Voilà 26 jours que les sans-papiers ont entamé une grève de la faim, sans que leurs revendications ne soient prises en compte par la préfecture ou les socialistes. Ils réclament pourtant deux choses simples : que soit reconnu officiellement leur état de santé et, sans changer cette demande d’un iota depuis le mois de janvier, que le CSP59 puisse de nouveau participer aux études mensuelles de dossiers en préfecture.
Depuis dimanche matin cent vingt-cinq sans-papiers sont installé-es dans l’Église Réformée de Fives, rue Pierre Legrand. À leur arrivée, des discussions se sont engagées avec les membres de la paroisse afin que les intentions du collectif soient éclaircies et entendues. Il y a plus de vingt jours que certain-es sans-papiers ne s’alimentent plus... Le thé est tout ce qu’ils peuvent ingérer au regard de leur grève de la faim. Ces hommes et ces femmes cherchent un refuge afin de faire reconnaître la réalité de leur état de santé et se faire entendre. Dans la continuité du bras de fer engagé entre le CSP et la préfecture depuis le mois de janvier, le CSP demande également à être reçu afin de remettre au préfet « une liste portée par les grévistes de la faim en vue d’une régularisation ». Les membres de l’église ont accepté de soutenir les sans-papiers en partageant les locaux de leur culte.
Pompiers et personnels du SAMU n’ont pas tardé à arriver sur les lieux mais n’ont pas réalisé les examens nécessaires. Ils n’étaient pas équipés pour faire des prises de sang et ont expliqué que tout cela « est politique ». Comme s’il s’agissait d’un frein aux droits et à l’attention nécessaires à la situation... Les sans-papiers ont déjà passé plusieurs nuits sur place. En vingt-quatre heures, pas moins de dix-sept personnes avaient été évacuées vers les services hospitaliers de la métropole. Ces hospitalisations attestent de la réalité et de l’intensité de la dégradation de l’état physique des grévistes. Affaiblissement, perte de poids, vertige, évanouissement... Des symptômes qui peuvent avoir des conséquences graves sur l’organisme et laisser des séquelles à vie, comme en témoigne Miloud dans une interview publiée à la suite de cet article [1].
Où est « le changement » promis par les socialistes ? S’est-il arrêté aux « frontières du département » ? Ce sont les questions que se posent les sans-papiers, déterminé-es à continuer leur lutte. Le préfet et les autorités socialistes doivent prendre la mesure et la responsabilité de la situation qu’ils ont provoquée. Le PS trouve son compte en laissant les préfets sarkozistes aux manettes, mais qui pourra dire qu’il ne savait pas que des personnes risquaient leur vie ? La grève de la faim est un moyen de lutte radical, désespéré, un ultime recours. C’est le produit de l’impasse politique dans laquelle les pouvoirs publics enferment ces personnes. Aubry, Valls et Bur vont-ils les laisser mourir pour quelques bouts de papiers ? Une chose est sûre : on ne voit toujours pas bien la différence avec la droite.
W.R
Interview de Miloud, gréviste de la faim en 2007 :
« Ce que cherche un sans-papier : l’égalité »
Tu peux revenir sur 2007 et ta grève de la faim ?
En 2007, j’ai fait la grève de la faim. J’ai été expulsé au Maroc, au bout de soixante-neuf jours. Je pesais 35 kilos. J’ai été condamné là-bas au bled, à cause de la police française qui a parlé avec la police du Maroc. Ils ont dit que j’avais insulté la police et tout. J’ai été condamné à 300 euros d’amende ou six mois de prison. Je n’ai pas payé... J’ai fait mon retour ici, dans la lutte des sans-papiers, et ça sera jusqu’à la régularisation.
En 2007, pourquoi le choix de la grève de la faim ?
Avant la grève de faim, on discutait entre sans-papiers. Soi-disant il y avait des gens qui auraient pu être régularisés, comme moi. Mais on a compris qu’en fait le préfet Canepa ne donnait pas les papiers, qu’il régularisait juste par la bouche. Les sans-papiers en avaient marre que les choses traînent comme ça. On a alerté les médias, on a discuté avec le préfet mais il n’écoutait pas. On a commencé alors les manifestations et les occupations. Le 15 juin 2007, on a occupé la gare Lille Europe, 56 personnes ont été arrêtées et mises en garde à vue. À partir de là, on a commencé la grève de la faim.
La police intervenait souvent pendant la grève de la faim ?
Le 1er août, la police est venue avec les pompiers et a évacué les grévistes de la bourse du travail. On s’est fait traiter de bougnoules... Après ça, on dormait à côté des hôpitaux. La police est venue à Tourcoing une fois, où j’étais avec quatorze grévistes de la faim à dormir dehors. Elle est venue à six heures du matin. Elle nous a ramenés au commissariat, où il y avait trente-six autres personnes arrêtées. Sur les trente-six, deux Marocains ont été expulsés.
Ta situation en 2007 ?
J’avais un contrat, une promesse d’embauche, j’avais tous les papiers demandés par le préfet. Et même aujourd’hui, j’ai tout, mais le préfet ne veut pas régler les choses. Il laisse traîner. Même quand t’as un « bon » dossier, tu n’es pas régularisé. Beaucoup de gens ont des enfants qui ont la nationalité française, mais ils n’ont pas les papiers. Pour moi, c’est la honte. La France, c’est le pays qui parle des droits de l’homme, c’est la honte. Maintenant c’est zéro régularisation. Avant, en 2006, on avait trente régularisations par mois en moyenne. Avec la CODRESSE, aujourd’hui, y a personne de régularisé. Même si t’as un contrat, tous les papiers qu’il demande, le préfet ne respecte pas la loi et ne régularise pas. Il pousse les gens vers la grève de la faim. Les sans-papiers ont décidé que la prochaine occupation, c’est la grève de la faim. C’est la dernière cartouche qu’on va utiliser pour débloquer les choses. Les sans-papiers sont déterminés à la faire. L’État pousse les gens à mourir ou à se faire mal à la santé. Voilà ce que cherchent le Préfet et Sarkozy (encore président alors, ndlr).
Tu serais prêt à la refaire la grève de la faim ?
Pas le choix. Je reste pas comme ça 10 ans sans rien à faire. J’ai pas de papiers, j’ai pas de vie, j’ai rien, j’ai tout perdu. Tu restes les bras croisés ? J’ai pas le choix.
T’as eu des séquelles suite à la grève de 2007 ?
Quand je suis revenu en France, après l’expulsion, je suis resté deux ans et demi enfermé. Je ne sortais plus ! Deux ans et demi ! La chambre et la cuisine, c’était tout ! Depuis 2007, je crois, trente-quatre grévistes ont été régularisés sur les cinquante six. Des gens sont partis. Et beaucoup souffrent, les gens sont malades. Moi j’ai attrapé une maladie. J’ai toujours mal aux pieds maintenant, partout. En 2007, j’ai foutu en l’air ma santé. De toute façon, les sans-papiers risquent plus rien du tout. Maintenant c’est la vie, la mort, ou les papiers. Ce sont les trois choses qui restent dans la tête d’un sans-papiers : la vie, les papiers, ou la mort. Ce que cherche le préfet, que les gens mettent leur vie en danger.
Vous avez beaucoup de soutien ?
Ça va. Comme on dit chez nous Al hamdoulillah. Ils savent ce qui se passe. Maintenant Sarkozy attaque pareil les français. Ils sont dans la merde maintenant, avec 5 ans de misère. La promesse de Sarkozy de 2007 n’a pas été tenue : « si je suis président, dans deux ans personnes qui dort sur le trottoir ». La France elle en est où là ? Le chômage a augmenté, c’est pareil que pour les sans-papiers. Tout le monde est dans la merde. Les « bougnoules », « les morts de faim ». Franchement on est tous dans le même bateau. Qu’on soit sans-papier ou soutien. Le soutien qui ne trouve même pas de quoi finir le mois, qui ne trouve même pas de logement, c’est quoi ça ?! Les étrangers ont sauvé la France après la guerre, Sarkozy a oublié ça. Moi pour le moment je travaille au noir, pas le choix, pour vivre. Je ne me sens pas voleur ou criminel. Je cherche un morceau de pain et à vivre comme tout le monde, c’est ce que cherche un sans-papier : l’égalité.
[1] Interview réalisée pendant le précédent mouvement de lutte au mois de mars.