À qui profite la culture labellisée lille3000 ? Au-delà de ses aspects artistique et ludique, lille3000 est un outil politique et économique. Derrière le strass et les paillettes, les élites dirigeantes instrumentalisent la « culture ». Reconversion économique, marketing urbain et transformation de la ville. Lille3000, ce n’est pas (que) de l’art.
Et de trois ! Après Lille 2004 et Bombaysers en 2006, Lille® est une fois de plus arrosée de « culture ». Main dans la main, patron-es et élu-es socialistes multiplient ces évènements qui « représentent une opportunité pour le développement, l’attractivité et le rayonnement au niveau international de Lille et son Eurométropole » [1]. Tous regroupés derrière un mot d’ordre : le « dynamisme » doit supplanter la grisaille et le marasme économique. Deux objectifs indissociables : attirer de nouveaux capitaux et transformer l’image de la ville.
La ville-marchandise : une idée patronale
Lille 2004 et ses avatars de 2006 et 2009 sont des inventions du patronat local. Plus particulièrement de Bruno Bonduelle, ancien président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lille et fondateur du Comité Grand Lille, un lobby patronal très influent auprès des élu-es locaux. Son credo, la construction d’une super-métropole englobant la quasi-totalité de la région Nord - Pas de Calais. C’est pourquoi dès 1993 il envisage pour Lille® la réalisation d’évènements à portée européenne, voire mondiale. Ce sera d’abord la candidature aux Jeux Olympiques de 2004, avec six ans de lobbying intensif pour faire connaître sa marque partout dans le monde. Dans son dernier ouvrage sorti en 2008 [2], qu’il conçoit comme « un livre de pédagogie destiné aux élus », il explique : « Jamais la capitale culturelle ne serait née sans sa matrice olympique. » Avant de s’autocongratuler : « Merci le Comité Grand Lille ! »
Refaire le coup de 2004
Depuis six ans Lille® est une « ville-culturelle », mais à l’origine elle devait être « sportive ». La « culture » n’est qu’un prétexte. Peu importe la spécialisation, tant que, directement ou indirectement, il y a retombées économiques et notoriété pour Lille et sa région. Aujourd’hui Bruno Bonduelle continue son délire futuriste : « Comment refaire le coup de 2004 ? » Et propose pour 2025 : « Une Exposition Universelle. C’est en effet, en dehors des J.O., le seul évènement de portée mondiale qu’un territoire peut organiser. » Voilà l’idéologie des évènements culturels lillois : servir les intérêts du patronat local. Mais pour que l’idée devienne projet, il fallait l’aval des pouvoirs publics locaux. C’est Pierre Mauroy qui entérinera le projet. La mairie et la communauté urbaine ont tout à y gagner. À la suite des patrons, elles prennent le relais.
Marketing urbain : projet municipal
« Comme toute grande métropole, nous sommes en compétition avec les autres métropoles européennes. [...] Ma conviction est que c’est la qualité de vie dans une ville qui fait l’attractivité économique, et non l’inverse. C’est cet art de vivre ensemble qui attire aujourd’hui les investisseurs financiers et économiques et crée le développement. » [3] Aubry ne peut être plus claire. Avec la chute du mur que célèbre lille3000 et l’ouverture des frontières économiques, la concurrence entre territoires se joue moins au niveau des Etats qu’à celui des agglomérations.
Lille® est alors un « produit » à « (re)positionner » sur le marché européen des grandes agglomérations (Glasgow®, Gènes®, Barcelone®, etc.) [4]. Et pour vendre son produit, la ville fait sa pub. Lille 2004 était le début de la campagne publicitaire. Et comme le produit « ville-culture » marche bien, on reste sur le même créneau. Un « marketing urbain » symbolisé par la débauche de communication municipale : « Lille®, carrefour de l’Europe », « Lille®, ville durable »...
Le public visé ? Celui qui rapporte de l’argent : les touristes, investisseurs et autres « pôles d’excellences » de la « nouvelle économie ». Ainsi en 2004, il fallut « mettre en tourisme » [5] la ville de Lille. Quelques semaines après le lancement de lille3000, Martine Aubry inaugure en grande pompe « Euratechnologies » qui abrite désormais une antenne de Microsoft. Et de Saintignon, premier adjoint de Martine Aubry, de se vanter : « Si les entreprises viennent si vite, c’est bien que Lille est la ville européenne où il faut être aujourd’hui » [6]. Economiquement, Lille® doit définitivement tirer un trait sur son passé et se reconvertir rapidement dans les secteurs économiques rentables. Afin de contrer « l’image de la région [qui] reste en grande partie prisonnière des clichés du passé. » [http://entreprises-et-c" id="nh7">7]
Ma ville est un produit. Mon quartier, une vitrine
Les différents quartiers de Lille® deviennent les vitrines de la « ville-marchandise » tant désirées par Bonduelle et sa clique. Flambant neuf, le centre-ville n’a pas besoin d’être rénové, une touche de vie, de fête « populaire » lui suffit. Juste histoire de (mal) cacher le fait qu’il soit devenu un immense centre commercial à ciel ouvert, entièrement destiné à la consommation. La parade d’ouverture de lille3000 en est le plus bel exemple. Pour les nombreux quartiers populaires de Lille®, l’enjeu est tout autre. Il s’agit de redessiner la ville. De changer son aspect et sa composition. Après les « Maisons folies », c’est la gare Saint-Sauveur qui symbolise cette réappropriation à des fins économiques des quartiers populaires. L’immense friche en bordure du quartier de Moulin verra s’implanter, selon Martine Aubry, « un éco-quartier digne des villes du futur ». La « culture » a fait le premier pas. Les promoteurs immobiliers finiront le travail.
Les patrons s’occupent des élus, les élus s’occupent de la ville
La culture labellisée lille3000 est à replacer aux côtés des innovations économiques de ces dernières années : le TGV Lille Europe, le tunnel sous la manche et Euralille. Là est sa vraie place : celle de levier économique. Et les auteur-es du pamphlet La fête est finie [http://lafeteestfinie.free.fr/." id="nh8">8], d’expliquer : « Lille 2004 est arrivé par le train, il y a bien longtemps de cela. Parce que la ville-marque avait besoin de s’européaniser, Pierre Mauroy a bataillé dur pour que le TGV entre à Lille ».
En 2005, ce dernier déclarait : « Lille bénéficie d’une image dynamique parce que patrons et élus ont su travailler ensemble » [9]. Bruno Bonduelle, lui, adresse son dernier ouvrage à ses « amis » « Martine, Daniel, Bernard, Dominique et les autres élus du Grand Lille ». Il fut un temps où les mairies socialistes et communistes défendaient des intérêts différents de ceux des élites patronales [10]. Aujourd’hui, c’est l’unité qui prime, sous l’autel de la concurrence et de ses habits « culturels ».
[1] Brochure « Comment de venir partenaire lille3000 ? ».
[2] Bonduelle Bruno, XXLille. Lettre à Martine, Daniel, Bernard, Dominique et les autres, élus du Grand Lille, Editions La Voix du Nord, 2008.
[3] M. Aubry, Un nouvel art de ville, Le Projet urbain de Lille, 2005.
[4] Lire l’excellent article de Jean-Pierre Garnier : « Scénographie pour un simulacre : l’espace public réenchanté », Espaces et Sociétés, n°134, 2008.
[5] « 1998-2008. Lille s’est façonné en XXL sa carrure de ville touristique », La Voix du Nord, 25/06/2008.
[6] « Euratechnologies-L’usine high-tech aux 1000 emplois », Le Point, 12/06/2008.
[7] « Attractivité du Nord Pas de Calais : une nouvelle ère ? », http://entreprises-et-cites.com/.
[8] La fête est finie, http://lafeteestfinie.free.fr/.
[9] « Que prépare le comité Grand Lille ? », L’Express, 06/10/2005.
[10] Cf : Laurent Matejko, « Quand le patronat pense le territoire : Le comité grand Lille et la pensée métropole », CLES, 2000.