Qui a dit qu’on ne pouvait pas surfer sur l’Adriatique ou encore la Tyrrhénienne ? Sûrement ceux et celles qui n’ont pas vu LA vague qui déferle en ce moment en Italie. Si les médias français boycottent les nouvelles italiennes par peur de donner de mauvaises idées, La Brique s’y est intéressée. Par chance, une rédactrice était à Rome. Aperçu d’une mobilisation peut-être plus qu’étudiante...
Mariastella Gelmini et Julio Tremonti sont tous deux ministres du quatrième gouvernement Berlusconi. La première est ministre de l’Instruction, de l’Université et de la Recherche, le second, ministre de l’Economie et de la Finance.
Profitant du farniente estival, le duo a fait voter une loi revoyant à la baisse les « dépenses non productives » [1]. Ici, l’éducation. Et quand les bouchers coupent, ils n’y vont pas de main morte. Retour au maître unique, 87 000 postes de contractuels en cours de suppression, 2 000 instituts en moins, et même le retour à l’uniforme scolaire !
La première et grande victime de cette charcuterie : l’école primaire. Des effectifs par classe augmentés, des maternelles ne fonctionnant plus que la matinée et une réduction du volume horaire semaine passant de 40 heures à 24 heures. Autant de mesures qui ont vite alarmé les différents collectifs féministes sur la mise en péril de l’emploi féminin frappé de plein fouet. Le message est clair : en temps de crise, femmes retournez au foyer ! Le journal La Battaglia comunista y voit même la menace d’un transfert des finances vers les écoles privées et confessionnelles.
Mais les réformes, c’est aussi et surtout le décret 133, appelé « la Gelmini », qui bloque les budgets alloués aux universités et ouvre grandes les portes à la privatisation de ces dernières. Tiens ! On dirait que la mode française [2] inspire encore l’Italie...
« L’automne chaud » bis ! [3]
Pour les étudiant-es, c’en est de trop ! Il faut en vouloir pour étudier en Italie. Ici, pas ou si peu de bourses d’études, pas de chambres universitaires, pas d’aide personnalisée au logement (APL), ni de tickets RU à 2,75 euros... Ah ! Ça les fait bien rire ici. Dès la rentrée universitaire, les premières assemblées générales et blocages d’universités s’organisent. La danse est ouverte par Pise et Florence, vite rejointes par les autres villes universitaires. C’est la mobilisation générale et nationale avec la ferme intention de « ne pas payer la crise ». La vague est née, et la marée monte. Les étudiant-es commencent à déambuler dans la rue, dès octobre, soutenant les revendications des travailleurs qui multiplient eux aussi les grèves et manifestations. Le mot d’ordre est de bloquer le pays et, pour cela, d’être solidaire des autres mouvements.
Surf sur la vague internationale
« La vague est un mouvement crescendo, qui monte, monte, et finit par tout engloutir sur son passage », nous explique Simone, étudiant en Lettres à l’université de la Sapienza. « Nous voulons que cette vague soit présente à l’échelle nationale et même internationale », ajoute t-il.
L’onda anomala (« la vague anormale ») où toute une génération qui se rebelle et se lève contre « la précarité à durée indéterminée, unique certitude de notre génération ».
Le recueil intitulé « L’esercito del surf, la rivolta degli studenti e le sue vere ragioni » [4] (« L’armée du surf, la révolte des étudiants et leurs vraies raisons »), connu de la majorité des étudiants, présente avec ironie le malaise d’une génération, celle des jeunes précaires. L’introduction en dit d’ailleurs long : « Les étudiants sont aujourd’hui en Italie, après les Roms et les Roumains, la catégorie sociale la plus méprisée ». Les auteurs ? La réponse est un peu floue. Un collectif sans nom et sans étiquette politique ou syndicale.
Tout est « auto »
Bloquer pour annuler la loi, oui, mais pas seulement. « Auto-formation, auto-organisation, autonomie... », voilà les mots d’ordre de l’assemblée nationale de l’université et de ses ateliers de réflexion. Les étudiant-es réclament le retour d’une conscience critique propre qui ne peut passer que par l’autonomie, à commencer par celle du mouvement lui-même libéré de n’importe quel parti ou représentant. Si les étudiant-es participent aux manifestations souvent appelées et menées par la CGIL, notre CGT, c’est de façon indépendante et en marge, pour revendiquer leur auto-organisation.
Même si les références à 1968 ou 1977 sont présentes, qu’on ne s’y méprenne pas : « Ici, il n’y a pas de réel groupe autonome radical, mais avec le temps et le manque d’issue, ce n’est pas inimaginable », confie Simone.
Vers l’auto réforme
Le 14 novembre, tous les groupes étudiants, venus de toute l’Italie, s’étaient donnés rendez-vous pour une manifestation nationale auto-organisée au cœur de Rome. Quelques slogans appellent à un mouvement large (et dans ses rêves, sans conflit...), comme « ne rossi, ne neri, solo liberi di pensieri »« Ni rouges, ni noirs, seulement libres de penser », en référence aux affrontements Piazza navona où un groupe de jeunes fascistes s’en est pris aux lycéens et étudiants qui manifestaient.. Le rassemblement se termine alors en sit-in, mais trop nombreux par rapport aux rues trop petites, les groupes retournent vers la Sapienza où se tient pendant deux jours une assemblée nationale. Pendant sept heures, le 15 novembre, cent intervenants des différentes délégations se suivent et présentent leur projet d’auto-réforme.
Parmi les propositions récurrentes : autonomie de la recherche, attribution de bourses aux doctorants, contractualisation de leur prestation, dépassement des discriminations en tout genre.
Les résultats de ces ateliers sont directement mis en ligne [5] et sont encore en « travail ». Dans les lignes et non « entre », un appel à la rébellion contre le contrôle des esprits et le formatage scolaire. C’est beau, réfléchi, mais de la théorie à la pratique le pas n’est pas encore franchi. Le mouvement risque peut-être de s’essouffler par trop d’émulations oratoires et manque de résultats concrets.
Que la fête commence !
La résistance passe aussi par la fête, ça fait pas de mal et autour d’un verre, on resserre les liens, on refait le monde. En soutien au mouvement a eu lieu un événement plutôt politique qu’artistique, le 18 novembre à la Sapienza. Entrée à prix libre, 15 000 personnes en tout et 26 groupes de musique, tous venus gratuitement. De quoi remotiver ceux et celles qui n’y croyaient plus. Même le journal télévisé de la Rai 3 (la moins berlusconiste) en a fait de la pub.
Outre les moments festifs, la présence se matérialise par des communiqués, des actions plus ponctuelles comme l’occupation de la bibliothèque ou d’un théâtre, la réquisition de repas gratuits, le boycott de l’ouverture de l’année académique. La dernière manifestation en date, c‘est la grève générale du 12 décembre 2008, car « les travailleurs précaires ce sont aussi et surtout nous ».
Que dira 2009 ? Pour le moment le gouvernement tient tête et renforce les troupes de l’ordre. Berlusconi a déjà menacé de faire appel à la police pour déloger les étudiants. Dans une interview, l’ancien président de la république, Cossiga, donne ses petites recettes pour étouffer et faire mourir les mouvements grâce aux menaces et à la violence. Les étudiants, quant à eux, commencent à se fatiguer. Mais les dernières vagues contestataires, notamment celle de Grèce ou ici en France, donneront peut-être plus de raison d’être à « l’internationale surfiste ».
M-H.F
Numéro 11, janvier 2009.
[1] Selon le journal Battaglia comunista, numéro 10, Octobre 2008.
[2] Résonnances avec la LRU de 2007. Et dire que l’ Italie a toujours jalousé la haute couture française !
[3] En 1969, les revendications salariales sont rejointes par celles des étudiants qui réclament la généralisation du droit à l’étude.
[4] L’esercito del surf, la rivolta degli studenti e le sue vere ragioni, DeriveApprodi, Roma, novembre 2008.