« Vous avez cassé, monsieur, vous avez cassé.
– Moi je suis fier, monsieur, d’avoir redonné de la dignité, d’avoir permis à des ouvriers de relever la tête ! » (Mots Croisés, FR. 2, 07/09/09)
Echanges vifs à la télé. Xavier Mathieu, délégué CGT de Continental Clairoix [1], face à Frédéric Lefebvre, le chevelu de l’UMP [2]. Le premier dénonce l’impunité des patrons qui jettent des milliers de personnes dans la misère, quand lui-même se prend cinq mois de prison avec sursis pour le saccage de la sous-préfecture de Compiègne. Le second insiste : « Vous trouvez que c’est relever la tête de casser ? » Des cassages de têtes se perdent…
« Casser » le débat n’est pas un souci pour Lefebvre, porte-parole aguerri de l’Internationale Des Riches (IDR). Les ouvriers ont cassé, et c’est tout ce qu’il a à dire. Casser, c’est très mal. D’ailleurs ça lui paraît tellement évident qu’il ne daigne même pas le préciser. Non, il dit juste : « Vous avez cassé. » Vous avez perdu. Point barre.
Image : Banksy
A l’origine, cet article partait d’un ouvrage écrit par deux historiens lillois, intitulé « Les casseurs de l’été 1566 ». Un été chaud pendant lequel, en Flandre, des foules de protestant-es, des « iconoclastes », ont saccagé les églises, « brisé » les images, statues et reliques catholiques. Mais ce n’était pas qu’une histoire de religion : le contexte politique, économique et social était explosif… [3]
Bien sûr, Frédéric Lefebvre n’est pas le pape. Ni Xavier Mathieu un iconoclaste calviniste.
Mais imaginons ce qui peut se cacher derrière le laconique « Vous avez cassé » : « Vous avez cassé, c’est normal que vous soyez lourdement condamné, car c’est très mal de casser. » Oui, peut-être, mais encore ? « Les patrons, eux, ils ne vont pas chez vous pour casser vos meubles. Vous, vous cassez. » La messe est dite.
Rappelons que les « Conti » de Clairoix étaient en lutte depuis le 11 mars quand ils ont pénétré le 21 avril dans la sous-préfecture de Compiègne. Que la suppression de leurs 1200 emplois intervenait alors même qu’ils avaient accepté de revenir à la semaine de quarante heures pour les maintenir. Que Sarkozy leur avait promis de sauver leur usine. Etc. Même s’il a pu choquer quelques téléspectateurs de « Plus belle la vie », le sac de la sous-préfecture s’inscrivait dans cette logique, dans un cheminement. Dans un contexte explosif, un « été 1566 ».
Les iconoclastes protestants ont été réprimés sévèrement : à Lille, ce fut la grande époque des bûchers sur la Grand’Place…
Et pour les casseurs de « Conti », comment ça se termine ? Mois de taule avec sursis, et 63 000 euros à raquer pour les dommages… Les patrons, eux, délocalisent, et annoncent une progression de leurs bénéfices pour le second trimestre 2009… Allons dire ça au chevelu.
Que répondra-t-il au « bon » peuple ? « Oui… mais vous avez cassé. » Eh bien continuons, camarades !