Neuvième fortune mondiale avec 25 milliards d’euros en poche : les Mulliez ont la vie belle grâce à des centaines de milliers de salarié-es à leur service dans des milliers de magasins. Le clan a mis au point un modèle d’enrichissement rapide, en combinant une structure financière complexe, une forme de capitalisme pur sang et un système d’exploitation du travail à outrance.
Le groupe Mulliez n’existe pas, officiellement. Il y aurait différentes entités séparées : Auchan, Décathlon, Tapis Saint Maclou, etc. Dans La richesse des Mulliez, Benoît Boussemart démontre qu’il n’en est rien. Derrière tout un puzzle de centaines de sociétés que la tribu Mulliez s’est amusée à créer, c’est bien un empire économique unifié qui est dévoilé. Ils ont été imaginatifs : des entreprises, contrôlées par des sociétés (des sous-holdings), contrôlées par des sociétés (des holdings opérationnelles), contrôlées par des sociétés (des holdings intermédiaires), contrôlées par des sociétés (des « sociétés en commandite par actions », SCA), contrôlées par des sociétés (des « sociétés civiles ») [1] .
Le grand chemin du profit
Si ces petits malins tentent de brouiller les pistes, les bénéfices remontent bien tout en haut de la pyramide, sur les comptes de 280 sociétés civiles contrôlées par le clan Mulliez [2] . L’ensemble est cadenassé par l’Association Familiale Mulliez. Celle-ci n’a pas d’existence officielle et ne possède rien, mais est néanmoins le cercle de décision qui définit les clauses et les valeurs catholiques à appliquer à toutes les sociétés du groupe.
Ainsi, chacune d’entre elles possède la clause « Mulliez-Lestienne », signifiant que tous les titres doivent rester dans les mains des descendant-es Mulliez : il faut du sang familial pour intégrer l’empire. C’est pourquoi les petits doivent se marier entre eux, ou presque... B. Boussemart, que nous avons rencontré, parle d’une politique d’endogamie sur critères familiaux et démontre que « cela fonctionne comme un clan, au sens anthropologique du terme ». Heureusement, il est parfois accepté de se marier avec des descendants de grandes familles : « On a quasiment tout le gratin du grand patronat qui est représenté dans le clan Mulliez ! ». En effet, toute la bourgeoisie textile de Lille-Roubaix-Tourcoing l’a intégré : les Motte, Roussel, Lepoutre, Prouvost, Toulemonde, Dufour, etc. Gérard, le grand chef, a donc réussi à ce que l’empire perdure aujourd’hui, avec 300 familles issues de la généalogie Mulliez.
« Gérard Mulliez, c’est un peu le seigneur, c’est pour ça que je parle de féodalisme, en terme de rapport de pouvoir, avec des vassaux, etc. Il y a une certaine hiérarchie au sein du clan ». Derrière Gérard, le pape, on trouve quinze barons, des directeurs et gestionnaires et une majorité de rentiers. Un empire familial qui façonne un véritable « réseau » : « En économie, on appelle réseau, une mafia qui a réussi et qui a pignon sur rue, et c’est ça ». Un clan mafieux féodal ? On brûle...
Fuir les impôts
Ce système financier et clanique d’apparence complexe possède plusieurs avantages. Pas de mise en cause du groupe Mulliez lors d’un plan social. Pas besoin de comité d’entreprise, ni de syndicat à l’échelle du groupe. Pas de réelle conscience des salarié-es d’être rançonnés par la 9ème fortune mondiale. Pour couronner le tout, de multiples avantages fiscaux : régime d’imposition avantageux lors des fusions entre sociétés, diminution de l’impôt sur les plus-values, et pour chacun des Mulliez, forte réduction de l’impôt sur la fortune (ISF) : étant gestionnaires de leurs sociétés, leurs capitaux sont considérés comme un outil de travail et ne sont pas soumis à l’ISF !
Pourtant, soixante ménages Mulliez ont préféré passer la frontière pour ne pas laisser une miette au fisc... Comme des dizaines de sociétés établies en Suisse, au Luxembourg, aux Pays Bas, et surtout en Belgique. Car d’après l’économiste, « le meilleur paradis fiscal, c’est la Belgique. Pas d’impôt sur les plus values, ni en terme de propriété ou de succession : c’est génial ! » Récemment, le mouvement s’accélère : « Ils sont en train de transférer vers la Belgique tous les fonds, malgré le bouclier fiscal ! Sur les cinq derniers mois 2008-2009, ils ont transféré 2,5 milliards de titres des SCA. » À ce jour, plus de trois milliards d’euros sont officiellement placés au Bénélux.
Des Mulliez à chaque coin de rue
En trente ans, le clan a construit un réseau tentaculaire d’hypermarchés et de supermarchés de toutes sortes, installés par milliers en France (4 600) et dans le monde (2 440). Un véritable maillage des territoires conquis, avec notamment une omniprésence des magasins Mulliez dans la vie de chaque Français-e : des couches-culottes aux maisons de retraite, en passant par les poches de sang, avec une surface équivalente à quatre millions de mètres carrés et 300 000 salarié-es. Un chef-d’œuvre de l’absurdité capitaliste.
L’empire Mulliez s’accroît de jour en jour, lui permettant d’établir un rapport de force grandissant avec l’État [3], les services fiscaux, les médias et ses fournisseurs. En résulte des marges toujours plus importantes. C’est l’effet « boule de neige » : accumulation de profits, achats de terrains, constructions de super-temples de la marchandise, etc. La machine est rodée et ne s’arrête plus. Et tout cela sur fonds propres, sans emprunter un sou...
Capitalistes pur jus
Leur fortune double tous les cinq ans depuis trente ans : 310 millions en 1978, 25 milliards en 2008 [4] . La « crise », ça les fait bien marrer ! Puisque l’exploitation capitaliste commence à trouver ses limites en Occident, ils s’emparent des territoires d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie surtout. À la clef, de nouvelles forces de travail à exploiter et des débouchés pour leurs marchandises. L’activité d’Auchan hors de France est ainsi passée de 30 % de son chiffre d’affaire en 2000, à 50 % en 2007. Décathlon n’a pas attendu : depuis des lustres ses produits sont fabriqués dans le tiers monde.
Selon B. Boussemart, « ce « bon » capitalisme [des Mulliez] exploite comme l’ensemble du patronat ; il est familial par idéologie et intérêt ». Car pour eux, « chaque jour que Dieu fait, c’est tout bénéf ! » [5] : crise ou pas, Auchan vise les cent milliards de chiffre d’affaire en 2015... À moins que certain-es ne se décident à leur mettre « un poing d’arrêt », aux Gérard, Gonzague, Patrick, Vianney et tous les autres.
NB : Les informations et les citations sont tirées de La richesse des Mulliez (Éditions Estaimpuis, nov 2008) et d’un entretien avec l’auteur Benoît Boussemart, économiste.
Si le nom des Mulliez ne vous évoque rien...
Phildar, Auchan, Décathlon, Boulanger, Kiabi, Norauto, Midas, Leroy Merlin, Tapis Saint-Maclou, Picwic, Brice, Pimkie ou encore Camaieu devenu Jules, vous parleront sûrement plus.
Ajoutons à cette liste : Maco pharma, Kiloutou, Top office, Electro dépôt, Atac, Bricoman, Bricocenter, Déco services, Cosily, 1000 tissus papiers peints, Cultura, Pic pain...
N’oublions pas le groupe Agapes (numéro deux de la restauration spécialisée en France, regroupant Flunch, Pizza Paï, Amarine, Les Trois Brasseurs, et So good), la banque Accor, les maisons de retraites « Les Orchidées », la presse catholique qui survit grâce à eux (La Croix du Nord, du Midi, et du Jura, La Voix du Cantal, La Vie Quercynoise, Le Rouergat, etc.).
Et ajoutons leurs 43% de participation dans le capital des 3 Suisses, et les quelques Quick et Mac Do franchisés, et tant d’autres...
Les Mulliez dans le Nord
En 2008, la présence de leurs enseignes dans le Nord-Pas de Calais est quasi dix fois plus importante que dans les autres régions. On y dénombre 41 Phildar, 18 Auchan, 17 Décathlon, 13 Boulanger, 13 Leroy merlin, 18 Norauto, 22 Flunch, 10 Saint-Maclou... Avec des parts de marché deux à trois fois supérieures au reste du pays.
La majorité écrasante de leurs sièges sociaux sont implantés dans un rayon de 10 km autour de Lille. À Croix, le siège social d’Auchan et des 3 Suisses. À Lille-Lezennes, celui de Leroy-Merlin. À Roubaix, ceux de Phildar et Jules. À Wattrelos, celui de Tapis Saint-Maclou. A Villeneuve d’Ascq, ceux de Décathlon et Agapes...
Mais surtout, les Mulliez sont le premier employeur de la région, en exploitant plus de 20 000 travailleurs et travailleuses, dont 14 000 chez Auchan, et auxquels il faudrait ajouter les 50 000 salarié-es de leurs sous-traitants*. Soit 70 000 personnes aux ordres des Mulliez dans le Nord...
* Selon une estimation de B.Gobin dans Le Secret des Mulliez.
[1] Grosso modo, les « holdings », « sociétés civiles » ou « SCA » sont des sociétés financières qui détiennent des parts de capital de plusieurs entreprises, et les dirigent en sous main.
[2] Les 280 sociétés civiles possèdent l’ensemble des titres des sept SCA (Acanthe, Cimofat, Valorest, Valma, Cimoflu, Soderec et Claris). Avec les SCA personnelles comme celles de Gérard Mulliez (Ausspar) ou de Michel Leclercq (Afir), elles concentrent l’ensemble des capitaux du groupe.
[3] Les entreprises Mulliez (comme bien d’autres) obtiennent des subventions de l’État français : par exemple, 34 millions d’euros au titre de l’exploitation entre 1999 et 2006.
[4] Selon les calculs de B. Boussemart. Il précise que cette estimation est minorée, ne prenant pas en compte les dividendes versés à la famille et non réinvestis dans les sociétés du groupe.
[5] Une inspiration de M. Prévost (petittheatredemauroy.zeblog.com)