« La nature imite l’art », disait Wilde (Oscar). Aujourd’hui c’est la réalité, et plus particulièrement les moyens mis en œuvre pour la sûreté publique, qui ressemble à un mauvais film de science-fiction. Vous aimez bien quand un flic commente ce que vous avez acheté au carrouf ? Vous avez vu le drône qui vous demande de rentrer chez vous immédiatement ? Non ? Ça fait un peu peur quand même hein ? Mais ne nous laissons pas dépasser par nos émotions : la froide supériorité de notre raison analytique nous permet d’examiner objectivement les conséquences probables du confinement. Tâchons donc d’imaginer de quoi demain (enfin, après-demain, dans un mois, le jour où on sortira de nouveau) sera fait : quelques scénarios, trouvés aux meilleures sources.
Avertissement ! Article garanti sans enquête : aucune adéquation de la pensée aux choses n’a été opérée dans l’élaboration de ce texte.
Scénario 1 : Totalitarisme numérico-sanitaire
Chacun.e sait que les gardiens de la paix, tels les acteurs d’une expérience de Milgram1 grandeur nature, ont beaucoup de mal à se retenir d’appuyer sur la gachette de leurs petits jouets sadiques. Or le couvercle qui maintenait tant bien que mal les désirs répressifs fascistes a désormais définitivement sauté. Car non seulement ils ont grave pris la confiance ces derniers temps, mais maintenant il y a une bonne cause. La combinaison cardinale devient celle de la santé et de la sûreté. La risque sanitaire, argument ultime du quadrillage policier. Tout ce qui hier encore pouvait apparaître à quelques esprits rétifs comme « du flicage un peu intrusif » devient maintenant nécessaire : traçage des déplacements via les tél, contrôle des relations sociales, mise à contribution de la population dans sa surveillance et celle des autres, catégorisations des gens selon leur degré de risque sanitaire…
Quel gouvernement, pour une telle mission ? Les flics d’acier se sentent investis de la mission de maintenir vivante la société : ce n’est plus seulement l’ordre public qui, croient-ils sous leur crâne rasé, reposent sur leurs LBD, mais plus fondamentalement la survie de l’espèce humaine. La Police Nationale est renommée Survie et Sécurité. « La survie, c’est la première des libertés », annonce le Préfet BigCasquette, réquisitionné à la tête du gouvernement de Régénération Nationale. « Les libertés non-essentielles ne seront donc désormais plus autorisées », poursuit-il. La peur gagne l’ensemble de la population et devient petit-à-petit la seule chose que nous partageons encore : les pandémies, les confinements, les tags de commandos gauchistes, se succèdent sans fin, rendent toujours plus incertain l’avenir.
Scénario 2 : Les 120 journées du confinement
Un retour à la normale ? Non, plus jamais. L’exode massif du XVIe à Belle-Île aura pour nous représenté comme une brèche ouverte sur l’avenir. Car dans le même temps, des ouvrier.es continuaient à maintenir les productions nécessaires, sans l’ombre d’une protection. L’avenir est à la sécession des riches et au sacrifice des pauvres.
C’est que le virus n’est qu’une face d’une crise plus générale, disons le mot, d’un effondrement : bouleversement des climats, mega-feux, disparition accélérée des espèces animales… Bientôt les villes seront invivables, la nourriture manquera, des conflits terrifiants se déclencheront, d’autres maladies plus terribles reviendront. L’avenir n’est pas sombre : il est foutu, il n’y a plus rien à sauver.
Passé le petit moment d’abattement que suscite cette prise de conscience, l’état d’esprit de la population change : les barrières morales qui empêchaient la plupart d’entre nous de nuire trop visiblement aux autres s’affaissent. La seule option devient : chacun.e pour soi, vite se dépêcher de prendre sa part, se baffrer, jouir par tous les pores, profiter-tant-qu’il-en-est-encore-temps, se faire plaisir jusqu’au bout, jusqu’à en crever. Le nihilisme devient religion officielle d’État. La production est réorganisée de façon à maintenir le niveau de vie des élites, « quoi qu’il en coûte » : les usines tournent à plein dans un air toujours plus raréfié, l’esclavage est rétabli, l’exploitation minière relancée à Auchy. Le seul éclair de joie devient le mal que l’on peut faire à l’autre. Peu à peu, le riche redécouvre les jouissances si intenses de la torture : les safaris de pauvres deviennent un loisir couru, les oreilles, doigts et nez prélevés sur les ouvrier.es un accessoire de mode. Le matin, le cadavre des rebelles exécuté.es pendant la nuit flotte doucement sur la Deûle.
Scénario 3 : Soleil vert
L’alternative nous apparaît chaque jour plus claire : dire au-revoir à grand-papa ou voir baisser le PIB ? Quelques précurseurs courageux l’ont dit d’emblée, aussitôt noyés sous l’opprobre de la bien-pensance humaniste. Mais le déni ne peut persister longtemps : chaque jour, chaque heure, chaque minute est une minute perdue sur le front de la bataille économique.
Utilitarisme et darwinisme social deviennent les mots d’ordre d’une société qui ne se ment plus à elle-même. « Quel est le plus utile, nous demande-t-on : la survie de quelques improductifs, ou une création de richesse qui bénéficiera au plus grand nombre ? » « La vie est cruelle, ajoute-t-on : la vie c’est le risque, c’est la maladie, c’est la mort. Ne pas s’attacher, affronter les dangers : dans cette guerre qu’est la vie, seuls les plus compétitifs d’entre nous resteront en marche ».
Armée de ces convictions, allégée de celles et ceux que l’on ne pouvait garder, la population reprend l’Oeuvre Productrice, sans faillir. La semaine de 60 heures n’est bientôt qu’un souvenir joyeux pour ceux qui en abattent 90. L’espérance de vie chute à 35 ans pour les femmes, 23 pour les hommes. Le principe de réalité triomphe. La réalité c’est la mort.
Scénario 4 : Épicurisme et herbes folles
À la faveur de cette crise, les vraies valeurs apparaissent enfin, les vraies questions se posent : est-il nécessaire de rémunérer davantage les pilotes de ligne que les infirmières ? Avons-nous davantage besoin de nutella que de pommes ? Au fond, n’avons-nous pas été abreuvé.es de désirs superflus ?L’épicurisme originel se répand dans la population, telle une nouvelle religion : apprendre à se satisfaire de peu, faire la somme des petits plaisirs quotidiens, distinguer l’accessoire du nécessaire. De nouvelles formes de conscience émergent d’un coup, et elles ne peuvent plus se taire : la protestation se propage comme un virus. Soudainement, tout ce qui hier encore suscitait le désir devient osbolète. Obsolète. Extinction rebellion se charge de donner une expression politique à ce sentiment. La société n’a-t-elle pas jusqu’à présent valorisée des choses inutiles et pas gentilles ? Nous sommes le problème. Le boycott éco-responsable est l’arme brandie par chaque consommateur.ice éco-responsable. Les marchands d’armes, les politiciennes d’extrême-droite et les producteurs de films pornos font faillite. Moins de commande chez Dassaut, licenciements, moins d’achats de bagnoles, pas de jouets à Noël et pan dans ta gueule… c’est petit-à-petit tous les secteurs industriels qui disparaissent dans l’indifférence générale. Le vieux monde se meurt. Internet ne marche plus que vingt minutes par jour, consacrées à regarder des videos de chatons. La Brique devient Le Pain quotidien et part s’établir dans la forêt de Phalempin ; ses membres se lancent dans la culture de houblon, réalisant le vieux rêve marxiste du « travailleur polyvalent », paysan le matin, journaliste l’après-midi et ivre mort le soir. Devant l’effondrement, il apparaît bien vite que seule l’entraide et la bienveillance réciproque pourront fournir une porte de sortie : on montre du doigt ceux qui ont essayé de s’en sortir seul dans leur coin, sans aider les autres, et qui sont morts de faim tout seul chez eux. Bien fait. Le gens reprennent le goût de se parler, de regarder le temps passer, la vie est là, simple et tranquille.
1 : expérience de psychologie des années 60 cherchant à évaluer les limites de l’obéissance à une autorité incitant à accomplir des actes visiblement néfastes.
Tryphon Lefuneste