« Professionalisation », c‘est le maître mot de Domaine Musiques, qui subventionne des groupes régionaux. Présentation du dispositif, critiques et réflexions...
De nombreux dispositifs sont mis en place par les amoureux de la musique que sont le Ministère de la Culture, le Ministère de la Jeunesse et des Sports ou le Conseil Régional. Nous avons porté notre attention sur « START, PLAY, REC » (voir encadré ci-dessous), financements de l’association Domaine Musiques (DM). Ces subventions sont allouées aux « musiques actuelles ». Ces dernières sont plutôt définies par défaut : la musique classique n’en fait pas partie, la musique traditionnelle si.
Deux fois par an, les groupes régionaux peuvent postuler à l’une ou la totalité de ces trois bourses (7500 € pour chacune). Après une amputation des subventions du département du Nord, six seulement seront lauréats dans l’année, sur 140 postulants. Cette diminution permettra « de suivre vraiment les groupes après l’obtention de la bourse, parce que pour le moment, nous n’avions aucun moyen de le faire », selon un des membres de DM. Il leur a tout de même fallu 10 ans pour en faire le constat...
Le dossier pour les présélections : « 20 groupes sur les 60 environ ne passent pas la sélection administrative. »
C’est sans appel. A DM, on ne rappelle personne pour une rectification ou une pièce manquante. Les groupes rencontrés qualifient le dossier d’épreuve du feu. Quand on postule à DM, le mot d’ordre est « professionnalisation. » Et celle-ci doit être déjà contenue (potentiellement) dans le dossier. Il faut donc savoir faire un budget équilibré et connaître les charges économiques inhérentes à la réalisation d’une résidence dans une salle de concert, gérer la facturation, la gestion des salaires et l’émission de fiches de paie. Le récit des finalités musicales du groupe doit aussi apparaître dans le dossier. Les membres de DM jugent quant à eux la réalisation du dossier « pas si difficile, c’est quasiment des cases à remplir. Le but c’est de savoir si le groupe peut dépasser une simple envie : peut-il passer à la vitesse supérieure ? Il faut qu’il soit conscient du milieu dans lequel il fout les pieds. L’avantage c’est qu’on n’est pas là pour les bouffer, contrairement à certains pros qu’ils peuvent rencontrer par la suite. ». Une formation pour affronter les requins du milieu pro ? Drôle de philosophie.
La sélection des lauréats : comment élit-on trois groupes sur 40 à Domaine Musiques ?
Passée la sélection administrative, les CD contenant les titres à écouter sont envoyés aux membres du jury. Celui-ci change à chaque session. Aucun membre de DM n’en fait partie. Il regroupe huit personnes, quatre venant de la région, quatre d’autres régions, voire de l’étranger (Belgique). DM essaie de diversifier son jury : professionnel de l’édition, musicien, manager, tourneur, label… S’en suit un vote secret à l’issue duquel dix groupes sont retenus pour l’entretien oral qui a lieu le lendemain du vote. Celui-ci a pour vocation, selon DM, d’aider le groupe à étayer son dossier en cas d’insuffisance ou d’incompréhension du jury. Il permet également de vérifier si le dossier a bien été réalisé par le groupe. Pendant le « grand oral », le groupe doit répondre aux questions du jury concernant notamment les orientations artistiques qu’il pourrait adopter, le sens de sa démarche etc. Si l’entretien peut servir certains groupes, patauds à l’écrit mais « qui passent bien », il représente une épreuve majeure pour les plus timides. Dans le genre entretien d’embauche : ambiance artistique assurée.
Pour éviter cette introduction brutale dans le monde de la marchandise culturelle, une solution : rester amateur et se débrouiller genre « système D », label indépendant, autoproduction et le reste. Ça dépend de ce que cherche le groupe. S’il est par contre question de toucher un salaire à la fin de chaque mois, mieux vaut se le dire : la logique du marché capitaliste et la subvention qui l’accompagne tolère bien mal la poésie : buisness, marketing et goût du consommateur, un vrai travail de pro.
La bourse ou la vie ?
La bourse START s’adresse à des groupes de musique « débutants » qui souhaitent enregistrer une démo à vocation non commerciale. Elle est allouée également à l’organisation d’une résidence dans une salle (et pour la pub). Elle ne peut désormais plus être utilisée pour l’achat de matériel. Il n’est pas exigé d’avoir fait des concerts, mais c’est un « plus ». L’autofinancement est aussi apprécié, « ça prouve que le groupe s’investit dans son projet. » (membre de DM)
La bourse PLAY sert à l’organisation d’une tournée. Le groupe doit justifier d’au moins cinq contrats hors et en région. Cette condition impose la salarisation des membres du groupe et des techniciens : cela augmente d’autant le prix de la prestation proposée aux salles de concert. Une démarche commerciale pas forcément facile.
La bourse REC a pour vocation l’aide à l’enregistrement d’un album. Le groupe doit prouver qu’il a de bonnes perspectives de distribution et présenter un contrat liant la boîte de production aux artistes. Pour démarcher un label, le groupe doit avoir une prémaquette de son futur album, avoir un « plan média » qui peut consister en l’achat de pages dans les revues, ou une recherche aboutie de partenaires… Sur le choix du label, DM laisse une totale liberté au groupe.
Pour finir, 3 questions :
1 – A quoi doivent servir les fonds publics ?
Politique d’investissement dans des structures pour tous (salles de répétition, scène ouverte aux groupes régionaux…), pour des pratiques culturelles ouvertes au plus grand nombre, avec le moins de contrôle possible. ...Ou faire émerger une « élite » formatée pour plaire aux boîtes de disques ? Les dispositifs actuels semble pencher pour la deuxième...
2 – Utilisation des fonds publics pour faire le travail du privé ?
Avant - il y a longtemps - les labels effectuaient ce travail de découverte des artistes en devenir en leur faisant leur 45 tours, puis un second, voir un album… Tout ceci sur des fonds privés ! Aujourd’hui, la collectivité se charge de ce travail de « sélection », de financement et de « professionnalisation »... et pour finir, le privé récupère le groupe qui rapporte !
3 – Quelle politique culturelle ? La culture PAR tous !
On voit avec ces « politiques d’aide à la création » la limite de la « culture pour tous ». Pour Domaine Musiques, toute pratique culturelle « sérieuse » doit être en « voie de professionnalisation ». On peut estimer qu’il y a environ 500 groupes de musiques amplifiées dans la région, capables de fournir une prestation scénique et d’enregistrer une démo. Est-ce aux institutions publiques de faire un tri parmi ces groupes pour désigner la future scène régionale et nationale ? Devons-nous nous contenter, soit d’être géré et dirigé par le privé (le goût du plus grand nombre), soit par l’Etat (le goût des officiels) ? Quelles nouvelles pistes sont à explorer ? Comment envisageons-nous les pratiques « amateurs » ?