Paye ta culture à la fac

Culture Université de Lille

Quand un service culturel apprend que son public passe de moins de 20 000 personnes à une soixantaine de milliers, ça ne peut que leur plaire. Si la fusion des universités fait apparaître clairement le remaniement des services et des budgets, on se demande ce qu'il advient de la culture. Pour ça, nous nous sommes penché.es sur un cas particulier, celui de la compagnie qui a joué à la soirée d’ouverture de la première saison culturelle estampillée « Université de Lille ». Sans être payée. Normal, ce sont des étudiant.es ! Ah bon ?

Participante au festival inter-universitaire de théâtre au printemps 2018, la Compagnie Désaccordée se fait remarquer pour Petit Pays, la première adaptation sur les planches du roman de Gaël Faye inspiré de sa vie au Burundi. Après ce projet, les comédien.nes vont pour certain.es sortir du cursus universitaire. La plupart est sur les planches pour se professionnaliser.

Petit Pays, une pièce de théâtre gratuite pour tous et toutes !

La Direction Culture de l'Université de Lille est sous le charme, tellement séduite qu'elle reprogramme le spectacle pour la soirée d'ouverture de la saison culturelle de l'institution... sans en informer les concerné.es. Il y aurait eu un souci dans la communication et la troupe l'apprend très tardivement. L'opportunité est si belle pour la Direction qu'elle ne perd pas son temps : Petit Pays est déjà inscrit sur la plaquette de la programmation culturelle de l'université, imprimée à des milliers d'exemplaires et diffusée sur tous les campus... Pour le pôle culturel, il est important de proposer une culture ouverte à tous et à toutes, « facteur d'émancipation » (1).

Cependant, depuis l'été, la compagnie a pris la décision de ne plus faire du bénévolat, et on les comprend : il faut sortir de cette idée que la culture, c'est gratuit quand c'est produit par des jeunes. C'est ainsi qu'Alix Caron, metteuse en scène, et Zoé Delporte, une des comédiennes, étudiantes en Arts de la scène, demandent une petite rétribution financière pour permettre le roulement de la création artistique de leur compagnie. Pour la Direction Culture, les comédien.nes devraient se réjouir de cette occasion charitablement offerte, « un tremplin vers la professionnalisation », d'après le personnel. D'ailleurs, cette dernière joue un peu la sourde oreille, malgré quelques échanges téléphoniques et par mail, jusqu'au jour-J où la marche arrière n'est plus possible pour la compagnie. La pièce sera montée et jouée dans la précipitation. Une semaine après, les deux artistes rencontrent la Direction Culturelle, qui est très conciliante, à l'écoute. Elle reconnaît les erreurs de leur part. Sauf que le mal est fait, pour plusieurs personnes dans la compagnie, « concrètement, c'était très douloureux ».

Les arts de la scène à l'épreuve de la fac

Zoé, arrivée à Lille 3 en 2016 trouve que « le problème de la fac est que l'autonomie qu’elle met en avant ne pousse pas à l'excellence. » La fac se défend souvent, selon elle, de former des penseur.ses de théâtre plus que des professionnel.les ou des comédien.nes. Pour Alix, en études d'Arts de la scène depuis 2014, on n'y forme pas vraiment des professionnel.les de la pensée du théâtre. Mais alors, pourquoi va-t-on à la fac ?

« Tu as plus de temps, tu peux faire des projets, et tu rencontres des gens, tu bosses avec eux, et c'est un aspect plus pratique important. » Zoé met en avant un service proposé par l’université avant la fusion : « Il y avait des ateliers de pratique artistique, gratuits, pour tous les étudiants, dont j'ai beaucoup profité, souvent le week-end. » Cette année, austérité oblige, ils sont moins fréquents et, plus concentrés sur la semaine2. « J'ai rencontré pleins de metteurs en scène et de professionnels par ce biais. Avant, il y avait aussi des places gratuites pour des spectacles proposées par l’université, ce n'est plus le cas cette année. »

Finalement, c'est ce pan fait de rencontres et de travaux en commun, qui semble être de moins en moins mis en avant depuis quelques années. Il est impalpable pour les instances qui veulent tout rationaliser, mais fondamental pour celles et ceux qui viennent chercher de la connaissance et de l'expérience avant un diplôme.

Culture Université de Lille

La culture : un tremplin pour les étudiant.es ?

La fac fait tout pour aider ses étudiant.es à se professionnaliser, donc pourquoi ne pas les prendre au sérieux et les rémunérer pour leur prestation devant tous les officiels ? Pour l’équipe de Direction Culture, il s’agit surtout d’aider les compagnies en « voie de professionnalisation ». Car oui, faire des représentations dans les salles du campus comme le Kino Ciné est un tremplin. « Je ne l'ai pas pensé comme ça », dit Alix. Zoé va plus loin : « En réalité, si on veut une aide à la professionnalisation, il faut aller le négocier et l'arracher. » Elle explique que ça a été le cas pour le précédent projet de la compagnie.

Pourtant, ce jour-là, l’université se frotte les mains et sort les petits fours, car il faut bichonner les invité.es de prestige qui viennent à l'inauguration de la saison culturelle. Un peu de champagne et une bonne compagnie bénévole, c'est la meilleure vitrine. Mais Zoé n'est pas dupe : « ils ont profité de notre situation, même si pour eux, ça semblait cohérent de produire une compagnie d'étudiants. » La compagnie obtiendra la possibilité de venir répéter dans une salle pendant quelques heures chaque semaine. Un luxe qui leur sera offert au prix de cette expérience peu agréable. « J'avais l'impression d'être écrasée par une structure beaucoup plus grosse que moi », nous confie Alix.

À la Direction Culture, le flou règne aussi chez le personnel. Pendant la fusion, le service a été restructuré et... éclaté sur les trois campus. « La culture, c'est un peu la cinquième roue du carrosse, celle qui passe en dernier » témoigne un agent. Le déménagement des services s'est fait très tardivement, pendant la rentrée. La précarité ne touche pas que les étudiant.es.

Difficile de savoir sur qui remettre la faute quand chacun.e est dominé.e par un même système. Dans les bureaux, sur les planches, dans les amphis, les combats doivent avoir un ennemi commun : l'austérité.

Lud

(1) C'est présenté comme tel au Conseil d'administration du 4 octobre 2018.

(2) Un « Pass Culture » est cependant proposé par l'université. Il permet à tous et toutes d'accéder à des événements culturels dans Lille et ses alentours. Il est gratuit cette année, contre 5 euros auparavant. Serait-ce une avancée ?

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