Friche St Sauveur : répression plutôt que prévention
Souvent évoquée dans les médias, la Friche Saint-Sauveur est convoitée par la MEL qui veut en faire son nouveau terrain de « jeu-trification ». Mais ce lieu est surtout le symbole des galères des exilé.es, qui survivent dans un bidonville depuis deux ans. Leurs luttes sont souvent relayées dans nos pages. Depuis quelques mois, le trafic de la misère a pris de l'ampleur. Les personnes en grande précarité en sont les premières victimes. Malgré l'alerte des associations, les pouvoirs publics laissent volontairement pourrir la situation.
Depuis l'opération « Plan Grand Froid » menée en février 20211, une partie des habitant.es de la Friche est hébergée dans des hôtels. Dans le même temps, la Mairie en a profité pour murer l'entrée principale du site, située rue de Valenciennes2. Des personnes « extérieures » à la Friche, qui n'y vivent pas et n'ont d'autre intérêt que d'y installer leurs trafics, profitent de l’enclavement de la zone à l’abri des regards. Le 11 juin dernier, une jeune femme prénommée « Zaza » décède. C'est dans ce contexte que les associations de terrain3 écrivent une lettre de signalement aux pouvoirs publics le 1er juillet, pour alerter de « la présence de personnes en état d'extrême vulnérabilité sur la Friche ». Elles rappellent que ce lieu sert toujours de refuge de fortune aux SDF, en situation d'exil ou non, mineures ou majeures, consommatrices ou non. Ce sont les premières victimes des trafiquants de drogues et des réseaux de proxénétisme. Les associations dénoncent une situation sanitaire catastrophique et des atteintes graves à la dignité humaine. Surtout, elles demandent à la Mairie, au Département et à la Préfecture de prendre leurs responsabilités en mettant en place des actions d'accompagnement social et sanitaire.
Un signalement resté lettre morte
Ce n'est que le 21 juillet que Arnaud Deslandes, 2ème adjoint de Martine, rencontre les associations. Sa proposition : « On met un coup de pied dans la fourmilière avec les robocops, on garde rien ». Florence Magne, adjointe municipale en intérim et féministe à ses heures perdues, lui préfère « une opération "libérons les femmes", on les embarque toutes ». Les militant.es sont dégouté.es de cette réponse exclusivement répressive. Sur leur pression, une nouvelle réunion est organisée en présence notamment de la Sauvegarde du Nord et de l'ABEJ4. Sur le terrain, il ne se passe toujours rien. Le 1er octobre, la Mairie organise une rencontre avec les équipes du Samu social dans le but de « définir les orientations en cas d'évacuation du lieu », aucun émissaire du beffroi ne daigne s'y rendre. Les associations présentes s'opposent toutes au démantèlement de la Friche qui ne résoudrait aucune problématique individuelle. Alors qu'elles réclament des moyens, la Mairie leur propose de faire elles-mêmes un diagnostic social sur la Friche !
La répression pour seule réponse
Le 4 octobre dernier, 80 policiers débarquent sur la Friche à 7h du matin. Les Stups, la Brigade des mœurs, la BAC et les RG sont sur place. L'ambiance est tendue. On comprend qu'il s'agit d'une opération de Police Judiciaire. Des femmes sont interrogées sur place dans les fourgons, les exposant à des représailles. La Police aux Frontières (PAF) joue l'incruste et en profite pour embarquer 5 personnes, dont 4 seront placées en Centre de Rétention Administrative. Pour un policier pris à partie par une militante d'Utopia 56, ces personnes en situation irrégulière sont de simples « dommages collatéraux ». A contrario, seule une personne sera interpellée dans le cadre de l'enquête judiciaire. La réponse des pouvoirs publics est uniquement répressive alors qu'ils ont les moyens de mettre à l'abri les personnes victimes des trafics. Mais que fait la Mairie ? Ça crève les yeux : elle laisse la situation s'empirer, et se frotte les mains. Plus la Friche se transforme en ghetto, plus il sera facile de procéder à son démantèlement pour servir le projet du Beffroi.
Camo, Lud
1. Le 8 février 2021, la Préfecture du Nord annonce l'activation du niveau 2 du Plan Grand Froid (températures négatives le jour et comprises entre -10 et -18°C la nuit) et propose des places supplémentaires en hébergement d'urgence.
2. Voir « Luttes et galères des exilé.es sur la Friche », La Brique n°64.
3. Agir pour la santé des femmes, AIDES, EXOD, Gynécologie sans frontières, la Cimade, LHA, PARC, Fête la Friche, Solfa, Utopia 56.
4. L'ABEJ est une asso qui répond aux besoins d'urgence et accompagne les personnes à sortir durablement de la rue.
Au Parc Matisse, expulsion en catimini
Si le bidonville de la Friche est un lieu connu des lillois.es, peu savent qu'un camp de fortune est installé dans le Parc Matisse, entre les deux gares. En pleine torpeur estivale, les flics ont détruit l'ensemble des abris où survivent une quinzaine d'exilé.es. Ni la Mairie ni la Direction de la police municipale n'assume la responsabilité du démantèlement.
Les policiers municipaux se sont inspirés de leurs homologues calaisiens qui traquent quotidiennement les exilé.es. Le 22 juillet vers 16h, ils somment les personnes exilées de démonter leurs tentes et de quitter le Parc Matisse. Sous la pression policière, quelques-un.es obtempèrent. Mais la grande majorité du camp sera démantelée par les condés eux-mêmes. Les tentes et effets personnels (dont des papiers d'identité) seront envoyés fissa à la déchetterie. Des membres des associations Utopia 56 et EXOD cherchent alors à savoir qui a donné l'ordre de cette expulsion manifestement illégale. Florence Magne affirme que la Mairie n'a rien à voir avec l'opération. L'évacuation serait une « initiative de la police municipale intervenue en raison d'un feu de camp ». En résumé, des flics passent à proximité du parc, voient de la fumée et en profitent pour démanteler le camp sans qu'aucun ordre ne leur ait été donné, excès de zèle gratis ? Cette histoire ne tient pas debout. Selon nos sources, la déchetterie a été informée le matin même de la nécessité de prêter main forte à la bleusaille en fin d'après-midi. L'opération était donc bel et bien prévue.
Accompagné.es par des militant.es associatif.ves, des exilé.es déposent plainte pour vol auprès de la police nationale contre la Mairie. Dans sa grande mansuétude, Florence Magne s'engage à ce que les effets personnels soient remplacés et les personnes relogées. À son retour de vacances, Patrick Pincet Directeur Général des Services, change son fusil d’épaule : il s'insurge du dépôt de plainte contre la Mairie et affirme qu'aucun effet personnel ne sera remplacé. Il nie la responsabilité de la Mairie, prétendant que « la police municipale a cru bien faire en faisant nettoyer les lieux » et évoquant une « initiative qui ne s'est pas passée de façon appropriée ». L’enfer est trop souvent pavé de bonnes intentions ! Responsabilité de la municipalité ou bavure des flics ? Contactés par La Brique, ni la Mairie ni François Debrouwere, Directeur de la police municipale, n'ont souhaité répondre à nos questions.
La guerre de l'usure
Cette expulsion surprise a pour objectif de maintenir les exilé.es dans un état de stress permanent et de dissoudre leur collectif. Pendant l'évacuation, désespéré, un homme a fait une tentative de suicide, ce sera présenté comme un « incident » par un flic ayant participé au démantèlement. De nombreuses personnes ne se sont pas réinstallées sur le lieu, par crainte d'une nouvelle expulsion. Cette situation complique le travail des associations, qui peinent à instaurer une relation de confiance avec les personnes en exil. Depuis l’opération, certaines d'entre elles ont littéralement disparu. En dehors de la Friche et du Parc Matisse, les galères des personnes en exil sont moins visibles. Ailleurs dans la ville, des familles entières et des mineur.es isolé.es sont à la rue ou vont d'hébergements d'urgence en squats. Les associations dénoncent la multiplication de ces situations catastrophiques et l'absence d'aide des pouvoirs publics aux plus invisibles : les SDF, les jeunes en foyer, les exploité.es d'Uber et toutes les personnes isolées.
Camo, Lud