Un terrain de libre ? Tout le monde est à l’affût. Une vraie compétition entre promoteurs immobiliers et bailleurs sociaux, privés et publics. Les mairies et la communauté urbaine en guise d’arbitres. Au final, un seul perdant : le nombre de logements sociaux.
Elie* est prospecteur de terrains. Employé par un bailleur social [1], il scrute la moindre occasion pour construire des logements à bas loyer. Mais la concurrence est rude sur la métropole. Plusieurs bailleurs sociaux sont sur le coup : les privés comme Notre Logis ou CMH (qui comprend SLE et Logicil), et les bailleurs publics, LMH et Parténord. Chacun a son pré-carré et s’attelle à le préserver. Il est arrivé à Elie de s’intéresser à l’achat d’un terrain dans une ville plutôt dédiée à un bailleur concurrent, « et c’est le branle-bas de combat, les gens vont dire qu’est-ce que vous foutez là, de quel droit, etc. (...) Il faut savoir qui couche avec qui pour savoir où on met les pieds. Lille c’est plutôt avec LMH, Wattrelos plutôt avec CMH, Halluin et Comines avec Notre Logis. (...) Chaque bailleur possède “ un territoire de prospection” plus ou moins défini. »
Démarchage
Il nous raconte la galère qui mène à la création de logements sociaux. Parcourir les villes de long en large, être à l’affût des terrains disponibles, en vente, constructibles ou pas, voir s’il est possible de devenir propriétaire, si la mairie peut augmenter la constructibilité, et rencontrer les élu-es... Certain-es sont réceptifs, d’autres moins : même étiqueté PCF, on favorise parfois les promoteurs privés. Ou sans s’opposer clairement, des maires pratiquent le double langage. D’autres lancent « essayez toujours... » : pour le prospecteur, la partie n’est pas gagnée...
D’après lui, ce n’est pas vraiment la course en matière de construction HLM sur la métropole. Lille et Roubaix, qui ont leur fameux 20 % [2] « ne sont pas pressées ». Idem pour Villeneuve d’Ascq et Wattrelos. A l’inverse, « Bondues et Mouvaux ne sont pas contre monter des projets »... Mais ayant développer un habitat pour riches avec de grandes propriétés, « le foncier est à un prix impossible pour les bailleurs ».
Surplace
Résultat, un an après le début de son contrat, Elie n’a pas développé beaucoup de « logements potentiels ». Lorsqu’il trouve un terrain, les démarches sont très longues. Il y a les monteurs de projets, les architectes, puis les marchés publics, les subventions, etc. « C’est du très long terme ». D’autant que tout n’est pas mis en œuvre pour accélérer les choses, bien au contraire...
Il estime que deux mouvements sont en cours. D’un côté, « une forte demande qui pousse l’État et la communauté à afficher de fortes politiques de logements sociaux ». De l’autre, la dynamique de l’ANRU, très différente : « démolir pour reconstruire » [3], ce qui n’augmente pas le nombre de HLM. « Beaucoup d’énergie est mise là-dedans par les bailleurs, et ça les détourne de leur mission. » Il faudrait « carrément abandonner les programmes de l’ANRU. (...) L’État a mis le paquet dessus. Il y en a jusque 2012-2013. Cela s’est mis en place au moment où la crise du logement émergeait, cela a même peut-être aider à augmenter la crise. Mais les communautés locales ne remettent jamais cela en cause ».
Vive le social !
Elie dénonce surtout « l’absence d’outils coercitifs pour imposer, en amont, la construction de logements sociaux aux promoteurs ». D’autant qu’ils ont « plus de puissance d’acquisition de foncier que nous, c’est eux qui créent le plus de logements. Il n’y en a d’ailleurs jamais eu autant que ces dernières années ! » Ces promoteurs privés bétonnent alors nos villes sans contraintes réelles : « Plusieurs projets, dans plusieurs communes, se réalisent sans aucun logements sociaux, et rien n’y oblige... » Et pour celles qui ne respectent pas la loi SRU, l’amende est dérisoire. A contrario du mouvement actuel, qui voit la ministre du logement Boutin tenter de revenir sur les 20 %, il s’interroge : « Pourquoi pas 40, 60 ou 80 % ? Pourquoi cela n’est-il pas mis en débat ? » Nous irions même jusqu’à proposer à nos amis socialistes et communistes de passer à 100 % ! Mais il faudrait pour cela commencer par barrer la route à Bouygues et compagnie : à Lille comme ailleurs, c’est plutôt l’inverse qui se produit...
Annonces gratuites
En attendant, les politiques multiplient les annonces de mise en construction de milliers de logements sociaux chaque année. Autant de promesses invérifiables. D’après Elie, impossible de savoir si les objectifs de constructions inscrits dans le Programme Local d’Habitat [4] de LMCU sont réellement réalisés : « Il n’y a aucun organisme de vérification, de contrôle. Personne ne vérifie le nombre de logements construits ».
Il lâche une dernière « impression » : pour les entreprises qui s’installent sur la métropole, les terrains seraient bien plus faciles à trouver. « Reconversion économique » oblige ! La communauté urbaine prévoit ainsi 1000 hectares pour l’implantation d’entreprises sur son territoire pour les dix ans à venir, sans parler des 70 hectares pour le futur grand stade...
Une note d’espoir tout de même : « Avec la crise, on va peut-être pouvoir reprendre du terrain. Pas au niveau politique, mais par le jeu du marché : des promoteurs abandonnent des projets, les bailleurs les récupèrent » (cf. ci-dessous). Chaque faillite de promoteurs privés équivaudrait à des logements sociaux supplémentaires ? Mais alors, vive la crise ?
A.D et S.G
* Prénom fictif
Article publié en janvier 2009.
En bref :
Chantiers à l’abandon
Au 2ème trimestre 2008, les ventes de logements neufs en France ont baissé de plus de 30 % et le nombre de permis de construire a diminué de 12 % sur l’année écoulée. Résultat : début novembre, les promoteurs privés abandonnaient nombre de projets de construction, équivalent à 30 000 logements, dont un millier dans la région. Des projets repris par les bailleurs sociaux.
[1] Un bailleur social est un organisme qui loue des logements à faible loyer (Habitation à Loyer Modéré, « HLM ») à destination de populations disposant -théoriquement - de faibles revenus. Ils peuvent être financés par l’État ou par le « 1% logement », une taxe payée par les patrons. L’activité peut donc être rentable pour des bailleurs sociaux privés.
[2] La loi SRU impose un quota de 20 % de HLM aux villes de plus de 3 500 habitants. Si le seuil n’est pas atteint, les pénalités financières sont ridicules : Neuilly, avec 3,2 % de HLM, a payé 123 000 euros pour la période 2004-2007. Le prix d’achat d’un studio !
[3] Au passage, ces programmes de démolitions-reconstructions de barres HLM financés par l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) opèrent un relifting urbain peu favorable aux classes populaires... À relire : « Démolir pour mieux régner », La Brique, n°3, juillet-septembre 2007.
[4] Le PLH est le programme qui définit la politique de LMCU en matière de logement : constructions, réhabilitations, financements, etc.