Lors des élections municipales, en 2008, Martine Aubry s’engage à diviser par deux le tarif des tickets de cantine. Mais cette promesse s’est faite sur l’usure et le stress des employé-es. Faire des économies, rationaliser, fragiliser toujours plus, les « patrons » de la Ville se sont ramassé une belle grève.
L’année dernière, la mairie inaugure fièrement sa nouvelle cuisine, se targue de garantir l’existence d’un service public, et d’y avoir investi plus de 2,5 millions d’euros. Volonté politique de rationaliser les tâches en les centralisant toutes en un même lieu. LE grand classique managérial des entreprises privées, très à la mode dans le secteur public en ce moment, avec les logiques européennes qui poussent à la libéralisation et la mise en concurrence des services. Évidemment, on ne demande pas l’avis des agents concerné-es, dont environ 60 % sont des femmes. Résultat : dès son ouverture, la cuisine présente de nombreux défauts.
Et ça se passe tellement bien entre la hiérarchie et les salarié-es qu’une cuisinière déclare : « Je ne peux pas répondre à vos questions, il faut l’accord de la mairie pour ça, y a le droit de réserve... ». Un autre : « Selon ce qu’on dit... Vous savez on passe très vite d’un poste à l’autre, ils se vengent ». En outre, les élus ont abandonné les agents en leur laissant mener seuls la barque, et ils le déplorent : « Le projet est très mal conçu, [...] et la DRH recrute aux niveaux les plus bas ».
Pour préparer cinq mille repas (soit 45 % des repas municipaux), dix menus, plus les régimes spéciaux, différents problèmes se posent alors. À l’usure ça plombe l’activité et le moral des agents. Un chef d’ironiser : « Quand tu ouvres un hôpital, t’embauches des médecins, non ? Sinon ça marche pas. Faut pas s’étonner après ! ».
Dans les cuisines on s’interroge. Comment est-ce possible de concurrencer le privé avec aussi peu de moyens ? Les problèmes engendrés suite à cette réorganisation avaient été dénoncés par les syndicats au printemps dernier (2009). Seulement la mairie n’avait pas prévu la résistance de ses employé-es, les traîtres !
Plus de 300 grévistes
Les problèmes s’accumulent, dont certains se faisaient sentir de longue date : « Des maladies professionnelles non reconnues [souvent liées au dos et/ou aux hanches], des amplitudes horaires infernales, des temps partiels subis, le problème de la pause méridienne [1] ». On rencontre par ailleurs quelques aberrations, note un cuisinier : « Quand on doit faire de la béchamel pour tout le monde, ça fait drôle de voir qu’ils nous donnent des briques de lait d’un litre ! ». Il l’affirme : « On se sent complètement méprisés ». Trop c’est trop, le 5 novembre dernier (2009), un préavis de grève est déposé par la CGT. SUD et la CFDT rejoignent rapidement la lutte. Les revendications pleuvent et portent sur le manque de personnel, de matériel, la mauvaise gestion du temps de travail, le manque de personnel qualifié...
L’appel à la grève est vivement attendu, il est suivi d’emblée par les agents du périscolaire [2]. 80 % de grévistes sur quatre cents employé-es ! Les parents, informés en amont par le syndicat des différents motifs qui poussent les salarié-es à faire grève, dénoncent également la baisse de qualité des repas, et ce dans plusieurs écoles. C’est vrai que la qualité de la nourriture en a pris un coup : tout est préparé d’avance à la cuisine centrale, puis livré dans les différentes cantines, où tout est réchauffé : c’est ce qu’on appelle la liaison froide. Tout le monde le regrette : « Il n’y a plus de croustillant ! »
Patrick Kanner se fout de la gueule du monde
Pas inquiété le moins du monde les premiers jours de grève, Patrick Kanner, adjoint au projet éducatif global, déclare que la municipalité « tient compte des préoccupations des agents sur le plan technique et humain. Des avancées ont été faites sur le plan technique dans les services des restaurants scolaires et au niveau des recrutements. » De là à traiter les grévistes de menteurs, il n’y a pas loin.. « C’est toujours le problème de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. La CGT ne voit que la bouteille à moitié vide. »
Et certains la voient sans doute trop souvent pleine, à l’instar de FO. C’est vrai que d’habitude, la Ville arrive à magouiller des accords avec le syndicat majoritaire, particulièrement docile [3]. Les mauvaises langues à la mairie parlent de « prise d’otages », songeant au triste sort des enfants, condamnés à manger des sandwiches [4]. En clair, ce ne sont pas les préoccupations des agents qui importent !
Quand la mairie constate que le mouvement risque de prendre de l’ampleur, elle tente de personnaliser le conflit pour le fragiliser. Elle veut rencontrer Joao Gama, secrétaire général de la CGT Hôtel de Ville, présenté partout comme le grand leader du mouvement. « Ils ont proposé de me recevoir seul, j’ai refusé ! ». Ce n’est pas un cégétiste réformiste, les revendications sortent des assemblées générales et sont portées par un grand nombre de grévistes, soudés.
Kanner fanfaronne : « Si je comprends le désarroi de certains agents, je trouve ce mouvement disproportionné. La municipalité poursuit ses efforts mais doit tenir compte de ses réalités financières et budgétaires. » [5] Encore un caprice de fonctionnaire. C’est vraiment une « question budgétaire »... ou de priorité budgétaire ?
Fausses négociations ? Vraies représailles !
Le mouvement va durer dix neuf jours. La mairie essaiera en vain d’essouffler la grève, avec un calendrier de réunions de négociations qui n’aboutissent à rien de concret, juste une prise de rendez-vous sur le mois, pour négocier au calme... Sans le tumulte et les désagréments d’une grève. Politique patronale de l’épuisement.
Une semaine plus tard, toujours gréviste, le personnel mécontent bloque l’intendance en faisant une chaîne humaine puis organise le blocage des camions d’approvisionnement des restaurants scolaires. Les actions changent la donne. C’est qu’on n’est pas habitué à ça à la mairie ! Tout secoués, les élu-es comprennent qu’ils n’ont pas le choix, et proposent un calendrier de « pourparlers » [6]. Mais on se sent encore méprisés chez les salarié-es, une réunion de négociations ayant été suspendue à cause d’un conseil municipal. La grève se poursuivra jusqu’aux propositions chiffrées.
Lors de l’assemblée générale du 24 novembre (2009), la fin du conflit est décidée. Après les piquets de grèves et les actions, pour Joao, « les points centraux des revendications ont pour la plupart été satisfaits. » De son côté, la mairie promet « la création d’une brigade de remplacement [sic] de dix agents et de quatre postes, la titularisation de dix intérimaires, la durée minimale des CDD passe de six mois à un an ». Une victoire pour le syndicat. La mairie s’engage aussi à commander un audit auprès d’une entreprise privée, au mois de janvier. Afin d’établir un « organigramme dans le secteur » [7]. On ne s’étonnerait pas d’un coup fourré en perspective. Le personnel a prévenu : il restera vigilant.
La Ville de Lille est une entreprise comme les autres, on le savait, on le redit. Un management moderne, patronal. Une pressurisation des salarié-es consciente et assumée, des salaires de misère. Mais la grève a montré aux élu-es la volonté des employé-es de se battre pour leurs droits. Et surtout, de l’emporter, même sur une petite victoire...
Pour créer des solidarités et envisager de nouvelles grèves sur toutes les revendications non satisfaites dans les cuisines. Et pourquoi pas donner des idées aux autres services de la Ville de Lille. A quand une séquestration des managers, au cabinet du maire ?
[1] N’allez pas croire que le repas est offert aux employé-es ! Les vacataires doivent le payer, les autres font une heure supplémentaire pour en bénéficier.
[2] Les agents périscolaires, c’est le personnel des restaurants des écoles et des établissements municipaux, ainsi que les accueils des centres de la petite enfance.
[3] Cf. La Brique n°9, « Force ouvrière, un syndicat de combat... contre SUD ! »
[4] Surtout que quand on mange des sandwiches à l’école, c’est la fête !
[5] La Voix du Nord, 07/11/09.
[6] La Voix du Nord, 17/11/09.
[7] Pour réorganiser le système de production. La Voix du Nord, 25/11/09.