Les pérégrinations d’un paumé dans le Vieux-Lille

J’avais pour idée un reportage à Porto Rico que La Brique, ça va de soi, m’aurait financé. Mais après avoir essuyé un refus doublé d’un juron de la part du trésorier, j’ai opté pour la facilité : une déambulation sauvage pendant un mois, avec quelques euros en poche, dans le Vieux-Lille. Le pied.

Papier publié dans le numéro 26 (mars-avril 2011)

Il existe au début de la rue Saint-André un troquet où le temps semble s’être arrêté. Au Petit Tonneau, hormis la vitrine remplacée récemment, rien ou presque n’a changé depuis quarante ans. Pas de vieilles pierres ici, mais une enseigne usée, des murs de bois goudronnés et un carrelage d’époque. Le père de Djamel s’y est installé en 1973. Le Vieux-Lille s’écroulait, ses taudis étaient peuplés de pauvres, aussi bien français qu’étrangers, et certaines de ses usines s’activaient encore. À présent, ce quartier populaire n’est plus qu’un vague souvenir. Il a laissé place aux façades restaurées, restaurants chics et boutiques de luxe qui attirent toujours plus de touristes, ce qui était impensable auparavant. Comme vous dira Djamel avec une touche de sarcasme, «  la bourgeoisie est arrivée » et les pauvres « ont été délogés ».

C’est à peu près ce qu’on peut entendre quand on prononce le nom de ce quartier à Wazemmes, là où je vis. A croire que le Vieux-Lille ne fait plus partie de la ville, tant il se distingue par ses épouvantables bourgeois – j’ai même entendu pire. Autant dire que ces préjugés m’ont parfaitement conditionné et j’éprouvais à l’idée de me retrouver ici pendant un mois, un peu fauché, parmi les riches, une sorte de hantise. Mon cauchemar a toujours été de pénétrer dans le Vieux-Lille par son sud, en empruntant ses rues « vitrines ». Esquermoise, la Clef ou la Grande Chaussée, cette dernière étant des plus indécentes : la richesse y afflue de toute part, les boutiques exposent nuit et jour l’incontestable triomphe du pognon et, sur un trottoir, au milieu de cette folie, un petit vieux fait la manche depuis un an. Il ne veut pas me parler, juste savoir si j’ai un peu de monnaie. Juste ça tandis qu’ici, à deux pas, un foulard se vend à deux cents euros. Que là, un sac à main en vaut mille. Mille satanés euros ! Un peu plus à l’est de la Grande Chaussée, la rue de la Clef me paraît peut-être moins insoutenable.

La Clef me fait penser à un conduit de canalisation, ou un truc dans le genre. Les gens sont réduits à l’état de flux parce qu’il n’y a plus rien pour les retenir durablement. Les vitrines, à force d’être léchées constamment dans le même sens, ne laissent aucun repos, aucune possibilité de stopper la cadence. J’y ai pourtant passé du temps, dans cette rue. Bien entendu les seules personnes que j’ai rencontrées, ce sont des commerçants. Au niveau du bistrot Le Carnot – ouvert en 1913 et, grande classe, décoré Art Nouveau – existait autrefois une petite place célèbre pour les fêtes populaires qui y étaient données. Puis la Clef est devenue ce fameux endroit que les bonnes familles interdisaient formellement à leurs progénitures. LA rue des « bars montants », autrement dit des maisons closes – légales avant la guerre, tolérées jusqu’aux années 1980. L’actuel patron du Carnot est arrivé à la fin de cette époque, en 1985. Outre la prostitution, on trouvait du shit facilement, ça traînait à toute heure et « c’était pas rare qu’il y ait une bagarre dans la rue », me dit-il. Un lieu glauque, en somme. À l’opposé de ce qu’elle est aujourd’hui.

Le dernier bordel, La Cygogne, est tombé pour proxénétisme en 1991. Le haschisch ne s’y vendait plus depuis qu’une opération de police avait conduit trente-huit personnes au poste. La rue était nettoyée, ses pavés restaurés et ses trottoirs élargis. Alors, comme Rémi et son Rocambole, de nouveaux commerces indépendants s’y sont implantés, tentant « leur chance dans une rue qui était une des rues malfamées de Lille ». Au fond de sa boutique, Rémi me dit qu’en vingt ans la spéculation a fait son bonhomme de chemin. « Les loyers sont complètement délirants, m’explique-t-il. C’est une espèce de loi du marché – puisque vous êtes d’un journal critique je vais le dire – une loi du marché débile, limite ultra-capitaliste. On vire les gens parce qu’ils ne peuvent pas payer leur emplacement, même si c’est eux au départ qui ont revalorisé la rue. » Maison close mais aussi boucherie, cordonnerie, épicerie ont disparu. La rue est alors devenue « culturelle », avec des libraires, des disquaires redonnant une nouvelle « dynamique » à la Clef. Sautant sur l’occasion, les « agents immobiliers », représentants d’une poignée de grands propriétaires comme le CHR, ont multiplié les loyers par deux, trois, cinq voire beaucoup plus. À la fin des années 1990, la rue a tout doucement viré « fashion ». Envahie d’abord par le skateboard, le graffiti, les jeunes du Tribal – l’ancien bar à la mode –, elle tape à présent dans le haut de gamme. Toujours « branchée », certes, mais excessivement chère. En tout cas pour un fauché de première comme moi. De jour comme de nuit, vous n’y verrez plus d’attroupement. Ça ne traîne plus, on consomme proprement et on se barre.

La transformation de la rue de la Clef est à l’image des rêves qu’élus et promoteurs ont faits il y a quelques années, quand ils partaient à la « reconquête » du Vieux-Lille pauvre et insalubre. En effet ce quartier, abritant quelque 22 000 âmes, est une miniature de la « ville rêvée », avec ce qu’il faut de vieilles pierres, de modernisme et bien sûr de prétendue « mixité sociale ». Pourtant ce n’était pas donné d’avance. Comme à Saint-Sauveur, le projet initial devait être conduit au bulldozer et prévoyait d’éventrer le quartier par une voie rapide, la « Percée de la Treille ». Dès 1964, l’association bon chic bon genre Renaissance Lille Ancien s’opposait à cette solution. Mais c’est bien plus tard que Pierre Mauroy s’est soudain trouvé une passion pour l’ancien, quand Lille a reçu un « prix du patrimoine » lors d’une exposition sur les grandes « villes d’art » à La Conciergerie de Paris. Transformer le quartier en centre touristique, je dirais même en parc d’attractions, c’était s’assurer de juteux profits pour l’avenir.

Au sud, donc, on entre dans le quartier à l’ombre des enseignes clinquantes. Au centre, entre la rue de Gand et la Treille, on accueille à bras ouverts les touristes qui, pour se restaurer, n’ont que l’embarras du choix. A l’ouest, autour de la rue Royale, nous atterrissons dans un petit village isolé où la vie est paisible. C’est là que Martine Aubry et Pierre de Saintignon, entre autres, ont élu domicile. C’est aussi dans ce coin qu’un jeune homme a disparu lors de mon reportage. Du jour au lendemain j’ai vu des avis de recherche partout, ça m’a fait froid dans le dos. Cette sombre histoire occupait mon esprit quand je suis arrivé sur la très coquette place Louchard, bordant l’église Sainte-Catherine. Ici, il y a vingt ans, on achetait une maison pour pas grand-chose, à condition d’avoir les moyens de la retaper. C’est en partie pour cette raison que Serge y a installé son atelier de peinture en 1993, dans une maison du XVIIIe siècle à l’abandon. Autour d’un café, il m’explique qu’ici « des affinités existent socialement ». Ses voisins, comme lui, sont «  plutôt des gens qui ont le sens de la culture ». Au fil de la discussion je m’évade, j’ai l’impression d’être à la campagne, dans un village pittoresque. Il y a pourtant un psychopathe qui traîne ses guêtres dehors, quelque part dans ce petit paradis. Que faire ? J’ai presque envie de passer la nuit chez lui, mais je n’ose pas demander. Serge me dit que depuis Lille 2004 et la rénovation de l’église, les touristes ont déboulé tout à coup en bas de chez lui, faisant de ce secteur un lieu privilégié. Preuve suprême, « quand il y a eu de la neige ça a été déneigé tout de suite et particulièrement devant le passage de Martine Aubry ». N’empêche que je pouvais très bien m’y faire trucider, ou disparaître sans laisser de trace. J’avais entendu parler d’un autre secteur « privilégié », plus au nord, après la rue Saint-Sébastien, là où se trouvaient les abattoirs. Après avoir remercié Serge je m’y suis rendu en remontant la rue Royale et ses « hôtels particuliers » orgueilleux. Un déplacement dont j’aurais pu m’abstenir. Là-bas, on tombe à présent sur un parc résidentiel « haut standing » que les mauvaises langues du quartier ont pris l’habitude d’appeler avec dédain « Disney Land ». Le terrain en friche était municipal et la mairie n’a rien trouvé de mieux que de le vendre au plus offrant. Le résultat est sinistre, l’architecte qui a conçu ce truc devrait être interdit d’exercer.

Les « logements sociaux » sont répartis dans tout le quartier, mais la majorité d’entre eux se situent à l’est du Peuple Belge, dans les grands ensembles Churchill et Pont Neuf. Des barres avec des squares. Bien entendu, ces résidences sont réservées aux plus modestes, contrairement aux belles HLM du secteur ancien qui abritent globalement le « haut du panier ». Entre le secteur touristique et les cités, l’avenue du Peuple Belge est une artère centrale qui polarise autant qu’elle sépare en deux le quartier. C’est ici que travaillent en partie les prostituées. Ailleurs aussi, je croise leur regard à chacune de mes déambulations. Je vois un père de famille très certainement respectable en faire monter une dans son « break ». À un coin de rue, je tombe sur une dispute agressive entre une jeune femme et son mac’, en BMW. Ailleurs, une autre vient de se faire voler son sac, mais je ne parviens pas à engager une vraie discussion. Je suis un peu bloqué, et j’en ai honte. Les élus ne semblent pas voir le malaise, ou font semblant. C’est en tout cas ce que j’ai compris lors d’une réunion de concertation concernant leur dernière lubie, à savoir la remise en eau du Peuple Belge. C’était le 3 février à l’Hôtel de Ville. Pendant la présentation de ce projet à 46 millions d’euros, pas un seul édile n’a parlé de la prostitution, ni de ce qu’il adviendrait des « travailleuses du sexe ». Naïf, j’ai alors pris le micro pour leur demander si le canal n’allait pas conduire à « un renforcement du dispositif sécuritaire et du harcèlement par les policiers des prostituées ». Mais aucun d’entre eux ne m’a répondu. Tout ce qui compte à leurs yeux c’est que le canal apporte son « gain en qualité urbaine », à l’instar de Bruges ou de Gand. Qu’il soit cette hallucination sidérante que Marc Bodiot, président de quartier, a eu un soir d’été : « On peut rêver, effectivement, qu’un soir, qu’un jour, on pourra aller en bateau jusqu’au Pont Neuf ». Quelques jours plus tard, la police interpellait treize prostituées au Peuple Belge. Simple coïncidence ?

Il faut savoir que depuis trente ans le Vieux-Lille est affaire d’expulsions. La plupart des gens qui vivaient là pour ses bas loyers ont été délogés, de gré ou de force. Jean-Luc a connu le quartier vers 1977. C’était l’époque du Clampin Libéré, ce journal qui, dans un dossier consacré au Vieux-Lille, déclinait sa population entre «  immigrés, prolos et marginaux ». Jean-Luc faisait partie de ces jeunes plus ou moins « en rupture de ban ». Nous avons erré ensemble, histoire de revivre cette période. Lui faisait partie des « Amis de la Terre », un local au 51 rue de Gand qui accueillait plusieurs associations militantes, anti-nucléaire, anti-militariste, etc. C’est là, dans ce repaire d’insoumis et d’objecteurs de conscience, qu’est née l’écologie politique à Lille. Non loin du 51, dans l’actuelle Cave aux Fioles, les trotskistes tenaient leurs réunions. Au 20 rue des Tours, dans un bâtiment de 1739 restauré à merveille, luxueux et sécurisé, nous pénétrons dans une cour intérieure. Ici, se marre Jean-Luc, « c’était un squat carrément hippie, c’était Katmandou », on y fumait un shit de très bonne facture. Le Vieux-Lille pullulait de « communautés flottantes », pour reprendre les mots du Clampin, mais les hauts lieux de la contre-culture se concentraient à l’ouest. Dans la rue du Cirque, avec la librairie des femmes, Ginette. Dans la rue des Trois Molettes, avec le squat des membres de la librairie « Schizo Diffusion ». Dans la rue d’Angleterre, avec le local du Clampin Libéré. Enfin, entre la rue de la Barre et la rue du Gros Gérard, avec le squat du Beau Bouquet. L’histoire de ce dernier a marqué les esprits. L’endroit avait été « préempté » par la municipalité qui travaillait à la « reconquête » du « secteur sauvegardé » décrété en 1967. Mais les occupants ne voulaient pas partir et, durant l’été 1977, la police est intervenue pour les déloger. C’est la première fois que cette « reconquête » a pris les aspects d’une « guerre de conquête » pure et simple. Dans la rue de la Barre, comme un hommage au squat, le café du Beau Bouquet a ouvert ses portes. Il est devenu le point central de la scène punk voire « post-punk » de Lille, où se produisaient des groupes comme Modèle V2, Liebroman ou encore Radio Romance.

Au milieu des années 1970, un bâtiment pourri de la rue de Gand est parti en fumée. Et deux enfants y ont laissé la vie. À partir de ce drame, des comités de défense des habitants se sont créés, avec en particulier l’Atelier Populaire d’Urbanisme (APU) qui poursuit toujours son combat à l’heure actuelle. Car malgré les belles façades et les touristes, le Vieux-Lille compte encore nombre de bouges et de logements vacants. Les ménages pauvres, aux revenus inférieurs à 60 % des plafonds HLM, représentent 35 % de la population et plus de la moitié d’entre eux sont locataires privés. Principales victimes, les chibanis, les anciens travailleurs immigrés qui vivent depuis des dizaines d’années dans les mêmes taudis. À l’APU, au 14 rue des Tours, là où La Brique tient ses permanences, Gérard me parle d’«  insalubrité diffuse ». Alors qu’elle était très concentrée à l’époque, quand le secteur le plus pauvre était sans conteste celui de la Place aux Oignons. Avec un ami qui m’accompagne depuis quelques jours, je pars à la rencontre de l’artiste Alain Buyse, en pleine polémique autour de son exposition « Drôles d’estampes » initialement labellisée « Année du Mexique ». Après la condamnation de Florence Cassez, Martine Aubry, en voyage au Sénégal, avait appelé à boycotter ce label, ce qui n’arrangeait pas les affaires du maître en sérigraphie. Celui-ci s’est installé à côté de la Place aux Oignons, rue des Vieux Murs, au début des années 1980. Il se souvient que le bâtiment en face de son atelier « tombait à moitié par terre, c’était squatté par des clodos ». En préemptant ce secteur, Mauroy avait pour ambition d’en « faire un village artisanal » et les logements sociaux qui allaient être créés seraient loués à des petites boutiques. Pendant qu’Alain Buyse répond à son téléphone et explique ironiquement à son interlocuteur qu’il est avec « un journal anarchiste qui fout la merde partout », mon ami me glisse : « On a délogé des gens qui habitaient ici, et on en a mis des nouveaux, dans quel but ? »

Au bout de la rue Royale, le stade Adolphe Max vient d’être revêtu d’une superbe pelouse synthétique à 1,4 million d’euros. Une figure du quartier m’y donne rendez-vous. Zizou connaît le Vieux-Lille depuis 47 ans. Agent vacataire de la mairie, il est fier aujourd’hui de son titre de « président délégué au foot », en charge de l’AS Vieux-Lille. Il a d’abord vécu dans le cœur du quartier, rue Voltaire, Négrier, Saint-André, avant de s’installer dans les logements sociaux du Pont Neuf nouvellement construits en 1975 sur les entrepôts des tabacs. « La première rue qui a été rénovée à ma connaissance, se souvient-il, c’est la rue de la Monnaie. J’avais des amis qui n’avaient pas les moyens de rénover leur maison. On leur a fait des ultimatums du style : il faut refaire la façade. Ils touchaient à peine le SMIG, même s’ils étaient propriétaires, et donc étaient obligés de la vendre. » Des souvenirs le frappent encore, comme ce « papa » exproprié, « assis à sa porte en train de pleurer ». Sans que ça soit quelque chose qu’il dénonce, c’est en tout cas des images qui l’attristent. Dans les années 1990, les choses avaient déjà bien changé : « Il m’est arrivé de croiser des gens qui me dévisageaient d’un air de dire “qu’est-ce que tu fais là ?”, t’es pas à ta place. Et ça, ça m’a fait mal ». Les pauvres du Vieux-Lille avaient migré. A Wazemmes, Lille-Sud, Mons-en-Barœul, Roubaix, avant que la résidence Winston Churchill soit bâtie sur les anciens jardins ouvriers, remblayés par la terre que l’on retirait pour creuser le métro. Demain cette cité reléguée en bordure du périphérique sera concernée par la remise en eau du Peuple Belge. Et que l’on soit séduit ou pas par le projet, Zizou pense comme moi que ce n’est pas une priorité. Il faut savoir que pour creuser les 350 derniers mètres du Peuple Belge, vingt monstrueux millions d’euros sont nécessaires. Parallèlement, Churchill connaît un chômage massif et on voudrait nous faire croire que le canal apportera assez d’emplois et cette si bienfaisante « mixité sociale ». Mais Zizou garde espoir, lui a confiance en Martine Aubry. Moi pas.

Dans le Vieux-Lille, mes méfiances envers élus et promoteurs se sont accrues. Ils ne poursuivent pas le même but, mais vont dans le même sens. Dorothée et Jean-Louis, un couple de profs à la retraite, arrivés place de Gand au début des années 1980, m’ont gentiment offert une bière. L’occasion de revenir sur l’arrivée des restaurants en bas de chez eux : « Il y avait dans l’idée de la mairie une volonté de réserver ce quartier aux restos ». Jean-Louis d’ajouter qu’un certain « Burie voulait en faire le “Petit Montmartre” ». C’est la première fois que j’ai entendu parler de Christian Burie. Ce fidèle de Pierre Mauroy, élu pendant trente ans, qui a occupé le poste de président du conseil de quartier de sa création à 2001. Je me suis donc arrangé pour le rencontrer, et lui m’a permis de l’enregistrer, à condition que « ça ne serve pas au grand capital ». Le moins que l’on puisse dire c’est que Burie, fort sympathique par ailleurs, n’a pas perdu ses réflexes d’élu. Pendant des heures il pourra vous raconter des centaines d’histoires toutes aussi passionnantes – comme ses 5,5 kilos à la naissance, tout de même. Quand vous lui poserez des questions épineuses, il bottera en touche et affirmera que la politique municipale consistait à combattre les promoteurs. Comme ce Vandaele, un fieffé escroc connu dans le quartier pour ses méthodes d’expropriation éhontées. Ce promoteur qui lui a expliqué un jour : « Les gens sont cons, faut savoir en profiter ». Puis finalement, Burie vous laissera payer les consommations que vous aurez partagées avec lui au café Aux Arts – 3,80 euros, c’est à peu près tout ce qu’il me restait. Désarmé, il ne vous restera plus qu’à vous demander ce qu’on peut bien espérer, face à la spéculation, de politiques qui rêvent de «  Petit Montmartre » ou de « promenades au bord du canal » comme à Gand et Bruges. D’autant plus quand on sait que la « reconquête » du Vieux-Lille a été l’occasion pour la famille Mauroy de se constituer un petit patrimoine foncier…

Je n’avais plus d’argent, donc, mais j’avais eu vent de la tenue d’une réception municipale organisée le 19 février sur le parvis de la Treille. Il y aurait certainement un apéritif offert et je voulais en faire profiter mon ami qui, ces derniers jours, m’avait merveilleusement soutenu. Aubry et Mauroy, le passé et le présent, avaient fait dresser un chapiteau pour accueillir la bonne bourgeoisie du Vieux-Lille et rendre hommage au cardinal Liénart. Un type dont on apprendra plus tard son attitude plus que douteuse vis-à-vis du régime de Vichy. A la fin de la séance des discours, le buffet – petits fours, tomates « mozza », bière, mousseux, whisky, etc. – a fait la joie de l’assemblée. Particulièrement celle des retraités qui s’y sont précipités. Emballés à l’idée de se remplir la panse avec autre chose que des pâtes, nous avons aussi donné l’assaut, jouant des coudes autant avec les petits vieux qu’avec le bras droit d’Aubry, Pierre de Saintignon. Mais la bière a vite fait de nous enivrer, et ce beau monde de nous saouler. Comme mon ami s’énervait en déclarant à haute voix : «  Le seul mec pas blanc ici, c’est celui qui fait le service ! », je lui ai proposé de sortir fumer une cigarette afin d’éviter l’esclandre. Dehors, sous la pluie, un Rom venait de négocier une boîte de biscuits apéritifs. C’est ça, le Vieux-Lille. Protégé par un fossé infranchissable, les snobs narguent la misère au quotidien et appellent cela « mixité sociale ».

Texte : T.B.Retour ligne automatique
Photos : Maxime Brygo

NB : Ce papier ne cite pas toutes les personnes rencontrées – des dizaines. Qu’elles sachent en tout cas que tous les témoignages ont été précieux pour l’écrire.

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