Rien de nouveau sous le soleil de l’Europe
L’Europe construit sa politique d’immigration sur une condamnation plus inhumaine de l’immigration illégale… S’inscrivant dans une mécanique impitoyable que la France traverse déjà, depuis 3 ans un projet de directive est à l’étude. Il prévoit notamment un allongement de la durée d’enfermement en centre de rétention administratif (1). Ou comment l’enfermement s’affirme comme « un mode de régulation des flux migratoires ». (2)
Alors qu’il est avéré que plus la rétention est longue, plus la faculté à s’en remettre est difficile pour les retenu-e-s (3), un préaccord donne d’ores et déjà la possibilité aux Etats d’allonger la durée d’enfermement. Aujourd’hui de 32 jours en France elle pourrait passer à 18 mois (6 mois avec renouvellement possible de 12.) Avec le vote de l’ensemble de la directive (prévu en juin), les décisions d’expulsion seront assorties d’une durée d’interdiction de territoire de cinq ans sur le sol européen. Une double peine qui s’oppose au droit de quitter son pays, à la liberté de circuler. Qu’il y ait une guerre, une famine, ou un dictateur au pouvoir dans leur pays d’origine, toute personne ou famille précédemment expulsée de l’U.E trouvera - une nouvelle fois - porte close. Pour Hélène Flautre, ces décisions politiques alimentent et confortent l’entreprise de « destruction massive des personnalités » à l’œuvre et atteste d’un « nationalisme européen. »
Rétention délocalisée
La directive prévoit le développement de zones de transit dans des pays étrangers (Maroc, Libye…) car l’insuffisance de CRA dans la zone U.E pousse les Etats à chercher des solutions d’enfermement à l’étranger. « Pierre angulaire de la politique du retour de masse dont l’Europe semble vouloir se doter. » (2) Certains sont déjà opérationnels en Libye, Turquie, Ukraine et au Maroc. La nouvelle loi banalise ces pratiques et signe l’industrialisation des reconduites. Une claustration d’autant plus injuste qu’en cas de besoin, les personnes retenu-e-s pourront l’être dans un pays qui leur est complètement étranger « permettant une véritable mise à l’écart, un contrôle sur les populations indésirables. Un internement administratif. » (4) Mais alors même que dans notre pays, des conditions de rétention inadmissibles se superposent à l’iniquité de la rétention elle-même, les Etats pourraient-ils garantir les conditions de rétention au Maroc, en Libye, Etc. ? Faudrait-il déjà qu’ils s’en préoccupent…
Mobilisations
Depuis l’annonce du projet au mois de janvier dernier, en France et en Europe, des actions s’organisent contre ce que les associations et les opposants appellent « la directive de la honte ». A Lille, le Comité Inter Mouvement d’Aide aux Emigrants, s’appuie sur le CUCIJ (5), et lance un appel à la mobilisation. Tracts, pétition, expo’, manifestations aux CRA de Lesquin et Coquelle, interpellations des élu-es à exercer leur droit de visite dans les centres de rétention, les actions visent à mobiliser les politiques et la population. La pétition sur Internet a pour l’instant recueilli autour de « 33 000 signatures » (6). Cependant, à Lille, la mobilisation des élu-e-s reste marginale, voire inexistante ; et quand Hélène Flautre, veut user de son droit, elle est interdite de visite par la Préfecture… deux fois (7) alors que, comme nous le rappelle RESF (8) « sur Vincennes deux eurodéputés ont pu visiter le CRA ! » La mobilisation est présente aussi à l’intérieur des CRA. Et à ce titre, Vincennes est un exemple récent emblématique de ces luttes : grève de la faim, refus d’être compté ou d’entrer dans les cellules, manifestations, destructions des cartes d’identification… Autant de protestations qui reflètent la révolte des sans-papiers face à ce qu’ils subissent : des témoignages font état de passages à tabac, de gazages à la lacrymo’, de moyens médicaux inadaptés, de surpopulation, d’humiliations récurrentes… (9) Rien à voir avec les opérations portes ouvertes médiatiques qu’organisent les gouvernements quand le scandale leur échappe. Ces conditions d’enfermement donnent lieu à des scènes parfois violentes ou tragiques. Un rapport du Parlement européen fait état de ces manques de soins médicaux adaptés, émeutes, incendies, et suicides. Les rapports annuels de la CIMADE révèlent aussi ces faits (10) qui sont souvent passés à la trappe par les médias et auxquels les politiques apposent leur passivité, leur indifférence.
Photoreportage de JR. Site http://www.contre-faits.org qui utilise la licence creative commons, c’est important de le dire !
Prendre un enfant par la menotte
Comme le dénonce la CIMADE lors d’une réunion de coordination du CUCIJ, la politique de chiffre de Sarkozy et de son sinistre Hortefeux, fait apparaître des situations jusque là « inédites ou rares » : à savoir l’enfermement de personnes âgées, de femmes (parfois enceintes), mais aussi d’enfants, de nouveaux né-e-s. La CIMADE recense « 300 à 350 mineurs » retenu-es en France, dans des camps où l’on aménage des toboggans et des balançoires, le tout entouré de barbelés et bardés de caméras de surveillance… On naît en rétention, et bientôt, grâce à tata Europa, on pourra y grandir jusqu’à ses un an et demi… Le droit des familles est bien mis à mal. RESF constate : « Nous sommes au courant de plusieurs cas où l’un des parents en situation régulière voit sa famille éclatée parce que l’autre parent en situation irrégulière est expulsé. On fabrique des orphelins de père ou de mère. » Autre ingrédient de la politique Sarkozy, c’est la remise en question du droit du sol : « Si un mineur est actuellement en centre de rétention, c’est parce que sa famille y est. Cela pose la question du droit du sol : un enfant né en France et y résidant a vocation à pouvoir devenir Français. » Sauf s’il est expulsé avant avec ses parents… Et de spécifier : « en France, les mineurs ne peuvent pas et ne sont pas retenus s’ils sont isolés. » Là les propos sont à nuancer. Les méandres juridiques permettent la rétention de mineur-e-s isolé-e-s. Car bien souvent la question est de pouvoir déterminer leur âge. Ça se fait par des tests… osseux ; même si selon des médecins « aucune méthode ne permet cependant une détermination de l’âge osseux à un ou deux ans près. » (11). Ainsi la CIMADE en témoigne :« il y a toujours des mineurs placés en rétention. Ils nous arrivent fréquemment d’avoir la certitude de la minorité d’un retenu simplement en le voyant à son arrivée. » Et tout ça ne s’arrangera pas, effectivement, avec l’adoption de la directive « la France pourrait, conformément à la loi européenne, mettre en rétention des mineurs isolés. N’oublions pas qu’un mineur est un enfant, au regard du droit international, de la Convention des droits de l’enfant signée par la France. » Une Convention internationale relayée au rang d’essuie pieds. La directive, vient, à l’instar des zones de transit, normaliser et étendre un fonctionnement rodé. Arrestations et tests médicaux douteux pourront continuer. Comme dans cette situation où « … ni le juge du TGI ni celui du TA ne prennent en considération les documents afghans d’un retenu prouvant sa minorité. Bien que muni d’un extrait de naissance, il avait passé un test osseux qui avait conclu que : « rien ne prouve qu’il soit majeur ». Et le juge d’ajouter : « Rien ne prouve non plus qu’il est mineur. » Themis a les yeux bandés… la justice humaine fait entrave à l’humanité. Combien sont expulsé-e-s au prétexte d’une majorité supposée ? Un harcèlement ciblé, en vue de faire des plus jeunes de la chair à charter comme une autre.
« Les roses de l’Europe sont le festin de Satan » (12)
Les centres de rétention seront de plus en plus nombreux, en France, mais aussi à l’échelle européenne et hors U.E. Déjà en 2006 « le gouvernement annonce un calendrier d’extension et de construction des centres de rétention. » (10) RESF confirme la tendance : « la norme est à la multiplication des places en CRA, pour familles ou célibataires. On assiste à un accroissement de la capacité d’accueil des CRA, à de nouvelles ouvertures, à une inflation [du nombre] de personnes retenues. Un peu le même schéma que pour les prisons… Trop de monde : on construit. Trop cher : on privatise, on externalise ». En Europe, on comptabilise environ 40 000 personnes incarcéré-e-s, en attente d’admission ou d’expulsion. Il y aurait 224 camps de rétention éparpillés sur le territoire (dont une trentaine en France). Hangars, silos, vieilles usines, annexes de prisons, prisons elles-mêmes, bateaux, villages de tentes, commissariats, palais de justice, aéroports, ancien camp d’internement (Rivesaltes), sont autant de lieux d’enfermement, dont la plupart devaient être des installations provisoires et se trouvent « inférieures aux normes internationales. » (13) Il n’empêche que ces équipements deviennent permanents. Rétention plus longue, interdiction de territoire, renforcement des zones de transit en dehors de l’union : tous ces choix sont symptomatiques de l’industrialisation de la politique d’immigration que choisissent les dirigeant-e-s européenn-e-s… la politique du retour.
(1) Cf. La Brique N°3 Ceci n’est pas une prison
(2) députée européenne des Verts et Présidente de la Sous-commission des Droits de l’Homme du Parlement européen
(3) Etude du Bureau danois d’aide aux demandeurs d’asile entre 2001 et 2006
(4) http://www.directivedelahonte.org/
(5) Collectif Uni Contre l’Immigration Jetable ; regroupe associations, syndicats, politiques
(6) http://www.directivedelahonte.org/
(7) http://www.flautre.net/spip.php?article522
(8) Réseaux Education Sans Frontière 5962 Lille
(9) http://www.migreurop.org/article1256.html
(11) http://www.redon.maville.com/
(12) « L’Europe » Noir Désir Des visages, des figures
(13) Courrier International 10/01/08 au 16/01/08
En Europe, la durée de rétention varie : 32 jours en France, 40 jours (Espagne), 2 mois (Italie), 3 mois (Grèce). L’Allemagne, elle, ne dispose d’aucune limite d’enfermement ; des personnes ont été retenues jusqu’à 5 années.
Ce que demande RESF 5962 : « La régularisation de tous les jeunes mineurs arrivés isolés. Et, s’ils le souhaitent, leur naturalisation ; un titre de séjour Vie Privée Familiale (VPF) pour tous les jeunes majeurs arrivés isolés ou venus chez nous ; un titre de séjour de 10 ans minimum pour tous les célibataires, pour toutes les familles ayant des enfants scolarisés ou n’ayant pas d’enfants, ayant construit leur vie ici. »
La mobilisation peut coûter cher : Ivan et Bruno sont incarcérés en détention préventive depuis le 19 janvier 2008, journée de mobilisation contre la directive de la honte. Ils ont été arrêtés alors qu’ils se rendaient à une manifestation devant le CRA de Vincennes. Motif de l’interpellation : possession de fumigènes et de pétards (à explosion). Le juge anti-terroriste chargé de l’affaire, les inculpe pour association de malfaiteurs, détention et transports d’engins incendiaires ou explosifs en vue de détruire des biens ou de commettre des atteintes aux personnes. Des comités de soutien s’organisent un peu partout en France. Source : http://paris.indymedia.org/
« La CIMADE, seule association autorisée à être présente dans les CRA devrait renouveler son contrat pour ses interventions au cours de l’année 2008… [Mais] le gouvernement reprocherait à la CIMADE son engagement aux côtés des « retenus » et songerait à ne pas renouveler ce contrat au profit d’associations plus dociles comme la Croix Rouge, la Croix de Malte… »
Le gouvernement espagnol confirme le durcissement de sa politique d’immigration en allongeant le délai maximum de rétention des étrangers en situation irrégulière (40 jours actuellement), assimilant l’arrivée de clandestins à une arrivée de mafieux. Dans le même temps le gouvernement italien (emmené par le nouveau gouvernement Berlusconi) s’attaque à l’immigration clandestine en prévoyant la création d’un délit d’immigration clandestine, la transformant les centres de rétention temporaire pour étrangers en centres de détention provisoire.