Dans « Les petits soldats de La Voix du Nord » [1], une salariée évincée de la rédaction du quotidien témoignait après un an de CDD. Ses attaques sur la primauté du fait divers et les conditions de travail ont suscité de vives réactions, souvent lamentables, de la part de chefs d’agence comme de journalistes.
Le 24 novembre, coup de téléphone. « Gaëlle David ? Pascal Martinache de l’agence de Calais. Vous vous souvenez ? ». Il prévient d’emblée : « Nous aurions dû être bien plus méchants sur votre note de CDD, nous avons été gentils. » La notation de l’agence l’a pourtant empêchée de renouveler son contrat... Puis il déblatère sans lui laisser une seconde de répit. Dans son papier [2], Gaëlle racontait par exemple comment une manifestation calaisienne avait laissé place à un accident de la route en Une du canard, photo malsaine à l’appui. À quoi Martinache rétorque : « Si pour vous un papier sur un accident d’un enfant et de son père n’est pas important, c’est que vous ne comprenez rien au journalisme, vous ne serez jamais journaliste ». Un vrai journaliste préfère le racolage morbide aux mobilisations sociales, c’est bien connu !
Les chefs d’agences voient rouge
Sur la dernière grève des pêcheurs, l’agence lui demandait de mettre l’accent sur les problèmes de circulation provoqués sur l’autoroute ou le tunnel sous la Manche. Martinache se justifie encore : « À Calais, c’est normal de parler du tunnel parce que ce sont des soucis de sécurité. Bah oui. Mais vous n’y connaissez rien ». Puis il nie tout en bloc : « Vous ne connaissez rien des autres journalistes et des CDD. Tout ce que vous avez écrit ce sont des inepties ». Certes, passer plusieurs repas en compagnie de ses collègues n’a pas fait d’elle leur confidente exclusive, mais les soucis d’argent, on en parle à celles et ceux qui sont dans la même galère. Pas au chef d’agence, pas au chien de garde. Au bout de cinq minutes, il lui raccroche au nez.
« Est-il vraiment si facile de cracher dans la soupe après l’avoir bue ? Sans doute, en passant par un rot. Bonne digestion ». C’est Patrick Seghy qui s’exprime, le chef d’agence de Tourcoing, sur le blog de Gaëlle qui a mis l’article en ligne [3]. Ce petit chef qui lui lança alors qu’elle était en CDD : « La politique, c’est pas bon à La Voix du Nord » en y ajoutant un silence lourd de sous-entendus... En clair : garde à vous ! Gaëlle décrivait cette agence comme l’une des plus détestables de La Voix.
Les fayots
Des journalistes, lecteurs et lectrices sont également venus défendre leur maître sur son blog. « Tu n’as certainement pas compris que la PQR (Presse Quotidienne Régionale) doit vendre, qu’il faut te mettre à la place des lecteurs », clame Sandrine. « Enlevez les faits divers d’un journal de PQR, vous allez voir la tronche des ventes. Donc les mettre en une, c’est plutôt normal, non ? Faut bien manger », dixit Micheline.
Puis Geoffroy de Saint Gilles, titulaire à Tourcoing, ne voit pas pourquoi un conflit social prendrait le dessus sur un vulgaire embouteillage : « Tu sembles vouloir faire l’opinion des gens, leur dire ce qu’il faut penser (une grève est plus importante que vos bouchons) », ajoutant « personne ne t’oblige à faire des CDD à La Voix ».
« Sam » y va encore plus fort. Il décèle « une grande frustration » chez Gaëlle : « Tu pensais devenir journaliste à la Tintin ou quoi ? Tu t’es trompée de média alors. [...] Je comprends que La Voix du Nord ne t’ait pas gardée. Tu n’as aucune expérience, des préjugés idiots et infondés sur la presse régionale, tu manques de respect aux journalistes de La Voix du Nord dont je fais partie. Bon vent au pays des Bisounours ». Bon vent dans la presse pourrie, Sami !
La perle revient à « Pieds sur terre », qui met en avant les performances de La Voix, un journal financièrement bénéficiaire aux 1000 salarié.es : « Faut-il mettre en péril tous ces emplois en changeant de ligne éditoriale pour faire plaisir à quelques journalistes bobos ? ». Qu’il ouvre les yeux, les bobos sont à La Voix, et offrent des jeux, du sport et du chien écrasé au populo.
Contrepoids
La seule critique « valable », c’est le fait qu’elle ait avoué avoir glissé aux cheminots CGT être « de leur côté », lors d’une réunion syndicale. Certes, en vertu de « l’objectivité journalistique », c’est « interdit ». Mais face à la subjectivité de La Voix et des médias qui mentent, tantôt méprisant les mouvement sociaux, tantôt se faisant les apôtres de la pensée dominante, la tentation est forte d’afficher un soutien aux grévistes... pour ne pas être reçu en ennemi.
Néanmoins, la majorité des dizaines de réactions - journalistes ou non - confirment la vision d’un journal pauvre en information, racoleur, bâclé. Salarié actuel de La Voix, « un journaleux énervé » témoigne de manière anonyme, de peur « d’être viré ». Il confirme que « nier le fait que La Voix du Nord exploite ses CDD serait vraiment être totalement aveugle (...). Il n’y a rien de mieux pour rendre les salariés complètement dociles et dépendants à leurs chefs (...). Ce sont effectivement des « petits soldats », corvéables et malléables à merci ».
S.G et G.D
[2] La Brique n°10, nov-déc 2008.