Dans les médias, l’abondance de faits divers scabreux répond d’elle-même à ceux qui se poseraient encore des questions sur l’utilité des caméras de surveillance. À écouter nos élu-es, aucun n’en est « fan », mais tous s’y mettent. C’est le cas à Lille où le conseil municipal, tapi dans l’ombre, est en train d’installer des globes high tech à vision 360°.
La gôche, comme à son habitude, court après la droite et son extrême sœur. « La sécurité est un droit fondamental » [1], assenait en septembre dernier Mme Aubry, en pleine préparation pour 2012 [2]. Ça tombe bien. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur de la République bien française, veut 45 000 caméras sur tout son territoire d’ici la fin de l’année. Et finance jusqu’à 40 % les nouvelles installations.
Un flic dans le dos
Vous ne le saviez peut-être pas mais Lille dispose déjà de 4500 œilletons, dont 2500 dans ses transports collectifs : « Nous sommes pour la vidéosurveillance là où elle est utile. Dans les lieux clos, les caméras ont un véritable sens. Il est aussi intéressant d’en mettre pour résoudre des trafics comme à la Cité Lys à Fives ou rue Jules Guesde à Wazemmes ». Ça y est, Mme Aubry lâche le morceau, et en profite pour stigmatiser les quartiers populaires et justifier ses reconquêtes urbaines [3].
Depuis, petit à petit, des caméras fleurissent pour surveiller l’espace « public ». On en a repéré une huitaine pour l’instant. Elles se sont installées insidieusement place de la République, au parc Lebas, rue de Douai ou rue Vaucanson à Fives, pour surveiller le campement de Roms. Aucun mot nulle part, aucune trace de décision sur le site de la mairie, débrouillez-vous avec ça, baissez la tête et retournez au boulot, la mairie s’occupe de vous.
C’est que Lille devait rattraper son pseudo-retard sécuritaire. Les maires étiquetés « socialistes » de Grenoble, Lyon, Evry ou Paris s’y sont mis sans chichis. Idem dans la métropole à Roubaix, Wattrelos ou Hem, tannées par les villes bourgeoises de Bondues ou Marcq-en-Baroeul dirigées par des élus qui ne se cachent pas d’être de droite.
On vit une époque dangereuse
C’est à grands renforts de faits divers grotesques que la peur s’installe via son bras armé médiatique. La Voix du Nord, porte-parole officiel des victimes et des petites-gens-honnêtes-qui-n’ont-rien-à-se-reprocher, ne laisse pas passer une semaine sans rappeler qu’il existe un « débat » sur cette « vidéo-protection » qui, malgré tout, résout bien des affaires.
Voyez plutôt : « La benne à végétaux de Lambersart a été vandalisée » ! Son maire UMP M. Daubresse rappelle l’importance de surveiller ses ouailles. A Verlinghem (2300 habitants), « la baie vitrée de l’école Gutenberg a été récemment détériorée par un jet de caillou ». Le maire a fait installer douze caméras pour surveiller « les axes stratégiques ». La Voix se souvient, et c’est bien la seule, « de dégradations sur le monument aux morts, d’effraction dans l’église, de tags sur la mairie, de bris de projecteurs sur la fontaine, de vol de décorations de Noël... » dans la commune de Saint-Laurent-Blangy, près de Valenciennes. Le maire a fait installer huit caméras à 360°. La commune de Lambres-lez-Douai (5200 habitants) s’y est finalement « convertie » fin 2010 pour empêcher les « intrusions » dans le stade de foot et protéger le cimetière des vols de « fleurs, potées et métaux ». Le maire de Roost-Warendin, près de Douai, en a marre « des bouteilles éclatées contre le château, des poubelles arrachées, des tags... » Il installe pour 70 000 euros de caméras.
Bien sûr, La Voix n’oublie pas de voler au secours du grand comme du petit commerce. Ainsi en est-il du quartier Blanc Riez à Wattignies. En pleine reconquête commerciale, il s’agit de le vidéo-protéger des barbares qui terrorisent les mamies et mangent les enfants. À Lens, on s’équipe dare-dare avant l’arrivée des zombies venus consommer le musée du Louvre.
En cette année 2011, à Lille comme partout dans la région, l’offensive est lancée. Brice Hortefeux est venu en personne inaugurer le tout nouveau « Centre de supervision urbaine » de Marcq-en-Baroeul. Et si pour les élus de gauche, comme à Hem, « on n’est pas des forcenés de la vidéoprotection », tout le monde s’y met, presque à contrecœur. La vie d’élu, ma bonne dame, c’est pas drôle tous les jours...
[1] Entendre : la sécurité des petits propriétaires, des bourgeois, des consommateurs, des touristes, du petit commerce, etc. Pas la sécurité face à la misère, l’exploitation ou la police.
[2] Allusion concernant non pas « Les J.O. » mais « Les élections présidentielles ».
[3] À propos de Fives et la Cité Lys, lisez La Brique n° 24.