Multiplications de discours présentant les migrations comme une menace pour « l’identité nationale », lois scélérates dont la dernière sur le droit d’asile, chasse aux étranger.e.s, … C’est dans ce contexte, tout cynisme dehors, que la mairie et la préfecture mettent en scène leur humanisme en accueillant des exilés de l’Aquarius. L’occasion pour nous de rendre compte de la situation complexe du squat le 5 étoiles et de ses habitant.es.
Souriez, vous êtes filmés
Dans la France de la supposée « crise migratoire », il y a les politicien.nes qui mentent, et puis il y a M. Aubry, qui a le mépris de ne même pas faire semblant de croire en ce qu'elle dit. Sans doute a-t-elle haussé les épaules et bâillé, comme à chaque fois que les nécessités de sa carrière la forcent à énoncer des convictions, lorsqu'elle a doctement pontifié, le 3 août dernier, devant les principaux médias nationaux et régionaux1 : « depuis le début de la crise des réfugiés, les Lillois, fidèles à leur tradition d'hospitalité, ont toujours été à la hauteur et ont su tendre la main à ceux qui ont tout perdu ». Il y a aussi des préfets sentimentaux, tel M. Lalande, qui fait part de sa toute nouvelle compassion pour les réfugié.e.s, et les met en garde, a contrario, contre une France hostile, à laquelle dans son esprit il n’appartient apparemment pas, et qui ne les accueillera qu’à « bras fermés »2.
Rappel des faits : cet été, après le refus de l'Italie et de Malte de laisser débarquer plus de six cent exilé.es recueilli.es par l'Aquarius, les autres États européens se renvoient les uns aux autres la responsabilité de l'accueil, faisant fi des conventions internationales (droit de la mer, convention de Genève). Le feuilleton médiatique est lancé. Pendant plusieurs jours les questions s’enchaînent : où débarqueront ils ? Quel pays sera responsable de la demande d’asile ? Le pression italienne suscite des débats pour réformer le droit des étrangers en Europe.
Solidarité subventionnée
Finalement, l’Espagne laisse accoster le bateau. La France, d’abord réticente, finit par accepter qu’une partie des personnes arrive sur son territoire, 78 au total. Dès le mois de juin, la maire de Lille écrit au directeur de l’OFPRA3, afin de proposer son soutien pour l’hébergement. Un mois plus tard, 42 soudanais arrivent à Lille. Ils sont logés dans un ancien Ehpad que la mairie décide de rouvrir. Pour cet acte de solidarité, la ville va recevoir une belle enveloppe de la part de l’État, responsable de la prise en charge des demandeur.se.s d’asile. La somme provient elle-même d’un fonds européen, dont la France bénéficie comme les autres pays qui ont accepté des exilé.es de l’Aquarius sur leur territoire. L’exploitation médiatique des 42 est totale. Le 3 août donc, les exilés sont reçus à l’Hôtel de ville afin qu’on leur délivre leur statut de réfugié obtenu en un temps record.
Et alors ? Tant mieux pour eux … critiquer le geste de la mairie, n’est-ce pas faire preuve d’un parti-pris de dénigrement hors de propos ?
Rafles et guet-apens
C’est que devant d’autres étranger.e.s, les bras de M. Lalande et M. Aubry. sont habituellement fermés : cell.eux du Parc des Olieux, délogés sans solution au bout d’un an et demi, perdant les liens qu’ils avaient noués avec les habitant.e.s du quartier ; les oublié.es de la préfecture qui, avec l’aide du Collectif des Olieux, avaient décidé d’occuper en plein hiver un bâtiment vide appartenant à l’hôpital de Lille, délogés au bout d’une semaine par le RAID ; celles et ceux qui ont vécu le long de l’ancienne gare St-sauveur. Ceci, à l’exact moment où M. Aubry, dont le sens de la décence ne semble pas la qualité première, nous informait de son souci de « résoudre les problèmes de logement à Lille » en livrant la zone aux promoteurs immobiliers.
D’où le caractère révoltant de cette cérémonie. Encore une fois, la mise en scène d’un instant d’humanité de la part des puissant.e.s cherche à occulter la violence effective des politiques qui sont mises en œuvre quotidiennement. M. Lalande est pourtant responsable de l’application zélée de la politique du ministère de l’intérieur. Ainsi, la préfecture n’hésite plus à utiliser les rendez-vous administratifs dans ses locaux, obligatoires dans le cadre d’une demande d’asile, pour interpeller des personnes. Pour faire simple, la préfecture convoque une personne puis en profite pour l’interpeller, l’enfermer et souvent l’expulser du territoire. Restons lucides, un cas particulier ne permet pas d’oublier des années de déni, de mépris et de violence administrative et symbolique.
Le paradoxe n’a pas échappé aux premier.es concerné.es du Collectif des Olieux. Ces dernier.es, en pleine mobilisation pour le retour de l’eau dans leur lieu de vie, se sont rendu.e.s à l’appel aux dons organisé par la mairie pour les réfugiés de l’Aquarius. Durant l’été, des manifestations sont organisées devant la mairie, la MEL ainsi qu’ILÉO4. Différentes occasions pour les exilé.es de recevoir une bonne dose d’amour comme on le pratique à Lille : flics, barrages, menaces et RG, et bien entendu, aucune réponse ni don pour les malvenu.es. Mais c’est aussi l’occasion de discuter et d’informer les donateur.rices, ignorant la situation.
L’accueil, loin des caméras
L’accueil des étranger.es à Lille sans le pouvoir féerique des caméras le voici : plus de cent personnes, des mineur.e.s, des majeur.e.s en demande d’asile, ainsi que des sans domicile fixe, vivent depuis novembre 2017 dans un squat ironiquement dénommé le 5 étoiles, rue Jean Jaurès. L’endroit est un palace bien particulier : pas de chambre mais des tentes à même le sol du hangar ou des matelas dans des bureaux désaffectés, pas de sanitaire (ni douche, ni toilettes), bref une insalubrité extrême. L’accès à l’eau, n’a été rétabli que mi-juillet après plus de six mois de coupure par le propriétaire du lieu, le bailleur social Partenord. Depuis l’eau coule par l’unique robinet disponible, parce qu’il faudrait pas exagérer.
L’administration ne semble faire aucun cas de la vie et des droits des habitant.e.s du 5*. Pour rappel, l’État doit les héberger avec les centres d’accueil et d’orientation (CAO) ou les centre d’accueil des demandeur.es d’asile (CADA) alors que les mineur.es doivent être logé.es par les services du département. Pourtant si légalistes en d’autres occasions, ni la préfecture, ni le département (engagé via l’Aide sociale à l’enfance), ne semblent pressés de respecter la loi en cette situation.
Les résident.es se voient ainsi privé.es du droit à l’hébergement, ce qui complexifie l’accès à la santé, à la scolarisation et à la formation. Pour les pouvoirs publics, s’asseoir sur les droits des étranger.e.s revient à nier leur humanité.
Mais dire que les autorités ne font rien serait inexact : plutôt que de proposer des solutions décentes, les services responsables de l’hébergement griffonnent aux personnes arrivantes l’adresse du squat sur un bout de papier ! D’autres comme l’EMA5, vont jusqu’à distribuer, en plus de l’adresse, un guide de la débrouille, écrit par le Collectif des Olieux, pour pallier leur inaction.
Voici donc la vérité de l’accueil : non seulement l’État se soustrait à ses obligations, mais il empêche activement les étranger.e.s d’accéder à leurs droits.
Concentrer les « indésirables »
C’est que ce squat sert les intérêts des autorités publiques. Comme les années précédentes, vis-à-vis du parc des Olieux et de Saint-Sauveur, la stratégie de la mairie et de la MEL est de dégrader les conditions de vie (non ramassage des déchets, non installation de douche ou wc, coupure d’eau…). Ça fait toujours du monde en moins à prendre en charge et tant mieux si cela peut dégoûter les personnes de Lille ou de la France. Le fumeux mythe de l’appel d’air n’est jamais bien loin. Autres calculs cyniques : vivre dans ces conditions fatigue et décourage les résidents.
Totalement déconsidéré, il est d’autant plus difficile de se mobiliser afin de revendiquer ses droits. Et réciproquement, l’insalubrité du lieu peut dissuader les actes de solidarité spontanée. La solidarité est d’autant plus mise à mal que le 5 étoiles est un bâtiment à l’abri des regards. Contrairement au Parc des Olieux, qui avait vu le développement de fortes solidarités entre les habitant.e.s du quartier et les occupant.e.s., contrairement aussi au squat de St-So, qui interférait malencontreusement avec les rêves immobiliers de la Mairie, le 5* produit une invisibilisation de ses résident.es. Pour la marie et la préfecture, le 5* est donc un véritable outil de ghettoïsation, de surveillance et d’invisibilisation des « indésirables »6. Mais la rhétorique humanitaire est apparemment intarissable. Quand les autorités décident de fermer un lieu qu’elles ont elles-mêmes grandement participé à entretenir, l’administration n’hésite pas à présenter l’expulsion, comme une « mise à l’abri » ou une « opération humanitaire ». Si l’on ajoute à cela deux, trois articles qui reprennent le plan de communication de la préfecture et quelques assos complaisantes et subventionnées qui réalisent un « diagnostic social », il faudrait être fou pour s’opposer à ce genre d’action menées au nom du « bien-être » des personnes.
Y a d’la joie !
Même si les conditions de vie sont précaires, des personnes vivent là. Ce lieu permet de se rencontrer, de rigoler, de laver son linge, de se disputer, de faire un peu de français, de se coiffer, de se reposer, d’échanger. Ainsi, malgré la demande d’expulsion des lieux par Partenord en fin d’hiver dernier, la justice a autorisé l’occupation provisoire du lieu pour six mois dans une décision du 24 mai. Cette décision vient confirmer le droit pour les habitant.e.s d’y vivre, de s’organiser pour exiger une autre vie que celle qu’on leur propose. Des actions ont depuis été menées pour tenter de contraindre la mairie d’installer des toilettes et des douches7. Aujourd’hui, les habitant.e.s du Collectif des Olieux demandent via une pétition des hébergements dignes8. Afin de soutenir cette requête, des recours vont être déposés pour rappeler à la préfecture l’urgence de la situation. Cependant, conscient.e.s du peu de volonté politique de les loger, les résident.es du « cinq étoiles » tentent également d’améliorer leur situation matérielle et ont, à l’approche de l’hiver, établi une liste de besoins urgents.
Cette lutte pour des conditions de vie décentes laisse voir toute la volonté de la préfecture, du département et de la mairie pour pourrir la vie des étrangers. Cette machine administrative à broyer, bien rodée, s’applique d’autant plus quand il est question d’obtenir un statut légal. Pourtant, « toutes les institutions, notamment la Mairie, nous montrent que quand elles le veulent, elles ont les moyens et les solutions »9.
Alors, plutôt que des opérations de promotion sur le dos des rescapé.es de la Méditerranée, à quand une vraie politique d’accueil ?
1Le JDD, le Parisien, Le Monde, La Voix du Nord, France Bleu Nord, Le Figaro, Paris Match, RTL, France Culture, France 24 … liste non exhaustive.
2« La France qui vous accueille va vous paraître étrange, [face] à ceux qui vous accueillent les bras ouverts, il y a aussi ceux qui vous accueillent à bras fermés ». Propos de Lalande rapportés par Le Monde, « Lille célèbre le statut de réfugiés de 42 soudanais de l’Aquarius. », 3 août 2018.
3Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides chargé d’instruire la demande d’asile.
4Propriété de Véolia, chargé de la distribution de l’eau dans la métropole
5 Le service Évaluation Mise à l’Abri (EMA) est chargé comme son nom l’indique d’évaluer la minorité des personnes.
6M. Agier, « Gérer les indésirables : des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire », Flammarion, 2008
7 Il s’agit d’une compétence municipale. Ordonnance du 23 novembre 2015 : « il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti ».
8La pétition et la liste de besoins urgents sont disponibles sur le blog du collectif des Olieux. Par ailleurs une assemblée est ouverte chaque dimanche à partir de 14h au 5étoiles (rue jean jaurès). http://olieux.herbes-folles.org
9Communiqué 52 du Collectif des Olieux