Des cinés, pas des ersatz !

hybrideMi-janvier l’annonce résonne comme un coup de tonnerre : le cinéma tranquillou de la rue Gosselet, avec ses canap’ et sa Duvel à la pression risque la fermeture. Sur son site internet, L’Hybride appelle aux dons et pétitionne pour sauver sa toile. Les plaintes de voisinage, les normes de sécurité et d’insonorisation, la concurrence de Lille 3000 et des cinés commerciaux posent question : quelle ville on veut ?

 

Le cinéma L’Hybride a été créé en 2007 avec une programmation qui ne se limite pas à des projections. Elle fait rapidement sa place dans la métropole : les nombreux bénévoles assidus, un public régulier et hétérogène, des rencontres avec des réalisateurs (René Vautier, Adam Elliot, Enki Bilal, Alain Damasio s’y sont succédé) sont une autre façon de vivre le cinéma. Les canapés en guise de sièges et les murs en briques finissent de planter le décor pour visionner courts métrages, films d’animation, documentaires, cinés-concert, et en discuter au bar, en contre-champ du silence religieux imposé par les salles commerciales.

À quelques hectomètres de là, le cinéma L’Univers s’est fait une place dans le quartier Moulins : « Attention, on n’est pas un cinéma, rectifie tout de suite Julien, salarié de L’Univers, on est plutôt comme un centre culturel, avec une gestion mutualiste du lieu ». C’est ici qu’on y a vu pour la première fois dans la métropole Les nouveaux chiens de garde en présence du réalisateur Gilles Balbastre. Les entrées à prix libre, la salle d’expos, les stages de réalisation de films avec les écoles, le ciné-club pour les gamins du quartier, et le fait qu’il n’y ait pas de programmateur à part les associations adhérentes en font, comme L’Hybride, un lieu unique en France.

À travers leurs programmations jeunesse, tous deux ont « une complémentarité très importante, précise Julien. On veut faire du collectif de façon efficiente. L’Univers soutient totalement L’Hybride dans sa volonté de continuer ».

Une culture à défendre

La propension naturelle du cinéma à avachir les corps et les esprits n’est peut-être pas une fatalité. À L’Univers et L’Hybride – mais on pourrait citer aussi le Kino ou le Méliès à Villeneuve d’Ascq – on est loin de la marchandise cinématographique déversée dans des lieux aseptisés : « L’Univers est un lieu. La gare Saint Sauveur ne l’est pas, c’est un lieu uniquement fonctionnel, sans histoire, dédié à l’évènementiel et à la consommation » souligne Julien. Toute la différence est là. Le directeur de Lille 3000 Didier Fusillier se gargarise de « privatiser l’espace public ». Quand il transforme la ville en parc d’attractions pour en faire une métropole « attractive », son joujou Saint Sauveur s’ajoute aux salles de concert avec rebelles calibrés sur scène et videurs à l’entrée, ou aux duplex uniformes, véritables supermarchés du cinéma-purée, pré-mâché et pré-digéré.

Bien sûr, la Ville, la Communauté urbaine ou la Région subventionnent L’Hybride et L’Univers. C’est qu’elles reconnaissent le travail qu’ils font. Et à juste titre. Mais pour 40 000 € filés à L’Univers, la Ville en donne deux millions à Lille 3000. Tout est dit. D’un côté, on a des assos qui se démerdent avec des bouts de ficelle, des contrats aidés, des heures supp’ et des bénévoles qui y croient dur comme fer. De l’autre, on a des mastodontes, des Grand Stade, des Louvre-Lens, des infrastructures réservées aux concours d’élevage d’humains (ou Jeux Olympiques) ou à la bourgeoisie pomponnée. Après tout, 0,5 % du budget de la culture de la Mairie ne permettraient-il pas de maintenir les salariés sur des contrats hors de l’incertitude et de la précarité ?

Le 22 février, le site du Nouvel Observateur publiait une lettre de Thomas Gouritin, du webzine Time To blast, à destination de Martine Aubry. En réaction à l’interdiction pour La Chimère de faire des concerts après 22h à cause du bruit, et à la menace de fermeture qui plane au dessus de L’Hybride, il envoie ce boulet de canon : « Les grands programmes culturels permettant de rapprocher les citoyens autour de grandes communions artistico-populaires comme Lille3000 ont porté leurs fruits, dîtes-vous ? Pour une certaine catégorie de "professionnels" de la culture, experts fumeux de tous bords artistiques trendy et tellement conceptuels, peut être. Certes la Lille Art Fair ou les événements de Lille3000 (et bientôt Fantastic en 2012) drainent un public nouveau à Lille, certainement plus intéressant économiquement que les publics des petites salles qui se battent pour exister. » [1]

Une hostilité dans les parages ?

La police est venue l’été dernier, et plus récemment lors du Festival International du court métrage à L’Hybride. Lors de la première soirée du festival, des bénévoles sont interrogé-es, la salle contrôlée et plusieurs avertissements tombent pour le bruit. Depuis, les contrôles sont intempestifs. On reproche à l’Hybride des « nuisances sonores » pourtant relativisées par la plupart des voisins. Le procédé n’est pas nouveau : bars et autres lieux culturels remuants subissent régulièrement les foudres de voisins susceptibles ou des contrôleurs de la bureaucratie sanitaire et sonore. Même scénario pour le Détour, le Resto Soleil, le Modjo, le Salsero, La Chimère ou le Carré des Halles il y a quelques années, régulièrement visités par des tripotées de fonctionnaires rigides, et obligés de débourser des mille et des cents pour survivre. Au Tripostal ou à Saint Sauveur par contre, l’Hygiène et la Sécurité étaient moins pressées de faire appliquer leurs normes. [2]

La question posée est : comment fait-on pour vivre dans une métropole qui se veut de plus en plus « intense », selon une délibération de LMCU [3] ? Le bruit est partout. Il vrombit sur les routes. Il vend des cochonneries et adoucit les mœurs dans les couloirs du métro. Il beugle les soirs de beuverie rue Solférino. Il sort des postes de télé pour obstruer toute communication véritable. Ici il est souhaité, là il est réprimé. Pour devancer les problèmes, L’Univers a pris l’initiative de rencontrer les voisins de la rue Danton et d’inviter la mairie. Un accord a été trouvé, en intelligence et en dialogue. Le problème sera plus coûteux pour L’Hybride qui fait face à un souci d’infrastructure que ne connaît pas L’Univers.

Quel avenir pour L’Hybride ?

Le montant des travaux d’insonorisation et de sécurité s’élève à 100 000 euros. Sommée d’effectuer les travaux au plus vite, l’association négocie un report à l’été prochain pour ne pas interrompre la saison ni plomber définitivement son budget. Finalement, on se demande si le sauvetage de L’Hybride ne se fera pas exclusivement grâce aux dons de son public, particulièrement réactif et consterné face à la sérieuse menace qui plane. Environ 15 000 euros à ce jour ont été trouvés. Avec la contribution des sérigraphies du Cagibi vendues cinq euros en soutien.

Quant aux partenaires institutionnels (comme on dit dans le jargon associatif), rien ne laisse présager pour le moment un apport financier exceptionnel. Un élu du conseil régional préférait encore, lors de la réunion publique du 25 janvier à L’Hybride, rappeler les milliers d’euros consentis aux salles privées pour leur passage au numérique. A priori, dans son argumentaire, ce n’est pas légitime de participer aux mises aux normes du lieu, parce que loué à un bailleur privé – comme c’est le cas pourtant du Tri Postal loué à RFF. Néanmoins, en gage de soutien et de fidélité à l’association locataire, le propriétaire de L’Hybride a prolongé le bail de dix ans tout en abaissant le prix du loyer. Ce qui pourrait faire changer d’avis Mairie et Conseil régional. En attendant, public, bénévoles, salarié-es, partenaires de programmation ponctuels ou plus réguliers sont, eux et elles, unanimes : l’Hybride ne doit pas fermer !

Greg & tomjo

Notes

[1« Lettre à Martine Aubry et Daniel Delaveau : sauvez la diversité culturelle », leplus.nouvelobs.com.

[2« Lille 3000, l’envers XXS d’un décor XXL », La Brique n°27, mai-juin 2011

[3« Faire la ville intense », délibération du 26 juin 2009.

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