Le 22 février 2015, alors que tout le monde célèbre la liberté de la presse aux cris de « on est tous Charlie », la maréchaussée nous dresse une prune au marché de Wazemmes. Le motif : on ne peut pas faire de politique au milieu des étals comme l’énonce un arrêté municipal. Face à la bleusaille, on a donc invoqué le sacro-saint texte de la loi Bichet1 de 1947 : « Toute entreprise de presse est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenables à cet effet ». Or, hiérarchie des normes oblige, un arrêté municipal ne peut s’opposer à une loi nationale. Pourtant, rien n'y fait, l’homme au képi a reçu « des ordres ». L’arrêté d'Aubry prévaudrait donc sur une loi pour la liberté de la presse vieille de soixante ans, prise à la sortie de la guerre. Le hasard fait bien les choses, on croise ce jour-là Xavier Bonnet, nouvel adjoint municipal en charge des marchés de plein-air.
Le FN, l’argument benêt de Bonnet
La discussion qui s'en suit est juste hallucinante : « Si je ne fais pas respecter le code des halles et marchés, des gens comme vous, il y en aura des quinzaines à commencer par les militants du FN qui ne se gênent pas pour diffuser leurs tracts à l'entrée du marché ». La Brique serait media non grata sur le périmètre du marché au motif qu’elle justifierait le tractage du FN entre les étals. La confusion est profonde : mettre notre vilain petit canard sur le même plan qu’un parti politique xénophobe et raciste pour justifier une entrave à la liberté de la presse. Il taxe notre équipe d’ahuris ne comprenant par le sens des lois, avant d’asséner : « J’ai été anarchiste, comme vous lorsque j’étais jeune » – comprenne qui pourra.
Dialogue de sourds
L’affaire n’est pas nouvelle. En 2009, La Brique a déjà eu un procès verbal pour des raisons similaires, et à l’époque, l’honneur d’un arrêté spécialement conçu pour elle par Jacques Richir, un prédécesseur de Bonnet, précisant les zones dans lesqueles les criées sont autorisées (Lire « À la criée »2). La rédac’ lui a écrit : « Nous n’avons pas attendu [une autorisation administrative] pour commencer ces ventes et elles continueront quelles que soient les suites. En effet, nous estimons que la liberté de la presse est un principe fondamental, et qu’aucune loi ou arrêté ne peut la contraindre ». Ça s'était arrêté là.C’était sans compter sur l’obstination des censeurs. Après six années de ventes à la criée sans hostilité policière, 2015 constitue le grand retour des contrôles à répétition jusqu'à cinq en deux heures par la municipale, la nationale et même « la police des halles et marchés » (sic). À croire que les flics prennent leur ticket pour taquiner La Brique qui, non sans plaisir, leur sert un petit cours de droit de la presse bien pesé.Suite à la prune, on s'est donc fendu d'une lettre recommandée en date du 25 février 2015 à Xavier Bonnet pour lui rappeler la législation actuelle : « en espérant que les divers liens [internet joints à ce courrier] vers les textes de lois aideront vos services juridiques à vous renseigner sur la question, et que vous saurez faire remonter l'information aux différents services de police entravant notre liberté de diffuser notre journal ». Mépris ou prise de conscience de sa propre ignorance, il ne nous a jamais répondu.
Procès tragi-comique de La Brique
Les chiens de garde n’en démordent pas. Le 27 janvier 2016, nous recevons une ordonnance pénale nous invitant à régler l'astronomique somme de 61 euros. On ne se débine pas : retour de prune à l’envoyeur avec demande de copie complète du dossier auprès du tribunal pour savoir de quoi il retourne. La réponse de la mairie se fait cinglante, puisque fin août 2016, notre directeur de publication s’est vu notifier par voie d’huissier une citation à comparaître devant le juge de proximité pour non règlement de la dite amende.
En somme, cette histoire ne mériterait pas le début d’une brève, tant les enjeux financiers apparaissent risibles, si elle n’était pas révélatrice de la bêtise – mainte fois dénoncée dans nos pages – d’une municipalité rageuse envers celles et ceux qui en critiquent la politique. Plus que tout, la vindicte municipale vise une pratique qui touche à la chair même du canard. En essayant d‘empêcher la vente du journal à la criée, la mairie vise notre principale ressource (sachant qu'un journal vendu est un nouveau journal imprimé). C'est aussi un moyen de nous invisibiliser, de nous empêcher de discuter avec notre public. Les marchés sont parmi ces lieux où nous pouvons nouer une relation avec nos lecteurs et lectrices, fidèles ou nouveaux-nouvelles. Vous pouvez donc compter sur nous : quelle que soit l’issue du procès, nous continuerons à défendre sur les marchés « une presse libre, locale et indépendante », à vous taxer deux euros contre quelques pages de critique sociale. Bref, notre canard n’est pas près de s’arrêter de crier.