Les rues continuent de s’animer, la grande foire annuelle des sentiments bat son plein. Beaucoup de gens fourmillent, au-dehors... même s’il pleut. C’est déjà la nuit, et en plus des lumières de la ville, les guirlandes d’ampoules font des dessins et souhaitent de joyeuses fêtes. Les boutiques aussi s’y sont mises. Aucune vitrine ne se contente plus d’un simple père Noël. Il faut surprendre, innover. Attirer l’œil au milieu de toute cette agitation, de toutes ces loupiotes, de toutes ces saloperies.
Il y a les étalages artistiques des magasins chics, les vitrines chocs des magasins qui vendent du toc, et les vitrines enluminées des grands magasins.
Au milieu de ce fatras étincelant, les pubs, partout et sans répit, nous font la guerre pour coloniser notre imaginaire.
Il y a même des cabanes en bois qui sont apparues avec de la fausse neige, des bretzels et du vin chaud. Comme si le temps d’une ballade où tout sur notre route s’achète et se vend, on était à la montagne ou quelque part en Alsace. Il ne manque plus que des lutins en Moon Boots pour nous y faire croire.
À peine un peu plus loin, la grande roue, pour 4€, permettra de dominer la ville. Pour une fois au moins, pour quatre minutes, et au milieu des cons qui s’amusent à gueuler et à faire tanguer leur nacelle, on peut contribuer à sauver la planète. Parce que cette année, elle tourne à l’énergie « propre ». Ne faites pas trop attention aux dizaines de sapins en batterie qui l’entourent, si la Roue est « écolo », vous l’êtes aussi. Vous vous sentez coupable d’acheter des dizaines d’euros de cadeaux alors qu’on ne compte plus ceux qui ne mangent pas à leur faim ou qui vivent dehors ? De célébrer la famille quand certains seront seuls le fameux soir du 24 ? Détendez-vous. Allez voir rue de Béthune. Vous pourrez y acheter un magnifique bonnet de père Noël, afin de financer une œuvre caritative. Vous êtes jeune et préférez faire la fête. Pas de panique, on ne vous a pas oublié. Une place de concert peut vous être échangée contre un jouet neuf... d’une valeur minimale de 8€. Oui, on a dit neuf, le magnifique jeu d’échec échecs de votre enfance ne passera pas... une jolie Barbie ou une mitraillette neuves, si. Un concert pour les pauvres où il n’y aura pas de pauvre, pas de doute c’est bien Noël. Le capitalisme n’a pas avalé la religion, ils nous croquent ensemble. Derrière le gros Père Noël Coca-Cola visible partout le petit Jésus n’est pas en reste. Il demeure l’esprit de Noël.
Du rêve plein les yeux. Des dollar$, des £ivres, des €uros, en fait. Noël. La fête commerciale, morale par excellence, celle qui a donné l’exemple à toutes les autres. Impossible de s’y soustraire. Qu’on le fête, ou qu’on l’anti-fête, on ne passe pas à côté, l’air de rien. Mais si vous avez la nausée devant tout ce simulacre de bonheur à vendre, de charité de bonne conscience, et que vous dégueulez Noël, tournez donc un poil le dos, à l’arrogante grande roue. Elle freinera sa course fiérote et silencieuse d’un simple dédain, de l’épaule. Vous pourrez alors, en tendant l’oreille, entendre Claudine et son accordéon. En plus, pour ceux qui préfèrent carrément déserter le centre ville en cette période, elle est là même quand c’est pas Noël. Elle n’a pas de guirlande sur son accordéon mais elle, le vaut enfin, le détour.