La candidature de Brigitte Mauroy aux prochaines législatives nous a donné envie de revenir sur le jugement en appel, prononcé en mai 2010 en faveur de cette dernière et plus largement sur ses écrits clitoridiens. Après quelques heures en bibliothèque, il a bien fallu l’admettre : l’urologue lilloise, nièce de Pierre, conseillère municipale UMP a plagié un texte sur le prépuce des Éthiopiennes. Une phrase trouvant elle-même ses origines au XVIe siècle… dans la bouche du pape.
D’abord un rappel des faits. S’appuyant sur les propos d’un célèbre urologue – Gérard Zwang – Charlie Hebdo publie en 2008 un papier dans lequel Brigitte Mauroy est accusée de se rendre « complice de mutilation sexuelle ». Le canard incrimine une phrase de la scientifique, tirée d’un article sur la vulve rédigé quatre ans auparavant pour un ouvrage « grand public » [1] ; cette phrase : « le capuchon clitoridien ou prépuce », ce « repli, peu développé chez les occidentales est beaucoup plus long chez certaines asiatiques ou africaines, ce qui fait procéder à une circoncision (chez les abyssins notamment) » (sic). L’accusation tombe en pleine campagne municipale, quand Dame Mauroy, anciennement au Parti Radical de Gauche, concourt vigoureusement aux côtés de Sébastien Huyghe… candidat UMP. « Outrée », elle envoie d’abord un droit de réponse, qui finit dans une poubelle de Charlie Hebdo [2]. Puis se décide à porter plainte.
« L’honneur de la plaignante »
Or, en 2009, sa plainte est rejetée par un jugement dépourvu d’ambigüité qui indique, entre autres, que son article, incriminé par Charlie, peut « être objectivement lu comme une justification anatomique de la pratique de l’excision. » Pour cette grande bourgeoise le délibéré, prononcé par trois femmes après trois heures de débat, tombe comme un couperet. Mais sur l’échafaud, Brigitte Mauroy n’en démord pas et fait appel. En mai dernier, en seconde instance, donc, la justice – cette fois majoritairement masculine et expédiant le dossier au bout d’une heure – condamne Charlie Hebdo. Selon les juges, le journaliste a « porté atteinte de façon particulièrement indélicate et inutilement blessante à l’honneur et à la réputation de la plaignante » ! Ce qui signifie que la « réputation » d’une scientifique prime sur ce qu’elle a écrit, bien que pouvant « être objectivement lu comme une justification anatomique de la pratique de l’excision »… Ainsi lavée de tout soupçon, elle n’a pas hésité, dangereusement, à justifier, étayer, légitimer sa phrase concernant le prépuce de « certaines asiatiques et africaines »… « Sa » phrase, ou plutôt son plagiat.
La science à l’arrache
Car il se trouve que cette phrase est une vulgaire copie, digne des cancres les plus chevronnés. Une phrase dont la généalogie retrace cinq cents monstrueuses années. On trouve en effet ses origines au XVIe siècle, quand le pape donnait sa bénédiction à l’excision, précisément « chez les Abyssins ». Pour les évangélisateurs, il était plus aisé, au lieu de l’interdire et de se heurter à des résistances, de justifier cette pratique. Ce qui les a conduits à prétendre que les organes sexuels féminins étaient plus développés dans cette contrée « barbare » que « chez les Européens », et représentaient – sacrilège ! – un « obstacle » au mariage… Depuis ce jour, cette assertion loufoque sur les dimensions « ethniques » des organes vulvaires a parfaitement intégré les préjugés traditionnels de l’anatomie européenne. Au point de se retrouver sous la plume de notre savante, femme politique, bonne bourgeoise, qui ne cesse de répéter son engagement contre les mutilations sexuelles. Sans
blague !
Celle-ci, en réalité, n’y a pas réfléchi une seconde. Elle a simplement copié, en le modifiant quelque peu, un traité d’anatomie écrit au temps
des empires coloniaux triomphants. Celui de Léo Testut, dans lequel au chapitre sur la vulve nous lisons exactement ceci : le « capuchon du clitoris ou prépuce », ce « repli préputial est relativement peu développé dans nos races européennes. Chez certains peuples de l’Asie et de l’Afrique, il atteint une longueur beaucoup plus considérable et l’on sait que quelques-uns d’entre eux, notamment les Abyssins pratiquent la circoncision chez la femme aussi bien que chez l’homme. » [3]
Des milliers de fillettes massacrées
Pour conclure, que ce soit bien clair : des études sérieuses ont largement démontré qu’il n’existe aucune différence statistiquement significative de dimensions des organes sexuels féminins selon des critères « ethniques ». Ce qui a fondé cette différence, c’est un discours occidental, raciste qui, il y a cinq siècles, a intégré une pratique sexiste et phallocratique observée « chez les Abyssins ». Un discours considérant le clitoris au sens large comme un « organe coupable », coupable d’empêcher l’homme d’être le chef [4]
Ce que certaines personnes appellent « circoncision » du capuchon clitoridien « chez les Abyssins » n’est, purement et simplement, qu’une mutilation sexuelle féminine [5] Effectuée là-bas à 90 % par des praticiennes traditionnelles, pour moitié sur des filles de moins d’un an, dans des conditions déplorables. Mais que Brigitte Mauroy dorme sur ses deux oreilles car jamais les victimes, les fillettes massacrées au rasoir, n’auront le loisir de lire ses écrits « scientifiques ». Et de maudire cette lointaine « Européenne », née sous une bonne étoile, avec un prépuce « peu développé »…
J. de L’E.
[1] « Vulve », in P. Brenot (dir.), Dictionnaire de la sexualité humaine, L’esprit du temps, 2004, p. 702.
[2] Elle avait elle-même refusé de répondre au journaliste pendant la réalisation de son papier.
[3] Savant de cabinet, Testut n’a, à notre connaissance, jamais travaillé en Abyssinie. L. Testut, Traité d’anatomie humaine, t. 4 (« Appareil de la digestion – Appareil uro-génital – Embryologie »), Paris, Octave Doin éditeur, 1905, p. 778. Brigitte Mauroy cite dans ses références bibliographiques l’édition de 1948. Cependant, aucune indication ne permet de comprendre qu’elle cite Testut ou qu’elle part de lui : pas de guillemet ni d’italique, pas de référence ni de note.
[4] Les motivations de l’excision varient selon les périodes et les territoires. Ici le clitoris, « petit pénis », provoque une sorte de phobie chez l’homme ; là il rend l’épouse infidèle ou l’empêche de connaître le plaisir « adulte », celui du vagin.
[5] Considérée d’ailleurs par l’OMS comme une mutilation sexuelle de type I appartenant à la catégorie de « la clitoridectomie : ablation partielle ou totale du clitoris (petite partie sensible et érectile des organes génitaux féminins) et, plus rarement, seulement du prépuce (repli de peau qui entoure le clitoris) ».