Sur le port, une étrange vision dans le bassin Napoléon : deux bateaux de pêche attendent la casse tandis que, tout autour, de nouveaux bateaux prennent place : la plaisance et le tourisme. Les nouveaux dadas des politiques.
1991. Guy Lengagne, maire de Boulogne et ancien ministre de la pêche, inaugure le Centre national de la mer, Nausicaá. Sorte de zoo de la mer avec requins, manchots, poissons clowns, etc. Autre attraction, un bateau de pêche artisanal « muséifié ». Depuis Nausicaá ne cesse de s’agrandir. Il est aujourd’hui question d’un Nausicaá IV. Cent millions d’euros pour un doublement de la surface du site avec pour objectif d’en faire « le premier aquarium d’Europe et le troisième à l’échelle mondiale » [1] et de passer à un million de visiteurs par an contre 600 000 aujourd’hui. Dans cette course au gigantisme, la « novlangue » des politiciens ne manque pas de superlatifs à l’instar de Daniel Percheron qui parle carrément de « Louvre de la mer » [2].
Dans cette lignée, les projets s’enchainent : aménagement des berges de la Liane en « pistes cyclables, piétonnes, circulations douces », construction d’un nouveau centre nautique (canoë-kayak) et enfin l’aménagement de la place de la République autour du Casino Partouche. On y prévoit une résidence hôtelière deux et trois étoiles ainsi qu’un hôtel quatre étoiles avec 1 000 m2 de bureaux et des activités en rez-de-chaussée. Le tout édifié en lieu et place d’un symbole de l’histoire boulonnaise : l’hôtel-restaurant Les Gens de Mer qui depuis 1946 accueille les marins de passage. Dernier espace convoité : le site de l’Éperon. À la place de l’ancienne gare maritime, il est question d’y installer aussi des hôtels, des logements, et une énorme tour en guise de doigt d’honneur aux derniers bateaux de pêche qui rentreront au port.
Avec tout cela, quelle est la prétention touristique de Boulogne ? Sûrement pas le tourisme de loisirs quand on sait que la plage a été allégrement polluée par les APO* [3]. Pour le Comité régional de tourisme, la nouvelle cible c’est le tourisme d’affaires lié à l’activité de Capécure* pour distraire et faire consommer entre les visites d’entreprises et les séminaires.
Green killing
En ces temps incertains, il y a encore une valeur bien cotée : le durable, avec l’installation au large de la Manche d’une Aire Marine Protégée (AMP). L’idée est née du Sommet pour l’environnement de Johannesburg (2002) et prévoit l’établissement d’AMP sur 20% des océans du monde. Le Parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale vient d’être inauguré en décembre 2012 et il s’étend sur 118 km de côtes d’Ambleteuse au Tréport. Or cette zone coïncide avec les zones de la petite pêche.
« Ce qui est dangereux pour nous, explique Émilie, c’est cette zone sur toute la côte. C’est là où on pêche, donc qu’est-ce qu’on va faire ? » C’est la question que se pose aussi Thierry : « On ne sait pas nos droits, est-ce qu’on a droit de pêcher ? » L’inquiétude monte. Les Anglais ont déjà mis en place des AMP. Résultats : « On se retrouve en surexploitation sur une zone ». Ces espaces se retrouvent artificialisés à cause de l’idée même que se font certains d’une nature vierge, désincarnée et où finalement le contrôle humain est encore plus pesant. Émilie le rappelle : « On pratique la pêche la plus écologique car la plus artisanale. La mer, c’est notre métier depuis des générations et la ressource on en prend soin ».
Mais alors qui veut la mort de la petite pêche ? Personne si l’on écoute l’Office du tourisme : « La pêche hauturière représente un véritable atout touristique, on vient de loin pour acheter le poisson et retrouver l’ambiance du quai Gambetta avec les poissonnières et les bateaux qui débarquent le poisson ». Comprendre : folkloriser le quai Gambetta, pour la photo-souvenir... sans le sourire des poissonnières.