À Dakar, Abidjan, Bamako ou Lomé, pour acheter leurs kilos de patates douces les habitant-es doivent payer en franc
CFA. Cette monnaie utilisée dans quinze pays souverains, anciennes colonies françaises, est imprimée par la Banque de France... en Auvergne. Cinquante ans après les indépendances africaines, elle continue d’être une mine d’or inépuisable pour la France.
Les nazis pendant la deuxième guerre mondiale avaient introduit les monnaies coloniales pour s’octroyer un pouvoir d’achat exorbitant dans les pays conquis [1]. En 1945, De Gaulle et son bras droit Foccart s’en inspirent pour créer le Franc CFA (pour Colonies françaises d’Afrique). Il s’agit d’un système complexe d’accaparement des richesses, un moyen d’acheter pour une bouchée de pain des matières premières indispensables à « l’indépendance énergétique de la France » si chère au Général. À propos du CFA, il déclarait : « La France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts à protéger ». Au moins c’est clair. Le principal levier, c’est le taux de change entre l’Euro et le CFA. En le modifiant, la France peut décider du jour au lendemain qu’un kilo de cacao ivoirien – comme toute autre ressource de la zone – lui coûte deux fois moins cher. Elle l’a fait en 1994 : la dévaluation décidée par Balladur a divisé par deux la valeur du CFA [2]. Conséquence immédiate : l’appauvrissement automatique des économies concernées.
Enrichir la France
Cette mainmise de la France sur la monnaie cache aussi un incroyable trésor : les « comptes d’opération ». Ils ont été créés officiellement pour garantir la stabilité financière de pays naissants, notamment en maîtrisant la hausse des prix. Mais ce dispositif permet aussi que 50% [3] du montant de toutes les transactions extérieures de la zone CFA soient placés sur un compte du Trésor français. Par exemple quand la Côte d’Ivoire vend pour un million d’euros de café, c’est 500 000 euros qui viennent grossir ce compte français. Une sorte de deuxième compte en banque, dans lequel la France puise pour éponger des déficits, faire des placements et même pour prêter de l’argent aux États africains, avec évidemment des intérêts... Une cagnotte qui représenterait aujourd’hui douze milliards d’euros [4].
Économies inféodées
Les rares présidents africains ayant tenté de s’émanciper de ce système l’ont douloureusement appris. Sylvanus Olympio, président du Togo l’a payé de sa vie en 1962. Mais la plupart des dirigeants s’accommodent très bien du CFA, plus préoccupés par leur enrichissement personnel et bien remerciés par les grandes multinationales. Ces dernières n’ont aucun intérêt à ce que le pouvoir monétaire change de main. « Le franc CFA n’existe et n’est bienfaisant que pour la France. Jamais on ne parle de l’intérêt de la France. Pourquoi le cacher ? Il est pourtant multiple : rapatriement des bénéfices de ses entreprises, [...] fixation d’une clientèle pour ses productions », explique Odile Tobner de Survie [5]. La France s’active dans l’ombre des coulisses diplomatiques pour garder la main sur ses anciennes chasses gardées. Sardou peut dormir tranquille : « le temps béni des colonies » a de beaux jours devant lui…
Manuel Z
[1] Voir « Le Franc Enchainé », René Sédillot, éditions Sirey, 1945.
[2] En 1945, 1 FF = 50 Fcfa. En 1994, 1 FF = 100 Fcfa.
[3] Avant 1973 ce taux était de 100 %.
[4] lesechos.fr.
[5] Association en pointe sur la lutte contre la Francafrique, voir survie.org.
À lire : Le Franc CFA et l’Euro contre l’Afrique,
Nicolas Agbohou, éditions Menaibuc, 2008.