus inoffensif.
La Brique : Et à combien de milliers de tartes à la crème vous en êtes, déjà ?
Noël : Une cinquantaine de notre côté, mais l’internationale pâtissière existe vraiment.
La Brique : On a rencontré des types, qui voudraient bien entarté un mec, vanneste, qui se présente aux municipales à tourcoing, qui dit que l’homosexualité serait un danger pour l’humanité !
Noël : Attention. ça peut être valorisant pour quelqu’un de pas vraiment connu. Il vaut mieux un traitement plus approprié, une tarte merdique, peut-être, du purin, un seau avec des saloperies dedans…
La Brique : C’est ce que tu dis à un moment du documentaire, sur les fascistes, quand un mec te propose dans la rue de balancer des tartes à la crème sur Jörg Haider…
Noël : Avec les fachos, on ne fait pas Gloup ! Gloup ! On fait Pan ! Pan ..!
La Brique : A propos, c’est qui Georges Le Gloupier ? Quelle est la différence avec Noël Godin ?
Noël : La différence, c’est que Georges Le Gloupier il a une barbe, un nœud papillon, un grand chapeau, il est souvent en smoking de combat. Il a des lunettes, aussi. J’ai été invité en Autriche, à une sorte de congrès antifasciste, de gens de gauche, qui palabraient… Et les discours les plus somnifères se succédaient. On m’avait invité pour proposer qu’on entarte Haider, de toute évidence. Ils étaient tous là et… ils m’énervaient, et… j’ai proposé de mon côté qu’on s’avance vers Haider avec un grand couteau de pâtissier et qu’on l’y plante dedans, et… Scandale absolu !
La Brique : T’as déjà lu ce petit bouquin, L’insurrection qui vient (4) ?
Noël : C’est formidable… tous ceux de cette bande-là, c’est eux que je mets le plus loin, maintenant, c’est les théoriciens radicaux les plus dangereux.. Ca va plus loin que Debord, Baudrillard, c’est vraiment très bien.
La Brique : Et tu n’as jamais eu de problèmes, avec des espèces de vrais radicaux, romantiques et armés, sur l’aspect « tartes dans la gueule », que c’est pas des symboles qu’il faudrait mettre, mais tout de suite aller vers du plus radical ?
Noël : Ben, écoute, non. Pour la bonne raison que mon Anthologie de la subversion carabinée (5) était un peu répandue, et soutient toutes les formes de révoltes pimentées de toute sorte, et présente quasiment une apologie du meurtre justicier sur 800 pages. Si j’ai choisi la guérilla pâtissière et un certain terrorisme burlesque, ça ne m’empêche aucunement, loin de là, de soutenir d’autres formes de combat, ou même d’y participer. Même si je suis avant tout pour un terrorisme loufoque. Donc je n’ai jamais eu de problèmes avec les « ultras ». Mais il y a parfois, des ultra-gauchistes, para-situationnisants, qui considèrent par contre que d’aller dans les médias, c’est se verser totalement… J’ai toujours pensé, c’est un des rares points sur lequel je n’étais pas d’accord avec les situs, déjà à l’époque, c’est se prendre bien au sérieux de considérer que, dès qu’on cavalcade dans les médias, on se fait totalement avoir. Ça peut aller
dans l’autre sens, si on a l’occasion de faire passer
des trucs qui renvoient à d’autres trucs. La plupart
de ceux qui m’ont reproché ça sont des piliers de
bistrot qui le restent totalement. La condition pour
aller faire le clown dans les médias, c’est de rester soi-même. Or je suis parfois extrêmement mauvais, en dessous de tout, ça m’est arrivé, mais au moins je suis moi. Je ne me suis renié d’aucune manière. A ce moment-là, on peut considérer que les médias sont un « terrain de jeu », comme d’autres, comme le cinéma, la littérature, la publicité quand les Casseurs de pub passent par là, et pourquoi pas aller dans des trucs si on reste soi, qu’on a la distance, l’ironie… Geoffroy Tu connais son histoire de « faux chroniqueur » de cinéma ?
Noël : Je travaillais pour la seule revue de cinéma existant en Belgique, qui était catho, aussi nauséabonde que Télérama, L’Ami du Film et de la télé,. J’écrivais, aussi pour la survie, sous cinq, six pseudonymes et mon nom, et c’était la période post-68. Petit à petit, pour être cohérent, j’ai instillé, j’ai saboté méthodiquement mon travail d’andouille critique, j’ai injecté un maximum de faux dans mes rubriques de petites nouvelles, et j’ai signé plus de 200 interviews en m’occupant des questions puis des réponses. Revenant de festivals, un bon tiers des films dont je rendais compte n’existaient aucunement. On faisait tout nous-mêmes. Et ce petit jeu a duré jusqu’à la disparition, durant des années, de la revue. J’avais été amené à inventer, avec des potes, près de 80 cinéastes. On donnait des nouvelles, régulièrement, pour s’y retrouver, y avait de grands diagrammes...
Geoffroy : Et tu avais inventé une cinéaste aveugle ?
Noël : Oui, « Viviane Peille », qui réalisait des films magnifiques comme La fleur du lotus n’atteindra pas les bords de ton lit, une Thaïlandaise. Il y a un grand spécialiste du cinéma asiatique, qui est parti expressément à sa recherche... Il était furieux, fou furieux. Et il hurlait au téléphone, mais il n’a pas vendu la mèche.
Geoffroy : Et il l’a pris au premier degré !
Noël : Et, tous les trois mois, j’inventais une conversion, c’était entre 69 et 1977, conversion « miraculeuse », de cinéastes de gauche. Je n’oublierai jamais ça, ça m’a valu un des grands moments de ma vie. C’est que je lisais dans l’éditorial d’un de nos deux grands quotidiens La Libre Belgique, que Le messager de Joseph Losey, dont j’avais annoncé la conversion, avait décroché la Palme d’or à Cannes. Et le chroniqueur de La Libre Belgique, commençait en disant que l’on sentait à tout moment que le film vibrait de foi chrétienne, et qu’on sentait que Joseph Losey s’était vraiment converti. Là, c’était la victoire totale...
La Brique : C’était mignon, le petit dessin de H.G. Welles, avec l’entartage moderne, avec l’espèce de machine-catapulte, là.
Geoffroy : Ah, la Tartapulte ! Noël : Oui, dans le dernier Bakchich... la Tartapulte, que les compères grolandais ont réellement mise sur pieds...
La Brique : Ce qui est excellent, c’est qu’il y a une riposte proportionnelle (...) y a une telle industrialisation des mecs et nanas entartables, que c’est bien de commencer à imaginer une sorte d’extension de l’entartage.
Noël : Oui, des Canadairs... au fromage blanc. Il y a lieu qu’on en arrive là, enfin je ferai tout pour...
Propos recueillis par TJ. et SL.
La Brique (Seb)
Ça vous emmerde, si je pose ce petit appareil d’enregistrement ? Je vous enverrai le papier par la suite...
Sihame (Fattah) et Geoffroy (Legrelle)
Non...
Noël (Godin)
Parce que c’est pour un canard ?
La Brique (Seb)
Oui, un petit journal lillois.
Geoffroy (de Noël)
Lui, il garde tout, c’est un archiviste...
Noël
Oui, je suis un maniaque, un archiviste...
(à Sihame :) tu en sais quelque chose..
La Brique (Seb)
Ah ouais ? Parce que c’est toi qui ranges ??!
Sihame
(rires) Oui..
La Brique (Seb)
Et à propos, il paraît que tu as la plus grande bibliothèque du monde de livres volés, c’est vrai ?
Noël
Elle est bien, mais y en a de bien pires. Pas « du monde », mais de Belgique. Disons qu’il y a plein de trucs parce que je suis ciné-maniaque depuis très longtemps, j’ai commencé quand la vidéo est apparue. C’est une très grande passion, d’ailleurs coupable, parce que pendant qu’on visionne, on ne fait pas le coup de poing contre les crapules...
Geoffroy
Toi tu parlais de livres volés, c’est ça ? Il a la plus grosse collection de vidéo, c’est à dire que depuis que les VHS existent, il enregistre 3-4 films par jour !
Noël
Qui vous a dit que j’avais « la plus grande bibliothèque de lives volés » ??
La Brique (Seb)
Ben... « on » m’a dit ça...
Geoffroy
C’est surtout qu’à chaque fois qu’il écrit un bouquin, il dit aux gens « n’achetez pas mon livre, volez-le » !
Noël
Oui, ça devient de plus en plus duraille...
La Brique (Seb)
Et alors sur les films, on t’a vu dans un autre film, il ya longtemps, c’était de Mocky, avec des conspirateurs dans la forêt, tous avec des bonnets noirs, tu te rappelles de ça ?
Noël
Tout est calme...Oui, le seul film de Mocky où j’étais, une semaine de tournage et de délire total. On s’en rappelait parce que Geoffroy était venu faire un reportage pour le C+ belge, et... folie absolue avec Mocky, des fournées d’anecdotes : le côté rapiat, des aberrations totales durant le tournage, mais en même temps le plaisir qu’on prend à côtoyer un monstre pareil. A vrai dire c’est mon cinéaste français favori, de très loin..
Il est impossible à approuver totalement, c’est un monstre d’égocentrisme et d’avarice certain, mais son cinéma est tellement jubilatoire... Sur ses 7-8 derniers films, ils ne sortent que dans son petit cinéma, à Paris, le Brady.
(à G) on évoquait Tout est calme...
Il a eu peu de spectateurs, il y’en a peu qui l’ont vu...
Geoffroy
C’est d’ailleurs un assez mauvais film.
Noël
Moi je suis inconditionnel de tous les Mocky, et même s’il est mauvais, il est bon.
La Brique (Seb)
C’est lui qui avait fait Dupont Lajoie, non ?
Noël
Non, ça c’est d’Yves Boisset, c’est pas mal, c’est un peu à la Mocky, Dupont Lajoie...
La Brique (Seb)
Mais il y avait un autre truc avec des beaufs, un truc « bien Français » aussi...
Noël
A mort l’arbitre !
La Brique (Seb)
Voilà !
Noël
Le film le plus violemment anti-football qu’on ait tourné..
La Brique (Seb)
Oui, avec Coup de tête, avec Patrick Dewaere.
Noël
C’est très bien, c’est le meilleur scénario de... pas Jean-Jacques Annaud... de Francis Weber. C’est très subversif.
La Brique (Seb)
Oui, mais c’est beaucoup plus rigolo et léger, même si c’est grinçant tout le temps, que le Mocky, je trouve. Coup de Tête reste assez « fleur bleue », quoi.
Noël
Tout à fait, tandis qu’ A mort l’arbitre !, c’est violent.
La Brique (Seb)
Bon, alors... je sais pas très bien comment poser la question, mais... t’as un goût des films, visiblement, très poussé, mais... ça t’est venu d’où, surtout, cette espèce de châtoyance du verbe, du mot..?
Noël
(chuchotte) Je l’ai pas fait exprès...
La Brique (Seb)
Oui, ça se voit ! D’autant que c’est vraiment fluide, mais t’as un souvenir particulier, par rapport à ça ?
Geoffroy
C’est vrai qu’il a cette manière de s’exprimer, qui est assez fascinante,
Noël
Je n’en ai aucun mérite et je ne fais aucun effort.
Je me souviens que pour la première de la projection du film qu’on va voir ce soir, y avait justement Claude MC Solaar, qui traînait dans un studio où je vais régulièrement. Je lui ai dit « tiens, ça t’intéresserait pas de venir voir ce truc-là ? ». Il me dit « Ah oui, Noël Godin, oui, il a une façon de parler que je trouve vraiment fabuleuse, ça m’inspire beaucoup.. ». Ce qui est assez étonnant !
La Brique (Seb)
Oui, Solaar, il est assez châtié aussi, dans son genre...
Noël
Ce qui est étonnant, c’est qu’après le film, trinquant avec MC. Solaar, il me dit « qu’est-ce qu’il faut lire ? », et je lui ai dressé une liste des vingt livres les plus subversifs que je connaissais. Y avait aussi bien des situs, que du Georges Darien, que du Fourier... Et j’ai appris qu’il avait été chez Philippe Simon [bouquiniste libertaire bruxellois, NDLR], il a tout a-che-té...
La Brique (Seb)
Eh ben... cool. Parce qu’il a un côté, un peu moins « subversif »... que les tartes à la crème, quand même, MC Solaar, je trouve...
Tout à l’heure, vous parliez de Sarko, dans le...
Noël
Euh... Mais... tutoie-moi !
La Brique (Seb)
Non ! « vous »... tous les deux ! Non, avec plaisir. Pareil, Sébastien, enchanté... Juste, c’était à quelle époque, qu’il se prend la tarte dans la crème, euh.. la tarte à la crème dans la gueule et qu’il continue à avancer mordicus..? Et c’était où ?
Noël
C’était au Parlement... Au Palais des Congrès.
La Brique (Seb)
C’était avant la campagne électorale ?
Noël
Ouh, oui, c’était... avant le Symfolium, c’est quelle année, ça ?
Geoffroy
Bien avant ! C’était en 2000...
Noël
Donc c’est en 1996... 97, je crois.
La Brique (Seb)
D’accord, ça date un peu, alors...
Geoffroy
Sarkozy n’était pas encore vraiment... connu, finalement.
Noël
... à peine protégé !
Et ce que je n’avais jamais remarqué, c’est qui était à côté de lui, au moment de l’entartement... Cécilia était à côté de lui (pouffent).
Geoffroy
Ils étaient déjà mariés, non ?
La Brique (Seb)
Paraît que c’est Séguéla qui aurait organisé la grande bouffe où euh... ils se seraient rencontrés...
Bon. Tu écris dans le Bakchich ! Nous aussi, on a envoyé notre canard au Bakchich, et du coup ils nous ont envoyé le leur. Et je suis bien content de voir ton nom à côté de celui de Guillaume Dasquié, par exemple.
Noël
Qui ?
La Brique (Seb)
Guillaume Dasquié. C’est un petit trublion... Même pas, en fait, un petit conformiste, plutôt, des renseignements et un peu « à la con », des services secrets. Il s’est fait tricarder y a peu pour des histoires... Comme quoi les services français avaient communiqué déjà, largement avant les attentats, aux Américains, qu’il riquait d’y avoir deux avions qui se casseraient la gueule un jour. Et comme il avait des sources là-dessus, la DST française vient de le serrer. Et il s’est retrouvé à la télé à pleurer sur les plateaux parce qu’il s’est fait mettre la pression par les flics. Après, bon, ils l’ont relaché, ne l’ont pas mis en prison, mais il a pesé sur lui des menaces assez sérieuses. Et ce type-là a un côté... gendre idéal, tout lèché, etc, il fait son travail sérieusement, mais c’est pas non plus un anarchiste. Après, du coup, Bakchich fait quand même assez feu de tout bois par rapport à 2-3 angles, mais c’est marrant qu’il y ait des gens qui soient dans la presse habituelle et... Enfin, ça fait vraiment une drôle d’émulation.
Noël
Ils se débrouillent bien, et puis heureusement, ils ne se mêlent pas une seconde du moindre mot dans ce qu’on écrit… Mais c’est sur internet, surtout, que ça marche bien..
La Brique (Seb)
C’est vrai, nous on a la version papier, comme ça, ça nous permet de le trimballer.
Nous, on a une pratique assez bizarre par rapport à ça : on n’est pas un comité de censure mais on n’a pas du tout de hiérarchie et du coup, chaque parole compte autant que l’autre, alors on a des relectures collectives. Les gens proposent leur sujet, on le valide une premiere fois tous ensemble (ou alors quelqu’un dit « ah non, ça alors là certainement pas »), et quand le papier est sorti, tout le monde le relit. Du coup les gens disent « ça, ça va », « ça, ça va pas », sauf qu’à la fin la personne auteure reste maître de sa décision de mettre ça ou pas. Comme on est un canard complètement sans pub, ce qu’on fait c’est qu’à chaque fois les 1000€ qui servent à imprimer les 5000 exemplaires, on les re-verse. Pour qu’on ait un nouveau numéro à chaque fois. Pour l’instant on en a fait 6 [et depuis, 25 ! NDLR], et ça a l’air de marcher. A la mairie, ils ne nous aiment pas du tout, par exemple, La Voix du Nord non plus… et on est très fiers.
Noël
C’est très bon signe…
Geoffroy
Noël, tu as des aventures, toi aussi, de magazine, comme ça ?
Noël
Oui, dans Bakchich, toutes les semaines…
La Brique (Seb)
Oui, j’ai du mal, à ne pas digresser…
Geoffroy
Noël, on disait… tu es vraiment un cinéphile averti, hein ?
Noël
J’aime pas ce mot… Cinémaboul ! cinémaniaque… (rires) Non, la plupart des cinéphiles sont des andouilles bien dressées, des lèche-culs du cinéma d’auteur le plus inoffensif.
Geoffroy
Alors, il a une carte de presse, ce qui lui permet d’aller voir absolument tous les films, gratuitement, dans les salles. Et il ne se gène absolument pas. Alors tu vois combien de films par semaine ?
Noël
Ben je compte plus trop parce que j’adore ça, j’y passe beaucoup. Mais il faut penser aussi à vivre, et à foutre le bordel, pas que vivre par procuration en voyant des films, donc il faut se méfier, de ce genre de passion frénétique.
La Brique (Seb)
Tu dois surtout avoir le temps, tu dois pas avoir de boulot à 5h. du matin, tu dois pas te lever pour rentrer à 7h ?
Geoffroy
Tu y vas le matin, au cinéma, je pense, hein ?
Noël
Non, le soir et la nuit, c’est assez, pas durant la journée...
La Brique (Seb)
Ça j’aimerais bien ! Nous on devrait se faire de fausses cartes de presse de La Brique, bien que ce sera pas toujours évident… Mais je doute que ça marche pour obtenir de véritables cartes de presse…
Noël
En Belgique, pour les fausses cartes de presse, ils connaissent les quelques journalistes, il n’y en a que soixante, on doit signer à la caisse… Là ça marcherait pas, ça pourrait mal tourner.
La Brique (Seb)
Même ici, avec le truc bleu-blanc-rouge, ça doit valoir dans les cinq ans d’emprisonnement avec surcis. Pour l’instant, on les télécharge grâce à Internet, les films, et il y a quand même une bonne mémoire collective… Après c’est surtout les gros trucs.
Geoffroy
Les films de téléchargement, ce sont des gros films, oui. On peut déjà télécharger Astérix et les jeux olympiques ! Quelle bonne nouvelle ! On était impatients de le voir !
La Brique (Seb)
Et à combien de milliers de tartes à la crème vous en êtes, déjà, personnellement ?
Noël
Une cinquantaine.
La Brique (Seb)
Une cinquantaine de milliers, ou de tartes ?
Noël
Une cinquantaine de notre côté, mais l’Internationale pâtissière existe vraiment. Ça nous permet de tarter un peu partout.
La Brique (TomJo)
Hier on a voulu entarter un mec qui s’appelle Christian Vanneste, c’est un mec qui se présente, là, aux municipales, et qui a dit que l’homosexualité était un danger pour l’humanité, tout ça !
La Brique (Seb)
C’est un député UMP qui est célèbre à cause de ça…
La Brique (TomJo)
Est-ce que la tarte à la crème c’est vraiment..?
Geoffroy
Tu peux faire une tarte au caca !
Noël
Attention ! Ça peut être valorisant pour quelqu’un de pas vraiment connu. Il vaut mieux un traitement plus approprié, une tarte merdique, peut-être, du purin, un seau avec des saloperies dedans…
La Brique (Seb)
C’est ce que tu dis à un moment du documentaire, sur les fascistes, quand un mec te propose dans la rue de balancer des tartes à la crème sur Jörg Haider…
La Brique (TomJo)
Pieman ?
La Brique (Seb)
Non, c’est pas Pieman, je crois, un autre bonhomme, c’est ça ? Et tu lui réponds qu’il faudrait plutôt mettre des tartes au caca, ou bien des cailloux ou des balles…
Noël
Avec les fachos, on ne fait pas Gloup ! Gloup ! On fait Pan ! Pan ..!
La Brique (Seb)
Parenthèse : à propos de Gloup Gloup, c’est qui Georges Le Gloupier ? Quelle est la différence avec Noël Godin ?
Noël
La différence, c’est que Georges Le Gloupier il a une barbe, un nœud papillon, un grand chapeau, il est souvent en smoking de combat. Il a des lunettes, aussi.
Ce qui se passe pour ce que tu dis, c’est que, invité en Autriche, à une sorte de congrès antifasciste, de gens de gauche, qui palabraient… Et les discours les plus somnifères se succédaient, se succédaient ! On m’avait invité tous frais payés, avec une amie, pour proposer qu’on entarte Haider, de toute évidence. Ils étaient tous là et… ils m’énervaient, et… j’ai proposé de mon côté qu’on s’avance vers Haider avec un grand couteau de pâtissier et qu’on l’y plante dedans, et… scandale absolu !
La Brique (Seb)
Des antifas ? Putain, ça craint… Nous ici, on est pas mal emmerdés par la police, parce qu’on vient emmerder un peu les gens qui viennent à des réunions publiques du Front National, on vient les chambouler. Alors évidemment, on a des écharpes et des capuches, et puis on les laisse pas trop approcher, mais, ça reste très peu « physique ». Pourtant…
Silvia
Euh, excusez-moi…
La Brique (Seb)
Ah, non, c’est pas un portable, c’est mon truc qui enregistre… Mais c’est pas grave (déplacement du dictaphone). Et tu voulais que… il gênait ?
Silvia
Non, je disais qu’il risquait d’y avoir du jus dessus…
La Brique (Seb)
Alors je le déplace, sagement.
Nöel
C’est délicieux, hein…
Silvia
C’est notamment Charlotte qui l’a fait.
La Brique (Seb)
Et vous avez mis quoi ?
Charlotte
Ben, c’est un couscous, sans viande, sauf du bouillon de bœuf (mais bio !), des pois chiches, plein de légumes, des navets, des palets, des carottes, de la courge…
La Brique (Seb)
Miam en tout cas.
T’as déjà lu ce petit bouquin, L’insurrection qui vient ?
Noël
C’est formidable… tous ceux de cette bande-là, c’est eux que je mets le plus loin, maintenant, c’est les théoriciens radicaux les plus dangereux.
La Brique (Seb)
Oui ? C’est comme ça que les qualifie à peu près le Ministère de l’Intérieur, aussi. Y a trois articles dont Bakchich qui ont fait des commentaires là-dessus. Il y en a un de Rue89, de Jean-Yves Camus, l’espèce d’expert ès-extrême droite des années Ras l’Front, et y en a eu un premier dans Le Monde, qui expliquait qu’il y aurait une « résurgence de la mouvance autonome ». En fait, après, Jean-Yves Camus dit « bon, tranquille, tranquille, Alliot-Marie, tu te la racontes un peu, quand même, c’est peut-être pas la peine de mélanger Al Qaïda, les feux de banlieue de 2005 et puis la mouvance autonome simplement parce qu’on a serré trois mecs avec du désherbant dans un champ, à essayer de faire péter un truc ». Mais à la fin, il part quand même un peu en vrille : il explique qu’il y aurait des passages qui ressembleraient à du Maurice Barrès, comme quoi on serait devenus tellement « arrachés à notre terre »… Alors lui, c’est un peu un tartuffe sur le dernier paragraphe. Mais Bakchich surenchérit sur sa position sur le fait qu’il faut arrêter d’assimiler tout de suite la mouvance autonome à… Même si effectivement, depuis le CPE surtout, le mouvement lycéen et étudiant qu’il y a pu avoir après 2005, il y a peut-être de quoi vérifier ça.
Noël
Je… j’en mets partout !
La Brique (Seb)
Oui, ça devient… riche !
(rires)
Mais je suis content que tu puisses trouver ça pas mal.
Noël
D’ailleurs, je l’ai recommandé dans Bakchich, L’insurrection, mais aussi tous les autres écrits du Comité invisible et du groupe Tiqqun. Ils ont déjà six pamphlets à leur actif, et c’est vraiment formidable. Ca va plus loin que Debord, Baudrillard, c’est vraiment très bien.
La Brique (Seb)
Et c’est quoi, les autres titres du Comité Invisible ?
Noël
Aide-moi, pour les titres ?
Sihame
Le Comité invisible, je crois que c’est le seul titre.
Noël
Introduction à la guerre civile.
Sihame
Ah, oui.
La Brique (Seb)
Ok, parce que ce que dit justement Camus, c’est que la plupart des trucs cités dans le Monde, cités par les flics, etc, c’est que, quand ils font des perquisitions chez les prisonniers, etc, c’est qu’ils « tombent » sur L’insurrection qui vient, et ils tombent sur des bouquins de Blanqui. Donc, même s’ils restent vachement d’actualité, ce sont des bouquins connus depuis les années… de la Commune. Et que du coup, ça sert à rien de s’énerver pour une « actualité » de textes tellement « subversifs ». Y a deux façons de le lire : moi je trouve que ce sont des vraies bonnes billes, des outils, pour… un truc qui arrive.
Noël
Des fameux outils…
La Brique (Seb)
Mais on a un bon petit débat, à l’intérieur du journal, y a deux – trois sociologues, qui tendraient vers le « bon, ils sont un peu là, mais on sait pas trop d’où ils fondent leur vérité… » et qui sont un peu « trop » scientifiques, à mon goût. Et puis parallèlement, il y a aussi des gens, que j’aurais pas du tout imaginé, qui trouvent le truc très enchanteur.
Bon, je suis pas très pro, dans mes interviews…
Noël
Mais ça fait très plaisir, cette conversation. Des bougres aussi… au courant, un peu dans tous les domaines offensifs…
La Brique (Seb)
Bah… ça fait aussi un moment, qu’on se demande à quelle sauce on va être bouffés.
Geoffroy
Et tu as déjà lu des ouvrages de Noël ?
La Brique (Seb)
Oh, non, pas du tout… J’ai vu de temps en temps, quelques éclats, une petite constellation de trucs. Mais je suis peut-être pas quelqu’un qui est absolument collectionneur ou fanatique, où je dois tout décortiquer d’un auteur ou d’un… A une époque je faisais un peu ça, pour certains cinéastes… Mais je suis assez parcellaire, et pas du tout sérieux, pour mes recherches. C’est pour ça que j’ai fait des trucs assez différents, très brièvement… et que je ne travaille plus.
(rire)
(tintements gloutons)
Sihame
Tu en es où, de ton anthologie ?
Noël
Elle sort dans trois semaines. Elle est à l’impression.
Sihame
Elle sera donc pas prête pour la Foire du livre ?
Noël
Non, mais, pour le salon du Livre, de Paris.
La Brique (TomJo)
On va peut-être se déplacer pour le Salon du livre, à Gand.
Noël
A Gand ? Je ne sais pas si ce coup-ci… (à Sihame) tu iras ?
Sihame
Oui.
Noël
Et celui de Bruxelles ? C’est en juin ? Le week-end d’Aden…
Sihame
Ah, c’est en mai, le 8 mai, Aden, la librairie, non, l’édition, c’est Aden.
Noël
Une sorte de salon du livre libertaire, comme à Gand, mais c’est plus grand, y a plus de petits éditeurs.
La Brique (Seb)
Aden, j’en ai déjà entendu parler, je sais plus ce que c’est.
Noël
(à une arrivante) Bonjour. C’est une librairie marginale, très bien achalandée, qui a vraiment tous les petits éditeurs, para-culturels, ou anarchisants, ou d’ultra-gauche, mais vraiment tout. Donc c’est vraiment très pratique.
La Brique (Seb)
Oui, il y a deux équivalents, à Paris, Quilombo et Publico.
Noël
Oui, c’est très bien, le Quilombo.
La Brique (Seb)
Je sais jamais qui est qui, entre le siège du CICP, et l’ancienne Fédération anarchiste. Y a deux adresses, d’ailleurs, le 145 rue Amelot, et 21 ter rue Voltaire. Elles se complètent vraiment.
Noël
J’ai jamais été chez Quilombo, mais leur bulletin est formidable, avec le passage en revue de toutes les publications séditieuses, d’excellents petits commentaires. (à Sihame) Tu dois connaître, je suppose, le répertoire de Quilombo, qui est distribué chez Aden…
Stef XXL
Bonjour les gens.
La Brique (Seb)
Ben… un autre glouton verbal : Stef XXL, Noël.
(pognes)
La Brique (Seb)
Et t’as jamais eu de problèmes, avec des espèces de vrais radicaux (à la con), complètement romantiques et armés, sur l’aspect « tartes dans la gueule », que c’est pas des symboles qu’il faudrait mettre avec des vraies tartes pleines de crème -qui font vraiment chier quand même Sarko et les tartuffes- et qu’il faudrait tout de suite aller vers du plus radical, etc ? T’as jamais été pris à partie comme ça ?
Noël
Ben, écoute, non. Pour la bonne raison que mon Anthologie de la subversion carabinée était un peu répandue, et soutient toutes les formes de révoltes pimentées de toute sorte, et tient quasiment une apologie du meurtre justicier sur 800 pages. Si j’ai choisi la guérilla pâtissière et un certain terrorisme burlesque, ça ne m’empêche aucunement, loin de là, de soutenir d’autres formes de combat, ou même d’y participer. Même si je suis avant tout pour un terrorisme loufoque. Mon anthologie, par exemple, est dédiée à Jean-Marc Rouillan, et aux gens d’Action Directe, que je ne peux m’empêcher de vraiment bien aimer, et il y a l’apologie de la Bande à Baader et je continue à les aimer tout-à-fait. Donc je n’ai jamais eu de problèmes avec les « ultras » (…)
La Brique (Seb)
Bon, ma question était une « question rhétorique »…
Noël
Mais, il y a parfois, des ultra-gauchistes, para-situationnisants, qui considèrent par contre que d’aller dans les médias, c’est se verser totalement…
La Brique (Seb)
Oui, on vient aussi d’avoir un gros problème avec ça…
Noël
Moi je n’ai pas de problème. J’ai toujours pensé, c’est un des rares points sur lequel je n’étais pas d’accord avec les situs, déjà à l’époque, c’est se prendre bien au sérieux de considérer que, dès qu’on cavalcade dans les médias, on se fait totalement avoir, car on se fait toujours récupérer par les médias. Mais ça peut aller dans l’autre sens, si on a l’occasion de faire passer des trucs qui renvoient à d’autres trucs. Et la plupart de ceux qui m’ont reproché ça sont des piliers de bistrot qui le restent totalement. La condition pour aller faire le clown dans les médias, c’est de rester soi-même. Or je suis parfois extrêmement mauvais, en dessous de tout, ça m’est arrivé, mais au moins je suis moi. Je ne me suis renié d’aucune manière. A ce moment-là, on peut considérer que les médias sont un « terrain de jeu », comme d’autres, comme le cinéma, la littérature, la publicité quand les Casseurs de pub passent par là, et pourquoi pas aller dans des trucs si on reste soi, qu’on a la distance, l’ironie…
La Brique (Tom)
On peut par exemple aller entarter Doc Gynéco sur France 3, quoi… en direct.
La Brique (Seb)
C’est ça, il y a des interstices aussi dans les médias. Nous on vient d’avoir un petit problème, interne, avec ça : il y a une journaliste qui s’est intéressée à nous… et on a refusé de collaborer avec Canal +.
Nous on est un média qui a 2500 exemplaires [aujourd’hui 5000, ce qui change peu la donne, NDLR], on a un an [aujourd’hui trois], on n’est pas très nombreux (maintenant on est une petite trentaine, mais on a commencé à deux, trois, quatre, cinq…), on fait ça tous les deux mois, et on est très « modestes ». Mais à force de « modestie », on est en train de risquer de se fermer comme une secte, justement. On s’est tellement blindés, par rapport à la possibilité de se faire récupérer à la fin, et aussi à celle de « plastronner », comme des Philippe Val, je sais pas si tu vois qui c’est, le mec de Charlie Hebdo, qui ont toujours dit « je passerai jamais à la télé », et maintenant sont partout à la télé, qu’on en a une légère… prudence.
Noël
Une anecdote, à propos, de Philippe Val, on l’a pris d’assaut, ensemble… (rire) Il venait de faire une conférence, et il venait dans un débat contradictoire avec l’autre charogne, Ramadan, et l’Université Libre de Bruxelles avait interdit que Ramadan vienne, sur l’islamisme. Or, y avait donc un « débat contradictoire », avec… une seule partie en présence. Philippe Val ne s’était pas décommandé, alors qu’on avait interdit que l’autre vienne. Alors nous étions dans la salle, avec un porte-voix, et l’entièreté de la conférence a été perturbée. On a commencé, puis d’autres ont continué. Il a eu du mal à placer une phrase d’un bout à l’autre ! Evidemment, il a accusé les… fascistes et les islamistes d’avoir attaqué ! Charb et Siné sont des potes, qui détestent vraiment Philippe Val, et ils étaient contents d’apprendre ça.
La Brique (Seb)
Oui, ça ne m’étonne pas… Mais Charb, alors, il a de la bonne colonne vertébrale. Parce que depuis le temps, enfin… il est quand même assez proche, comme un « éditorialiste antagoniste » à l’intérieur du journal. Avec sa 4ème de couv’, avant, « Charb n’aime pas les gens », pendant par exemple, les bombes au graphite sur le Kosovo etc, Val était pour la guerre, Charb à fond contre. Mais en même temps, quand ils font des déplacements etc, il est quand même toujours un petit peu… pas en faire-valoir, mais… bien là.
Noël
Ben oui, c’est quand même le rédacteur en chef adjoint, c’est sa survie qui est là… Mais là-bas y a le tiers de la rédaction qui est anti-Val et les deux tiers qui sont, mais alors, pourris… jusqu’au bout des ongles. Charb et Luz nous disaient que Val attendait, mais alors très impatiemment, que Siné « crève »…
La Brique (Seb)
C’est vrai ..? Siné m’a fait flipper, dans le documentaire récent, de Barbet Schröder sur Vergès. Je savais pas qu’il avait été pote avec Vergès parce que je savais pas que Vergès, jeune, avait été aussi… pro-FLN, et engagé finalement.
Noël
Oui, c’est depuis ce moment-là. Et puis, Schröder a gardé ce qu’il a voulu garder. Siné continue à avoir confiance en Jacques Vergès, continue à le considérer, dit qu’il est vraiment d’extrême - gauche. Je suis aussi attiré par Jacques Vergès, en m’en méfiant un peu, il faut faire gaffe, à mon humble avis, mais j’ai toujours pensé… Le fait que Siné soit persuadé qu’il reste du bon côté, malgré tout, hors de toute ambiguïté de toute sorte, fait que c’est probablement ça. Mais euh… il joue tellement avec le feu, Jacques Vergès, que…
La Brique (Seb)
C’est marrant, parce que l’article du Canard Enchaîné sur le film, par exemple, ou bien, c’est ce qu’on peut voir en voyant le film aussi, c’est que tous les mecs à la fin qui sont décrits, surtout les dictateurs qu’il a défendus, ben… il a rarement gagné de procès, finalement. Plus il les médiatise, enfin... moins ça veut dire forcément qu’il est sérieux et carré, efficace. Du coup, on sait qu’en termes d’image ça le paye lui, peut-être ça peut payer à... que ce soit Barbie ou Omar Raddad, les gens qu’il défend, qu’ils soient « gentils » ou « méchants », coupables ou pas coupables, peu importe, en tout cas, visiblement, dans tous les procès qu’il a menés en tant qu’avocat, il en a pas « réussi » tant que ça ! Du coup le gars du Canard enchaîné se foutait un peu de sa gueule, car il disait : avant de dire que c’était un bon vivant, qu’il aimait bien les gueuletons etc, bien manger le midi, ben dans les prétoires à 14h, on le voyait plus souvent ronfler qu’être au taquet sur la prise de notes, etc. Non, je connaissais pas Vergès, mais ce que dit le mec du Canard enchaîné, c’est qu’on dirait un film d’un « amoureux déçu » de Vergès... surtout pendant le générique de fin, il balance tous les connards pour qui il a bossé. C’est assez édifiant. Mais j’ai pas d’avis défini par rapport à ça.
Geoffroy
T’as déjà vu, toi, le document ?
Noël
Je vais tout voir.
La Brique (Seb)
Ça s’appelle L’avocat de la Terreur.
Noël
C’est un cas passionnant... Il a eu le César du document, en France. C’est tout à fait intéressant, Barbet Schröder est aussi... ambigu, lui-même, et douteux que Vergès, mais Vergès reste quelqu’un de totalement passionnant, avec plein de défauts abominables, comme Mocky et quelques autres.
Geoffroy
Qui a eu une vie passionnante, aussi, c’est ça, surtout...
Noël
Oui, la période FLN est la grande période de Vergès.
La Brique (Seb)
Pas que... Ce qui était marrant aussi, c’est toutes les imbrications entre des bouts de l’extrême-droite suisse et les gens pro-palestiniens et tout le terrorisme de gauche à une époque, avant Rouillan, plutôt, les Belges, les Allemands, les Italiens... Toute cette espèce de nébuleuse, là, et qui n’était pas si tranchée que ça. Il y avait des « passerelles », de temps en temps, entre les trucs, qui faisaient que c’était « beaucoup plus compliqué que ça »... Et ça fait déjà longtemps qu’on « sait », moi grâce au travail du dessinateur Willem, notamment. Lui je l’aime vraiment bien, aussi... Ce qui fait plaisir, c’est qu’il parle pas français à la base, mais il écrit en français depuis le départ avec plein de fautes partout et il s’en fout. Moi, ma mère est Allemande, et je reconnais les erreurs de langue, mais c’est bien qu’il ait pas l’inhibition de le faire, et qu’il écrive tout à l’encre de chine tout seul... Je sais pas, moi j’ai vraiment beaucoup appris dans les recherches de Willem, notamment sur toute cette période. Y a eu un petit bouquin bien méchant, aussi, Eliminations, aux Requins Marteaux, et dont la deuxième partie relatait des meurtres politiques qui n’avaient pas (encore) existé : ça commençait genre par Madeleine Albright qui se prenait un coup de marteau, etc.
Noël
Ah, ben chouette !
La Brique (Seb)
Mais ça je ne sais pas si ça a été publié, à la fin, faudrait que j’envoie un courrier à Willem, pour savoir. Parce que je me suis demandé si c’était publiable, en Europe, un truc pareil, ou si c’étaient forcément des espèces de « fatwas » potentielles, des « appels au meurtre » larvés, et peut-être qu’il s’est fait emmerder par tous les éditeurs de France et de Navarre...
Geoffroy
Qui ça ?
La Brique (Seb)
Willem, dessinateur de... qui fait aussi des dessins dans Libération...
Noël
De l’équipe Hara-Kiri, historique...
La Brique (Seb)
Il est Hollandais, fait des dessins assez bizarres.
Noël
Il est formidablement dans le coup, comme Siné, il continue à... il reste totalement...
La Brique (Seb)
Et puis c’est un archiviste fini, lui aussi. Ces petites « notes de lectures » sur les images ou les textes, qu’il y a Libé, à chaque fois, la rubrique « Images ». C’est un fouineur...
Noël
Oui, un sacré fouineur...
La Brique (Seb)
Je suis tombé sur un bouquin, chez un bouquiniste, qui s’appelle la Revue de Presse de Charlie Hebdo, de 1969 à 1981. Là t’as toutes ses chroniques, et de toute l’Europe, on lui envoie des trucs, lui il en cherche perpétuellement, et c’était largement avant Internet. C’est excellent, ces trucs-là, tous ces petits ’zines d’info, de contre-info, de contre-culture qu’il peut ou a pu y avoir en France, en Europe... C’est un fourre-tout. Mais sur cette question de Barbet Schröder, c’était des gars qui ont été témoins de toute cette période d’ « Après-Guerre », avec tous les bordels géopolitiques « Occident-reste du monde ». Moi je suis né en 74, et à l’école, c’est pas là qu’on t’explique tout ça. Tu soulèves un peu la jupe de la « république » française... (sourires), et t’en as pour ton argent !
Sihame
Oh, ben y a la monarchie belge, aussi.
La Brique (Seb)
Y a moyen, oui, il paraît que le père Léopold était l’un des surnuméraires de l’Opus Dei.
Sihame
Tu dis les liens entre Léopold et l’Opus Dei, mais la monarchie a toujours eu des liens avec l’Opus Dei... des liens très étroits.
La Brique (Seb)
Ouais, sans doute, peu ou prou, ils ont intérêt, effectivement... mais c’est juste que l’aristocratie d’une manière générale a l’air moins présente aujourd’hui à Davos, alors que c’est sûr qu’ils n’attendent que ça, revenir.
Noël
Quel est ton rôle dans tout ceci, toi ?
La Brique (Seb)
Moi ? J’avais envie de venir ici poser des questions, pour récolter les réponses et les mettre dans mon journal.
Noël
Ah, écoute, il se passe quelquechose d’extrêmement marrant, mais je vous jure que c’est vrai, je ne me suis pas rendu compte que l’interview avait commencé, et alors là ! C’est comme si on était... au bistrot et tout. Mais, je vois tout d’un coup l’appareil, mais je ne vais pas comm... donc je ne sais pas si c’est assez cl... Je pense que oui, mais c’est à toi que je parlais mais pas du tout, euh...
La Brique (Seb)
Mais c’est pour ça que j’avais demandé au départ...
Nöel
Mais c’est vrai !! C’est la première fois que ça m’arrive de ne pas me rendre compte que je suis en pleine interview ! Je discutais avec toi, je m’amusais très bien, et...
La Brique (Seb)
Ben... j’espère que c’était pas assez « furtif » pour que t’aies l’impression de t’être fait piéger, c’est pour ça, j’avais demandé, tout à l’heure en le posant...
Sihame
Oui oui, mais moi je l’avais vu...
Noël
Je suis toujours bougrement sincère quoi qu’il se passe, mais ça me fait tout drôle... J’espère simplement avoir été assez clair, avoir bien clarifié les trucs quand je les disais comme ça...
La Brique (Seb)
Moi ? Ben pour crâner, je peux dire que je suis co-fondateur de La Brique, mais comme, à part notre expérience pratique, on n’a pas de hiérarchie, on a autant d’ « importance » à arriver maintenant qu’il y a quelques mois...
Sihame
Mais ici c’est quoi ?
La Brique (TomJo)
Ici c’est un cinéma, et là c’est une asso où je travaille...
Sihame
Là c’est toi, hein ? Toi tu es l’asso qui invite à propos de films et...
La Brique (TomJo)
Non, pas du tout, là c’est Seb, avec qui on travaille ensemble à La Brique, le journal.
La Brique (Seb)
Mais je vais t’en filer des exemplaires, tout à l’heure, il y a une copine qui arrive avec des exemplaires - en théorie...
Noël
C’est bien !
La Brique (Seb)
Oui, oui... si jamais elle a pas pu, j’irai les chercher.
Noël
Ben je me réjouis de découvrir La Brique.
La Brique (Seb)
On espère... pas couler trop vite.
Sihame
Et vous en êtes à quel numéro maintenant ?
La Brique (Seb)
On est en train de préparer le n° 7, pour le 29 mars [aujourd’hui le n°26]. D’ailleurs si vous voulez venir le 29 mars, y a une grande fête à la mairie de quartier de Wazemmes, un des quartiers encore un peu populaires, mais déjà doucement « bobo », de Lille.
Noël
Quel est le rythme ?
La Brique (Seb)
Tous les deux mois. Et comme on fait tous ça en dilettantes et en « bénévoles », sauf moi qui fous rien d’autre, donc j’ai le temps de m’en occuper « beaucoup »... Enfin, « beaucoup » : en termes de quantité de travail. J’aime bien, broder autour, et imaginer que je fais surtout ça dans ma vie pour l’instant. Mais, on aimerait bien passer en mensuel assez vite, surtout que maintenant on commence à être assez nombreux pour pouvoir le faire. Et pareil : faudrait qu’il y’en ait un qui soit ou salarié, ou du moins mandaté par tout le monde, ça veut dire qui soit la « pierre angulaire »... Pour l’instant on fait des mandats sur des trucs particuliers : la compta, la diffusion, les rapports entre les rédacteurs et les dessinateurs... mais on les fait tourner, comme ça... les gens peuvent varier les fonctions, et puis y a pas de « spécialistes ».
Noël
Varier les plaisirs !
La Brique (Seb)
Voilà.
Noël
Et ça déborde, de Lille et de la région ?
La Brique (Seb)
Oui, enfin, de la région... pas trop. À Paris, on en vend à Quilombo et à machin, mais c’est surtout des Lillois de Paris qui les achètent. Et c’est toujours en débat, la question « local / pas local »... À la base, quand on l’a fait avec le copain, on a imaginé faire un arbitrage « 2/3 » local, et « 1/3 » national-international. Mais c’est pas possible de faire un truc comme ça, y a pas de « frontières » aux idées, et c’est complètement con dans un sens. En même temps, ça donnait un ordre de grandeur, d’idée. Comme lui est de Lille, et moi ça fait 13 ans, donc je suis aussi de Lille, mais j’ai pas grandi là, j’étais d’abord en région parisienne, y a plein d’autres « lieux » qui me touchent, ma mère est Allemande, je parle plusieurs langues, tu vois, j’ai pas l’aspect « chauvin » de ce « truc »... local. J’essaie de le transcender à fond. Mais en même temps, je m’estime pas non plus pédantement « citoyen du monde », ou je sais pas quoi, le truc « supra-national », « international » ou « cosmopolite » à mort.. Maintenant y a beaucoup de gens qui se la racontent avec ça. Pour moi, y a autant de pertinence de l’un à l’autre.
Sihame
Et vous les vendez où ?
La Brique (Seb)
Ben on les vend à la criée, sur les marchés, dans les manifs...
Sihame
A la criée ?
La Brique (Seb)
On crie des trucs : « Dernière édition avant l’interdiction »
La Brique (TomJo)
On a une série de kiosques sur la métropole.
La Brique (Seb)
Voilà, il y en a une partie, là on en a filé 900 aux Messageries de Presse Parisiennes pour qu’ils les diffusent dans les kiosques autour de Lille, ensuite on a un réseau à nous, de trucs un peu comme ici (sauf qu’ici ils ont pas vraiment vocation à ça), mais dans les bars, le Centre culturel libertaire, des bibliothèques et des librairies, surtout, qui veulent bien nous le prendre en dépôt et le revendre après, et une fois par deux mois, on va les voir avec le nouveau numéro et ils peuvent faire une « marge » s’ils veulent, ou un contrat écrit s’ils veulent, c’est « à la bonne franquette ». Une fois de temps en temps, on essaie de démarcher des nouveaux lieux, au pifomètre, et on s’amuse bien. C’est juste chiant que ça accapare mine de rien du boulot. Et soit on s’ « organise bien », et ça devient un truc chiant, contraignant, « militant », limite « militaire », et... chiant (enfin à mes yeux), soit c’est « à la bonne franquette », et chacun fait ce qu’il peut parce qu’on est bénévoles. Et ça prend du temps, d’en parler, de régler les problèmes, et tout. Bref, si on passe en mensuel, ça sera dur aussi.
Noël
Mais y a des chances que ça arrive...
Geoffroy
Et toi, Noël, t’as jamais eu l’envie de faire un journal ?
Noël
Pas du tout ! Parce que... on ne fait plus que ça, mais je suis prêt à collaborer à... quelques articles, mauvaises feuilles répandant le mauvais esprit. Sans ça, ça me tente pas du tout, oui. J’ai envie de travailler tellement, plus à la recherche de nouveaux moyens de sabotage, d’extension de la guérilla pâtissière, faut « plus agir qu’écrire », même si j’écris beaucoup...
Geoffroy
Tu connais son histoire de « faux chroniqueur » de cinéma ?
La Brique (Seb)
Non, mais...
Noël
Je travaillais pour la seule revue de cinéma existant en Belgique, qui était catho, aussi nauséabonde que Télérama : Amis du Film et de la télévision, et j’écrivais, aussi pour la survie, sous cinq, six pseudonymes et mon nom, c’était la période post-68. Petit à petit, pour être cohérent avec moi-même, j’ai instillé, j’ai saboté méthodiquement mon travail d’andouille critique, j’ai injecté un maximum de faux et bientôt plus que des faux dans mes rubrique de petites nouvelles, et j’ai signé plus de 200 interviews en m’occuppant des questions puis des réponses. Revenant de festivals, un bon tiers des films dont je rendais compte n’existaient aucunement. Il fallait illustrer ça : qu’à cela ne tienne. Photos de famille, on faisait les photos nous-mêmes. Et ce petit jeu a duré jusqu’à la disparition,durant des années, de la revue. Ça n’aurait pas tenu une semaine en France. D’ailleurs en Belgique, ça a duré sans que personne n’en ait la puce à l’oreille, et j’avais été amené à inventer, avec des potes, près de 80 cinéastes. On donnait des nouvelles, régulièrement, pour s’y retrouver, y avait de grands diagrammes...
Geoffroy
Et tu avais inventé une cinéaste aveugle ?
Noël
Viviane Pei, qui réalisait des films magnifiques comme La fleur du lotus n’atteindra pas les bords de ton lit, une Thaïlandaise (rires), et il y a un grand spécialiste du cinéma asiatique, qui est parti expressément à sa recherche...
(rires)
Geoffroy
Et il l’a pris au premier degré !
Noël
Il était furieux, fou furieux. Et il hurlait au téléphone, mais il n’a pas vendu la mèche.
La Brique (Seb)
Ah oui, tu lui as dit ! Il a dû être dégoûté, le pauvre... C’est bon ça !
Noël
Et, tous les trois mois, j’inventais une conversion, tous les trois mois, c’était entre 69 et 1977.
La Brique (TomJo)
Oui, maintenant, c’est plus difficile de monter des canulars, virtuellement, c’était plus facile à cette époque-là...
Geoffroy
Oui, c’était du « hoax » avant l’heure...
Noël
Oui, c’est plus facile maintenant, mais ils tournent à court vite, ils sont percés à jour vite. Et tous les trois mois, j’annonçais, environ, une conversion « miraculeuse », de cinéastes de gauche. Et je n’oublierai jamais, ça m’a valu un des grands moments de ma vie, ce que je lisais dans l’éditorial d’un de nos deux grands quotidiens La Libre Belgique, que Le messager de Joseph Losey, dont j’avais annoncé la conversion, qui avait décroché la Palme d’or à Cannes, le chroniqueur de La Libre Belgique commençait en disant que l’on sentait à tout moment dans le film que celui-ci « vibrait » de foi chrétienne, et qu’on sentait que Joseph Losey s’était vraiment converti. Ça c’était la victoire totale...
La Brique (Seb)
Pas mal. On peut les trouver, ces trucs-là, en archive, quelque part ?
Noël
Un recueil de mes faux est paru, chez un éditeur belge, 200 pages de... un anti-florilège de crack.
La Brique (Seb)
C’est comment, le nom de l’éditeur ?
Noël
Yellow now. Éditeur avant tout de livres de cinéma, en Belgique.
La Brique (Seb)
Et le titre, c’est Recueil... ?
Noël
Non, alors, il peut paraître très péteux, c’est Godin par Godin, mais c’est un pastiche du Godard par Godard, où, sur la couverture, je suis là comme... Godard regardait avec une pellicule, moi j’ai un poireau devant moi, j’ai mes lunettes fumées, et j’ai pris tout à fait l’air de... (rires) Et on les trouve côte à côte, en librairie.
La Brique (Seb)
Bon ben c’est chouette, tout ça, ça fait des bonnes pistes. On s’éloigne de la pâtisserie, mais... finalement pas tant que ça.
Noël
On est dans le... sabotage et le détournement...
La Brique (Seb)
C’était mignon, le petit dessin de HG. Welles, avec l’entartage moderne, avec l’espèce de machine-catapulte, là [cf Bakchich n° 69, 22 fév. 2008, p. 14]
Geoffroy
Ah, la Tartapulte !
Noël
Oui, dans le dernier Bakchich...la Tartapulte, que les compères grolandais ont réellement mise sur pieds...
Geoffroy
Oui, c’est Delépine qui a financé ça.
Noël
Euh, en fait c’est Delépine, l’idée vient de José Bové, et pour le moment elle est à Angoulème chez Benoît Delépine. La seule chose, ce qui s’est passé, je les adore sans réserve, c’est vraiment des grands potes, mais j’aurais été pour que de temps en temps la Tartapulte sévisse sur la scène du réel. Il y a eu la cérémonie Gloup, gloup ! adorable, où des salves de chantilly s’abattaient sur les grosses crapules nominées, c’était naturellement Georges Bush, Poutine, Sarkozy... Mais quand la guerre de l’Irak a commencé, moi j’ai proposé qu’on attaque l’ambassade des Etats Unis avec des tartapultes, pour tirer dessus, et ça n’a pas été le cas. Mais, saboter, ici, semer la perturbation totale dans un événement pète-sec genre la montée des marches à Cannes pour l’inauguration, tout balayer par des salves pâtissières, y a aussi d’autres armes, comme le canon à fromage blanc, qui existe maintenant. Il n’y a pas lieu de désespérer : offensive grolandaise dans la réalité, avec nos armes de destruction massive.
La Brique (Seb)
Ce qui est excellent, c’est qu’il y a une riposte proportionnelle, comme dans l’espèce de dialectique habituelle de l’ « armement », qui va « du glaive au bouclier ». En fonction de l’attaque, la riposte, elle, s’organise, après l’attaque se fait plus féroce, et avec le temps, c’est jamais fini, à moins qu’y en ait un qui meure, ou qu’on passe à « autre chose », comme dans la guerre et la paix. Mais du coup, il y a une telle industrialisation des mecs entartables, que c’est bien de commencer à imaginer une sorte d’extension de l’entartage.
Noël
Oui, des Canadairs... (rires) au fromage blanc. Il y a lieu qu’on en arrive là, enfin je ferai tout pour.
La Brique (Seb)
Oui, il y a de quoi faire, même là, sur la situation lilloise, même Lille 2004, là, les histoires de « culture », derrière lesquelles le pouvoir se drape, c’est quelquechose de très capitalistique, assez dégueulasse. Enfin y a toujours un petit infra-peuple, bien affûté aussi...
Charlotte
Vous en reprendriez ?
Geoffroy
Oh, mais tu peux me tutoyer !
Noël
(reprend du couscous) Oui, oui, j’en ai pris tout plein tout plein, je suis gourmand, une toute dernière petite louche...
Ben évidemment... faut rester... faire bien gaffe de ne pas faire n’importe quoi. Par exemple, ça intéressera La Brique, j’ai des potes qui étaient à deux doigts de se retrouver à la première de Bienvenue chez les Ch’tis, qui voulaient entarter Dany Boon, à la suite de mécontents sur le tournage, y a eu un conflit sur le tournage. Je lui avais quand même déconseillé parce que c’est très vite très mal compris. Bon, Dany Boon, je ne dis pas que... y a eu des dégueulasseries sur le tournage, comme y en a eu beaucoup... et ils ont convenu que ce serait peut-être pas très malin.
La Brique (Seb)
Ben je vais te dire un truc, mais je le couperai certainement, parce que, on est déjà au courant, ça fait style on se fait de la pub, en fait, y a ACriMed ...
Sihame
C’est un bon site, ça.
La Brique (Seb)
Oui, ils sont « carrés »
Notre info avait été répercutée ensuite sur 80 sites en France, parce qu’on a dit qu’on s’était faits interdire de vente à la criée, et c’était le jour du tournage de Dany Boon sur la Grand’Place à Lille. Bon, ça c’était... « accessoire ». Le problème, c’est que c’était surtout une semaine avant les élections de Sarkozy [i.e. Le 15 mai 2007], du coup on avait commencé à vendre le journal sous la Voix du Nord, on avait déjà sorti notre premier numéro, et on avait nos slogans, « rentre dedans » à fond, « dernière édition avant l’interdiction », « dernière édition avant le pétainisme », « dernière édition avant le fascisme », etc. Et les « joyeux » de la Brigade anti-Criminalité, qui étaient à côté, ces espèces de néo-nazes, ils nous ont laissé une demi-heure de battement, pour dire de vérifier si ça allait être le soulèvement si ils venaient nous faire chier, au bout d’un moment y en a un qui est arrivé comme une petite fouine (avec sa sale gueule on l’avait grillé tout de suite) mais il arrive et il nous dit « c’est de la vente à la ’sauvette’, soit on saisit la marchandise, soit vous arrêtez ». Alors on a un doute, sur la jurisprudence française sur les ventes à la criée, est-ce que la liberté de la liberté d’expression est tellement cultivée, « voltairienne », et tout, que normalement ça passe à la trappe, ou est-ce que c’est assimilable à du nougat, des cartes postales, du shit, tout ce que le Fisc est sensé contrôler. Pour l’instant, d’après les mecs qui vendent expressément les canards SDF, les Réverbère, Macadam, les gros journaux qui sont exprès vendus par des mecs qui dorment dans la rue, eux ont eu à l’époque besoin d’une circulaire, un truc dans la poche qui disait que la Mairie autorisait, et ils ont même le papier dans la poche, qui dit que maintenant, y a plus besoin d’autorisation. C’est ni préfectoral, ni municipal. Alors on sait pas, dialectiquement ça avance, on a refait plein de criées depuis, on s’est plus faits interdire (pour l’instant), là les flics passent, ils disent « ah ? c’est quoi ? », mais c’était ça qui était marrant...
(...)
Sihame
Et Le Plan B, vous connaissez ?
La Brique (Seb)
Bien sûr, le rédac’chef, là, Balbastre, il habite juste à côté de là où des copains avaient ouvert un squat. Et on l’aime bien, Balbastre.
Noël
C’est ce qu’il y a de mieux, en fait.
La Brique (Seb)
Sur les médias, oui. Après, CQFD ils sont plus « larges ».
Noël
Ben j’aime bien... CQFD, et Le Plan B avant tout. Plus que le Bakchich.
La Brique (Seb)
Ben Bakchich, on dirait plus un complément du Canard Enchaîné, ils sont plus sur des enquêtes, sur, disons, les rouages de l’Etat et la diplomatie, des trucs comme ça.
Noël
Oui, je crois que Nicolas Beau vient du Canard Enchaîné.
La Brique (Seb)
C’est ça. C’est lui qui fonde le Bakchich, ou il le dirige ? Sinon, Plan B, on a surtout suivi toute l’épopée PLPL, qui a précédé Le Plan B, avec Pierre Carles, Halimi...
La Brique (TomJo)
Ruffin.
Noël
J’aime particulièrement Pierre Rimbert.
La Brique (Seb)
Ouais, le jeune copain à Halimi, je l’ai vu une fois au Méliès, c’est un petit cinéma d’art et d’essai, il était venu avec un autre gaillard, par rapport à un truc, je sais plus, sur le « tout-libéral », un truc comme ça. Lui, c’est un chercheur aussi, je crois que c’est un universitaire.
Noël
Mais là, sur les rouages de Libération, il est vraiment balèze. J’ai plus le titre en tête, mais c’est sur les dessous de Libé, comme y a eu les dessous du Monde.
La Brique (Seb)
Oui, ben là, il y a un mec qui nous a vachement boostés au début, Frédéric Lépinay, qui lui a écrit ce genre de truc après dix ans de salariat là bas, sur La Voix du Nord. Depuis le bouquin sur Le Monde, il a fait un bouquin sur la « face cachée de La Voix du Nord ». Il s’est bien frité avec eux, et il a fondé une petite maison d’éditions qui s’appelle Les Lumières de Lille. Il est assez bavard aussi...
(rires)
Noël
Oui, mais j’aime bien ce genre de bavards abominables... (rires)... c’est riche et bandant ! (rires)
[en partant, bises, etc, et l’entarteur me gratifie de l’ultime salve : « J’ai été absolument ra-vi, c’était une interview très intelligente, tellement intelligente que je n’ai pas toujours tout compris... »]
* QUE QUI PEUT PUISSE !
REALISATION : Geoffroy LE GRELLE , 2008
* Depuis l’interview, Noël Godin a pris en main une chronique anarcho-littéraire pimentée dans “Siné Hebdo”, puis dans “La Mèche”, qu’il continue aujourd’hui dans “CQFD”, dans “Psikopat” et dans le nouveau magazine satirique “Zélium”.
* Image tirée du site http://www.gloupgloup.be/.