Il y a un an, nous vous parlions d’habitant.e.s mobilisé.e.s contre un projet de démolition de leurs maisons dans la cité familiale de la Lionderie à Hem1. Accompagné.es par une association de locataires (l’Atelier populaire d’urbanisme : APU) de Fives, iels ont tenté de faire entendre leur voix face à la MEL, la mairie et les bailleurs qui pilotent le projet. Leurs revendications, soutenues par l'APU, ont été littéralement balayées par les entrepreneur.ses qui n’ont pas caché leur cynisme et leur mépris des habitant.es.
La cité familiale de la Lionderie est un petit ensemble de maisons bâties en 1973 par le Toit familial (ex-Vilogia). C’était à l’époque une « cité de transit », soit des logements construits pour celleux qu’on appelait les « inadapté.es sociaux », en réalité des familles au revenu modeste qui ne pouvaient accéder au logement HLM. Les habitant.e.s étaient censé.e.s être relogé.es après une période de 10 ans, mais une mobilisation au milieu des années 1980 leur avait permis de se maintenir dans ce quartier devenu le leur. La mairie d'Hem n'a jamais lâché son ambition de raser ce quartier conçu pour être prêt-à-détruire. D’autant plus que le bailleur gestionnaire SOLIHA2 a largement négligé ce parc de logements dont une bonne partie est insalubre. Il semble que cette fois la mairie soit en passe de réussir son coup.
Passer en force sans écouter les habitant.es
En septembre 2017, les habitant.es de la cité apprennent médusé.es en réunion publique que leur logement va être démoli. Les élu.es tempèrent en indiquant que rien n’est acté et que la décision ne leur revient pas. Les esprits s’échauffent et la tension est palpable. Quelques semaines plus tard, un collectif de locataires se forme et fait appel à l’APU de Fives. Un premier diagnostic est tiré : 41 ménages sur la cinquantaine présents dans la cité ne souhaitent pas déménager.
Julia, une vingtaine d’année, travaillant dans l’associatif et Samira, retraitée très engagée dans le quartier, prennent la tête de la mobilisation et se retrouvent chaque semaine pour en discuter avec les voisin.e.s. Après plusieurs mois d’échanges, elles proposent un contre-projet qui prend en compte les envies des habitant.es avec un nombre réduit de démolitions, des réhabilitations lourdes et la possibilité d’accéder à de nouveaux logements pour les locataires souhaitant quitter la cité. « On n’est pas obligé d’ouvrir le quartier au bulldozer » indique même Julia à la presse locale3.
Elles organisent une réunion publique en avril 2018 et y invitent les grosses têtes : La MEL, les bailleurs et les architectes du cabinet MAA ne daignent même pas répondre4. En revanche le maire et quelques adjoint.es ainsi que certain.es technicien.nes de la municipalité et le conseil citoyen répondent présent. A l’espoir que suscite cette rencontre va rapidement se substituer une vraie douche froide. Après avoir pinaillé sur des détails techniques, le discours pro-démolition persiste tout en se défendant que rien n’est encore décidé. Le conseil citoyen se veut rassurant, il promet de faire « remonter » les demandes des habitant.es. Celui-ci, composé en majorité de membres nommé.e.s par le maire,finit par renvoyer une lettre délivrant « un avis défavorable sur le (contre) projet présenté »5.
Si l’on se doute que cette instance n’est qu’un mirage de plus dans la mascarade participative, de mémoire on n’avait jamais vu un conseil citoyen s’opposer aussi frontalement aux habitant.es dont il est censé porter la voix. Le coup de massue est brutal pour les habitant.es : on veut littéralement se débarrasser d’elles, d’eux, de leur volonté. Samira, qui s’était fortement investie dans le contre-projet, s'avère dépitée : « c’est fini on ne peut pas se battre contre l’ANRU, ils sont trop forts ». Elle décide avec plusieurs ami.es d’abandonner la lutte. D’autres poursuivent le combat, notamment pour le relogement, mais l’humeur est morose.
Une gestion illégale…? En bon père de famille !
Les dispositifs institutionnels de rénovation urbaine s’inscrivent dans des choix politiques qui évincent totalement les concerné.es et frôlent l’illégalité. Le sociologue Renaud Esptein a montré comment l’ANRU distribuait les subventions à condition que les municipalité ou les communautés d’agglomération se conforment exactement à ses attentes : démolition plutôt que réhabilitation, déconcentration des habitant.es plutôt que préservation des liens de voisinage (Voire Encadré page 25). Les pouvoirs locaux se retrouvent ainsi pieds et poings liés. Certaines municipalités refusent même de travailler avec l’ANRU en dépit de la manne financière qu’elle représente. D’autres s’accommodent parfaitement des contraintes imposées par l’agence, car elle sert leur dessein : embourgeoiser la ville et se débarrasser des populations dites « à problèmes », c’est le cas à Hem. Posons d’abord le décor politique. Francis Vercamer (UDI) est maire de la commune depuis 1998 et député depuis 2002. La loi sur le non-cumul des mandats l’empêche de conserver les deux postes aux élections législatives de 2017. Il pense à placer sa fille au parlement qui est déjà son assistante parlementaire. En pleine affaire Fillon, tout cela s'avère relativement délicat. Il choisit alors un homme de paille, Pascal Nys (LR), afin de garder les manettes de la mairie. Le nouveau maire est le modèle type de l’entrepreneur. Il possède les franchises Quick, aujourd’hui Burger King, sur la métropole et s’occupe de l’implantation locale de Starbucks. Cette fine équipe a pour but de transformer cette ville encore populaire en petit havre pour classes moyennes et supérieures.
La cité de la Lionderie, qui est du logement très social, doit ainsi être remplacée par un programme d’accession à la propriété publique ou privée. C’est ce qu’on appelle une montée en gamme. Pour ce faire, la municipalité a mis de l’argent de côté dès 2013 afin de réaliser un plan de rénovation urbaine qui concernerait, en plus de la Lionderie, le quartier voisin des Trois Baudets, même en cas de défection de l’ANRU. Or, si l’on en croit le journal Nord Eclair, pourtant peu connu pour son opiniatreté à dévoiler les magouilles locales, cette réserve budgétaire en vue d’une opération ANRU, a été dénoncée par la Chambre Régional de la Cour des comptes : elle ne serait pas « autorisée par la loi ». La municipalité s’en contrefout et se targue même d’une gestion « en bon père de famille » du budget de la rénovation (NE 24/11/2018). Le patriarcat municipal a encore de beaux jours devant lui.
Reloger et laisser pourrir
La phase de « relogement » a débuté en mars dernier. Elle est prise en charge par Soliha, gestionnaire de la cité, tandis que Vilogia, propriétaire des murs, s’occupe de la démolition. Si la MEL a signé une « charte de relogement » en 2016, rien ne garantit aux habitant.es que leurs demandes seront satisfaites, notamment pour celleux qui souhaitent rester sur Hem. Les locataires ont ainsi le droit à trois propositions, au-delà iels peuvent être légalement expulsé.e.s. Certain.e.s dénoncent déjà des pressions subies de la part du personnel relogeur sur les locataires. Iels ne devraient ainsi pas se montrer trop « exigeant.es » quant au type (maison ou appartement) et à la localisation du nouveau logement. D’autres ont eu le droit à des commentaires sur le fait que les enfants souhaitaient une décohabitation6 alors qu’ils ne « travaillent pas ». Enfin, un jeune qui occupe la maison de ses parents sans que le bail soit à son nom rapporte qu’il a été carrément menacé d’expulsion. Ainsi le bailleur semble peu en mesure de fournir une situation équivalente - soit une maison avec jardin pour un loyer de 500 euros par mois - aux locataires de la Lionderie et leur situation risque fort de se dégrader.
On pourrait penser qu’il est vain d’entretenir des maisons qui vont être détruites. Oui, sauf que le relogement est prévu sur une période pouvant aller de trois à cinq ans, autant de temps où des familles résident dans ces maisons. Soliha est ainsi devenue expert des travaux bâclés au grand dam des locataires. « Ces abrutis sont venus remettre du Placo neuf par dessus un Placo usagé » nous explique Jérémy qui a grandi dans la cité familiale. Il ajoute qu’ils « réutilisent des matériaux des maisons murées afin de les mettre chez les gens ». Soliha champion de la récup’! Par ailleurs, deux maisons menacent de s’effondrer sans qu’une solution de relogement d’urgence n’ait été proposée. Excédé.es, les habitant.es oscillent entre découragement et volonté de se battre contre ces injustices. Pétitions et lettres ont été envoyées aux bailleurs, à la MEL et à la mairie, mais il semble que pour l’instant personne n’en ait cure.
Jaja et Dessin de Thérèse
1. Lire « Désarmons le béton », dans La Brique n°54 " L'erreur est urbaine"
2. Soliha (ex-PACT ARIM) est une association bailleur et gestionnaire de logements très sociaux sur la métropole. C’est historiquement un organisme charitable créé par les patrons chrétiens du Nord pour loger les familles les plus pauvres.
3. Voix du Nord, 12 mars 2018.
4. Toutes les demandes de rencontres avec la MEL seront par la suite rejetées.
5. Lettre du conseil citoyen au collectif de la Lionderie suite de la réunion du 5 mai 2018.
6. La décohabitation est prévue par la loi, elle permet aux jeunes adultes qui le souhaitent de ne plus habiter avec leurs parents.
L’ANRU ou la folle ambition de détruire les quartiers populaires Depuis 2003, l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) est chargée par l’Etat de faire exploser les « ghettos ». Il s’agit de régler la crise sociale des banlieues à coup de millions et de bulldozers. Présentée par ses promoteurs comme un succès incontestable, elle n’en est pas moins critiquée de toute part, y compris par son propre comité d’évaluation et par la Cour des Comptes (2012). Notamment pour la violence des évictions et la destruction de la vie des quartiers populaires. Balayant ces critiques, le parlement a voté son prolongement en 2014 pour encore 20 ans. C’est que le mythe du « retour » de la mixité sociale grâce à l’éparpillement des pauvres, souvent non blancs, reste une solution tentante pour les maires qui y trouvent ainsi un moyen de se débarrasser d’une population gênante à peu de frais. Ainsi dans la métropole lilloise par exemple, particulièrement concernée par cette « ANRU 2 », c’est treize quartiers qui sont touchés, plus 4 000 logements sociaux à détruire puis reconstruits, pour un coût total estimé à deux milliards d’euros. Un service spécifique à la MEL a d’ailleurs été créé pour s’assurer de la bonne « répartition » des pauvres sur la métropole. Des villes comme Roubaix refusent par exemple tous nouveaux logements sociaux sur son territoire. Ce déplacement massif de population risque enfin d’engorger un parc social déjà saturé. Rappelons qu’en 2017, seulement un quart des ménages de la métropole ayant fait une demande de logements sociaux en ont obtenu un. |