Cet été, l’Angleterre a connu une flambée de violence inédite depuis les années 1980. À l’origine de ces émeutes, l’assassinat d’un homme par la police de Tottenham. Ces événements, encore une fois déclenchés par des violences policières, rappellent novembre 2005 en France, ou décembre 2008 en Grèce. L’Angleterre est devenue, le temps de plusieurs semaines, le terrain de la mise en œuvre d’une répression orwellienne.
Londres, Birmingham, Liverpool, Bristol, Manchester, Nottingham : dans de nombreuses villes des gens incendient, cassent, pillent des magasins, attaquent la police. Ils ont volé, saccagé, brisé des vitrines, profité du chaos quand ils ne le créaient pas. Ce qui a commencé comme des émeutes en réaction à la mort d’un jeune noir tué par la police, est devenu l’opportunité du moment pour piller, casser, incendier [1]. Dans la rue, des déshérités du capitalisme : avec des motivations parfois très différentes, certain-es s’attaquant sciemment à des symboles de leur oppression, d’autres prenant gratuitement ce qu’ils ne peuvent pas ou plus se payer : des fringues, de la nourriture, ou aussi des écrans plats, pour ne pas rater la prochaine révolution assis-es dans leur canapé. Pour tout ça, pas le temps de s’indigner... Les britanniques, comme bien d’autres, subissent les conséquences d’une énième « crise économique » : pas de boulot, pas d’argent. « No Future ». Et la rigueur des politiques qui leur sont annoncées ne laisse entrevoir aucune perspective de changement. [2]
La machine infernale
Dénonciations anonymes, surveillance des réseaux sociaux, espionnage et piratage des téléphones portables, caméras de vidéo-surveillance, portraits-robots publiés sur internet ou dans des journaux, projetés sur écrans géants dans les villes, passés en boucle à la télé ; plateformes de délations sur le web, milices citoyennes infiltrées par l’extrême droite, blindés déployés pour sécuriser des quartiers... Le tout encadré par seize mille policiers et militaires, à grand renfort de journalistes aux ordres. Non, vous n’êtes pas en Syrie mais au cœur de l’Europe « démocratique ». Mi-août, une étude d’opinion soutenait même qu’un tiers des britanniques se déclarait favorable à ce que la police tire à balles réelles sur les émeutiers. Grâce au zèle des citoyen-es anglais, l’arsenal répressif mis en place par le gouvernement pour faire face à ces révoltes a été des plus inquiétants : « Après avoir reconnu sa fille de dix-huit ans, C., dans des vidéos transmises à la télévision, l’héroïque Madame A.I. n’a eu aucune hésitation à appeler la police locale. Les journaux n’ont pas pu s’empêcher de chanter les louanges de cette extraordinaire mère-courage. »
La vengeance
Ces jours d’émeutes sont l’occasion d’un retour en force des valeurs conservatrices au pouvoir. Dans son discours du 11 août face au Parlement, David Cameron annonce la couleur : « ce n’est pas un problème de pauvreté, mais de culture. Une culture de violence, de manque de respect à l’égard de l’autorité […] Une culture qui parle tout le temps de droits et jamais de devoirs ». En indiquant vouloir mettre fin à une « mentalité d’assistés », il amorce une contre-offensive réactionnaire. 2800 personnes ont été arrêtées. « 30 000 » seraient encore menacées à plus ou moins long terme. Les condamnations, autour d’un millier, sont volontairement « exemplaires » [3]. Des observateurs écrivent : « Deux jeunes ont écopé de quatre ans de prison pour un appel aux troubles lancé sur les réseaux sociaux. » ; « Pour le vol de deux bouteilles d’eau, d’une valeur de trois livres, N.R, 23 ans, a été condamné à six mois de prison [...] Pour le vol de deux vestes, E.F, 18 ans de Manchester, a été condamné à huit mois d’enfermement [...] ou encore, cette mère de deux enfants à Manchester qui écope de cinq mois pour avoir accepté un short provenant d’un pillage ». Pour enfoncer le clou, les familles des personnes interpellées se voient privées de leurs allocations et expulsées de leur logement social.
Wendy Renarde
[1] Article 11, « Nous voulons qu’ils subissent ce qu’il nous ont fait subir »
[2] Hausse des frais universitaires, 500 000 emplois publics supprimés d’ici 2015, salaires des fonctionnaires gelés, augmentation de l’âge de la retraite, hausses d’impôts – dont la TVA, réduction des budgets de la justice (30%), de l’environnement (40%), de la santé et de l’aide internationale (25%).
[3] Le Figaro, 17/08/11