L’inspection du travail au garde à vous

inspecteur travailL’indépendance politique de l’inspection du travail n’est pas du goût de tout le monde. Ainsi, en 2005, une collaboration entre les agents du travail et les forces de police est imposée par Larcher et Sarkozy, alors respectivement ministre du travail et ministre de l’intérieur. Confrontée à un boycott massif des professionnels, la « droite décomplexée » bombe le torse et insiste. La tendance amorcée par les gouvernements précédents se concrétise par une série de décrets.

 

Aujourd’hui, Hortefeux n’a toujours pas atteint les objectifs d’expulsions (25 000 pour l’année 2007) : c’est la panique ! Afin d’enrayer ces « mauvais » chiffres, tout est mis en œuvre, et concernant les réticences de l’inspection du travail, la parade est trouvée. Un décret publié le 1er juin 2007 par le ministère de l’immigration et de l’identité nationale permet une mise sous tutelle de la Direction Générale du Travail et de ses agents, dans le cadre de la recherche de travailleurs illégaux. Un nouvel arrangement politico-juridique qui, malgré le recours déposé par les syndicats devant le conseil d’Etat, semble bien parti pour alimenter la machine à expulser du Tsar Cosy. Analysé courant novembre par le commissaire du gouvernement (1), les « conclusions nous ont été extrêmement défavorables… » dit Pierre Joanny, secrétaire national du syndicat SUD TAS (2) : « …on ne se fait aucune illusion. »

« La résistance reste forte »

Les quatre syndicats qui déposent un recours devant le Conseil d’Etat le 30 juillet 2007 représentent 80% des professionnels. Ils contestent ce décret d’attribution du ministère de l’immigration. D’une part, cette collaboration remet profondément en question les possibilités pour les agents de l’inspection du travail de pouvoir exercer leur mission de protection des salarié-e-s, et d’application des dispositions du code du travail. D’autre part, la recherche de travailleurs illégaux fondée sur seuls critères de nationalité rend, par la même, cette recherche discriminatoire ; mais Sarkozy et Hortefeux s’en moquent comme de leur premier charter ! Ils créent une nouvelle catégorie juridique de délit liée à la nationalité, qui n’existe ni dans le code pénal, ni dans le code du travail (3). Une décision qui a pour dommage collatéral de véhiculer, auprès de l’opinion publique, l’idée fausse que le travail illégal est une question de travailleurs illégaux étrangers (alors que celui-ci ne représente que 14.8 % des infractions.) La majorité des infractions portent sur des salarié-es français ou des étranger-e-s en règle (4).

De victime à coupable

Aujourd’hui, si un étranger est trouvé en situation illégale lors d’un contrôle, c’est l’employeur qui est en faute, et non le salarié, même étranger « parce que le contrat de travail place l’employé sous la subordination de l’employeur ». Les agents du travail mettront en œuvre un dispositif de sanctions à l’encontre du patron. Une indemnité d’un montant d’un mois de salaire sera versée au titre de dommages et intérêts au salarié illégal, considéré comme victime. Or cette mesure de protection risque fort de disparaître, car lors des contrôles effectués avec la police, les agents du travail constatent que cette procédure est systématiquement écartée. Pierre Joanny développe : « on s’occupe de l’employeur, mais eux [les flics], ils en profitent pour s’occuper des employés, et des étrangers en situation irrégulière ; et ce n’est pas pour permettre à ces personnes de bénéficier de leurs droits, mais pour qu’elles soient coffrées, et embarquées en centre de rétention. » Force est de constater qu’il y a « un déséquilibre entre les forces en présence. On n’a même pas les moyens d’obtenir de s’expliquer avec l’employé-e pour lui dire que son patron doit le payer, que si son contrat est rompu l’employeur-e doit lui verser une indemnisation. Le type est déjà dans le panier à salade. » Un raccourci qui, en devenant la règle, arrange bien la chefferie d’entreprise « globalement épargnée » par le système, mais également la police, qui fera plus de chiffres.

Contestation juridique et morale

Ce décret viole la convention 81 de l’Organisation Internationale du Travail ratifiée par la France qui spécifie : « Si d’autres fonctions sont confiées aux inspecteurs du travail, celles-ci ne devront pas faire obstacle à l’exercice de leurs fonctions principales ni porter préjudice d’une manière quelconque à l’autorité ou l’impartialité nécessaire aux inspecteurs dans leurs relations avec les employeurs et les travailleurs […] les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue ». Comme en 2005, une large majorité des agents du travail refuse de participer à la poursuite des objectifs d’expulsions qui, en plus d’aller à l’encontre de leurs attributions, va à l’encontre de leur déontologie. Ils entendent poursuivre leurs missions fondamentales de protection des salarié-e-s et, pour ce faire, organisent leur résistance. Un appel au boycott des actions avec les forces de police est lancé, et un préavis de grève illimitée a été déposé afin de se prémunir de réquisitions administratives ou judiciaires. Les agents du travail participent au mouvement social et aux grèves du mois d’octobre et de novembre, mais se font discrets, afin de ne pas le diviser par des revendications qui leur sont propres. Une pétition circule à l’interne, elle recueille « 1500 signatures en trois jours ».

Ouvre-boîtes

Le but visé à travers toutes ces manœuvres, est de faire des agents du travail des passe-droits pour policiers en mal de sans-pap’. « Sur le terrain, il y 1500 agents de contrôle de l’inspection, tout compris, alors vous imaginez que dans ce genre de contrôles, il y a un agent de l’inspection, avec en face un peu plus de flics. Nous on les aide à entrer, on leur sert d’ouvre-boîtes, puisqu’on a des prérogatives plus étendues pour entrer dans une entreprise. » La police pourra désormais faire irruption dans n’importe quelle entreprise à n’importe quel moment pour y effectuer contrôles et interpellations, alors qu’auparavant elle avait besoin de l’autorisation préalable d’un juge.

Bis repetita

Mais à peine le temps d’encaisser ce décret de collaboration forcée qu’un nouveau se prépare. Comme toujours, il est élaboré sans concertation avec les partenaires sociaux. Cette fois, dit Pierre Joanny, le « projet va jusqu’au bout de la logique. La présentation faite aux syndicats du travail a été assez édifiante, puisqu’on nous l’a présenté pour favoriser la mobilité, mais il prévoit la possibilité d’affecter des agents du travail directement au ministère de l’immigration. Ces agents ne seraient plus à disposition, mais transférés définitivement, et de force, chez Hortefeux. » L’affectation permanente dans un nouveau ministère ne nécessitera pas l’accord des agents concernés. Le coup est rude. « Il y a trois mois, ce décret aurait été de la science fiction, or aujourd’hui on avance très vite. » En réaction, dès le 9 novembre, une intersyndicale (5) de l’inspection du travail publie un communiqué de presse et une lettre ouverte à Xavier Bertrand, ministre du travail. Les syndicats rejettent ce projet de décret qui vise à imposer des affectations individuelles ou collectives aux agents du travail. Ils pourraient très vite se retrouver au « service main d’œuvre étrangère » du ministère de l’immigration. En dépit du statut particulier du corps de l’inspection du travail (6).

« Rupture… »

La « rupture » ne s’arrête pas là. Dans ce nouveau décret, tout est à nouveau remis en cause : l’exercice des missions de protection des salarié-e-s, le respect de l’application des dispositions du Code du travail par les employeur-euses, l’indépendance face au pouvoir politique, la stabilité dans l’emploi… Ce décret d’affectation couvre également le champ de la solidarité, et les inspecteurs de l’action sanitaire et sociale. Le sens de leurs missions envers les demandeurs d’asile, les personnes malades, handicapées, âgées ou exclues, risquerait de changer profondément sous l’autorité d’Hortefeux.

La coquille vide

Ce « décret de mobilité » prétexte la modification du statut de corps de métier de la fonction publique, pour permettre l’affectation unilatérale de fonctionnaires vers d’autres ministères. Le but principal est de fournir rapidement des fonctionnaires au ministère de l’immigration d’Hortefeux qui ne dispose aujourd’hui que d’une « coquille vide ». Notons au passage que cette astuce permet de ne créer aucun nouveau poste de fonctionnaire.

Une bataille, mais pas la guerre…

Le 21 novembre, le cabinet du ministère du travail annonce que les modifications statutaires permettant l’affectation des agents du travail vers d’autres ministères sont retirées du projet de décret. Les organisations syndicales restent vigilantes et attendent la parution du-dit décret. Elles appellent toujours à boycotter les opérations conjointes avec les forces de police qui restent d’actualité, car le service central d’inspection du travail et la Direction Générale du Travail sont toujours sous la tutelle d’Hortefeux.

La loi de la jungle

Au delà de ces mutations définitives que voudrait mettre en place le gouvernement, plane le spectre du démantèlement de l’inspection du travail. Ces réformes lui permettraient de casser un dernier rempart de fonctionnaires qui font respecter les droits des salarié-e-s, car par delà les clivages politiques, l’inspection du travail dérange. « C’est une administration qui n’est pas dans l’air du temps, et qui n’est pas favorable au pouvoir en place. On avait beaucoup de problèmes avec les gouvernements socialistes aussi pour ça. Les gouvernements socialistes veulent nous instrumentaliser, les gouvernement de droite nous méprisent. » Pour l’avenir du Code du Travail, Pierre Joanny ne se veut pas rassurant, car « une commission de Rachida Dati réfléchit sur la réforme du droit des affaires, et par la suite, on craint que le droit du travail soit dépénalisé, c’est-à-dire que tout se règle au civil devant les Prud’hommes. Un retour à la loi de la jungle. »

Temps pourri

Historiquement, « dans les directions départementales importantes […] depuis au moins 20 ans déjà […] le gouvernement a créé des services spécialisés composés de contrôleurs et d’inspecteurs du travail qui ne font que ça [de la chasse à l’immigré-e ndlr] ». Mais aujourd’hui, l’utilisation des agents du travail dans le cadre d’interventions conjointes avec la police porte atteinte à la protection des travailleurs, sans distinction. Non seulement ces mesures restreignent ce champs d’action, mais elles imposent une focale discriminatoire sur les travailleur-e-s illégaux. L’intersyndicale rappelle unanimement que les agents du travail n’ont pas pour mission de combattre le travail illégal des étrangères et étrangers, ou le contrôle des règles du droit au séjour. Quand on sait qu’en « 2003 un projet de loi présenté par les députés les plus réacs de l’UMP [dont Vanneste] visait à transformer l’inspection du travail en inspection hygiène, sécurité, et travail clandestin » ça fait froid dans le dos. Il est vrai que tout ça sied très bien au climat de traque aux immigré-e-s ; ou comment l’administration française se fourvoie dans une chasse sans précédent depuis Vichy.


1 : Le commissaire du gouvernement est un magistrat expert qui réalise des analyses juridiques.

2 : Travail et Affaires Sociales.

3 : Une telle disposition est également contraire au droit International et Européen.

4 : Libération 10 octobre 2007.

5 : CGT – CFDT – FO – FSU – SUD – UNSA.

6 : Art. 16 de l’OIT : Les agents de l’inspection du travail devront être « placés sous l’autorité des ministres chargés respectivement du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, des transports et de l’agriculture. »

J.K

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