Le GENEPI et Trait d’Union sont deux associations. La première anime des ateliers socioculturels en prison (sept prisons sur la vingtaine de l’interrégion nord), la deuxième accompagne les familles aux parloirs d’Annoeullin. Des bénévoles racontent leurs difficultés à travailler sans subir l’administration pénitentiaire.
Bernadette, bénévole depuis vingt ans à Trait d’Union, parle des changements depuis la fermeture de la prison de Loos et le déménagement à Annoeullin : « À Loos, nous assurions tout au niveau de l’accueil des familles et le personnel pénitentiaire n’était pas présent. Il n’y avait pas d’ambiguïté avec les familles. Aujourd’hui, les familles voient d’abord des surveillants et il y a également Themis qui est là... » Les bénévoles de Trait d’Union doivent trouver leur place : « Il n’est pas évident de mettre en avant notre différence avec l’institution pénitentiaire. » Les salariés de Themis [1] doivent « assurer le bon déroulement du parloir au niveau des règles de sécurité et Trait d’Union est là pour l’accueil des familles ». C’est la confusion.
Résultat, Trait d’Union se démarque par une étiquette « bénévole » sur leur poitrine et « les salariés de Themis se demandent à quoi ils servent avec nous à côté. » Elle évoque également la difficulté pour se rendre à la prison : « Pendant la construction personne ne s’est demandé s’il y avait des transports pour aller dans cette ville ! Il n’y a pas beaucoup de bus et pendant les vacances c’est pire. Aux parloirs on peut facilement prendre du retard alors que les bus ont des horaires à respecter. Les familles attendent une heure... Ça peut prendre la journée. Sinon il faut venir à pied du centre ville, mais il n’y a pas de route aménagée, pas d’accotement ni d’éclairage. »
Du côté du bâtiment, l’architecture des parloirs a sous-estimé les vies sociales des détenu-es. « La salle des familles n’a pas été construite assez grande, ils n’ont pas tenu compte du nombre de familles qui passent dans la journée. Les parloirs sont des petites pièces, pour trois personnes. À Loos, il y avait des salles plus grandes qui servaient de parloir familial avec des jeux. À Annoeullin ça n’existe pas. Si une maman a quatre enfants, elle est obligée d’en laisser un de côté. » Trait d’Union avait envisagé de permettre aux enfants de rentrer avec des jouets mais l’initiative s’est transformée en mission impossible : « Pour les surveillants, c’était compliqué parce qu’il fallait qu’ils donnent et qu’ils reprennent les jouets. Comme le personnel a plein de choses à faire, il ne peut pas gérer cela. L’opération s’est avérée trop compliquée. » Malgré cela, Bernadette pense que les relations avec l’administration pénitentiaire sont « bonnes ». « Ça ne bouge pas automatiquement, il faut s’obstiner mais généralement nous sommes entendus. » Entendre, certes... Agir, c’est autre chose.
Du côté du GENEPI, l’entente avec l’administration d’Annouellin est au point mort : « On a envoyé une lettre pour le démarrage des ateliers, on est toujours sans réponse. » Tous les ans, « il faut renégocier, c’est toujours la même chose. Ils sont vraiment paranoïaques. » À Sequedin : « Cette année on nous interdit de faire des interventions socioculturelles. On nous a dit que nos ateliers étaient ’’trop exotiques’’. Le GENEPI est perçu comme un prestataire qui doit combler les manques de l’administration pénitentiaire ou de l’Éducation Nationale. Tout ce qui est musique, peinture, dessin, théâtre, c’est impossible. Nous n’avons le droit de faire que du scolaire. On arrive sur place et on nous dit : "aujourd’hui vous faites des math et du français". » Pour chaque atelier « l’administration se réserve le droit de retirer des personnes des listes sans nous demander notre avis. Chaque semaine il faut demander sa liste et pourquoi untel n’est pas là. On te dit qu’il a pas envie de venir mais c’est surtout que les détenus ne sont pas appelés par les surveillants, qui ne veulent pas aller les chercher ».
Il faut aussi être vigilant-e à ne pas être trop humain-e : « Il y a des bénévoles qui se font retirer leur droit d’intervenir parce qu’ils ont fait la bise à un détenu à Noël par exemple. Les surveillants n’aiment pas les contacts donc si y en a un qui passe et regarde dans l’œilleton au moment où tu as ta main sur l’épaule d’un détenu, ça pose problème. » Les genepistes interviennent également à Quiévrechain, établissement pour mineurs : « Il y a beaucoup d’éducateurs mais ça reste une prison. Lorsqu’on fait une activité là-bas, un éducateur ou un surveillant reste avec nous pour surveiller ce qu’on fait. »
Le GENEPI est aussi muselé, pas question de parler en toute franchise à la presse : « Souvent nous faisons de la langue de bois […]. On dit tout ce que fait le GENEPI et à quel point c’est génial en omettant tout ce qui ne va pas. On ne dit pas que c’est l’horreur, on dit que c’est un peu tendu alors que ça l’est beaucoup... Il y a des choses qui ne se disent pas et qui ne peuvent pas se dire, on ne peut pas parler de grand-chose ni le dire comme on veut. » Entre lassitude de l’administration et contrôles permanents, la situation est devenue critique au point que le groupe local se retrouve « tenté d’arrêter toutes nos interventions, comme l’a fait le groupe local de Bordeaux. À Sequedin les conditions d’interventions sont inacceptables. On nous a demandé de participer aux instances d’évaluation, aux conseils de discipline. Nous ne sommes pas là pour ça. »
Une association presque déjà absorbée par le privé, une autre en difficulté croissante, deux méthodes de dissuasion qui n’ont qu’un seul résultat : couper les détenu-es de toutes activités ou relations extérieures à la pénitentiaire ou à une entreprise marchande.
[1] Voir le lexique.