Détour par un café culture

detourÇa fait quinze ans que Philippe tient son troquet, Le Détour. Rue de Fontenoy à Moulins, il anime un peu ce quartier populaire, aujourd’hui désigné « Zone de sécurité prioritaire ». Il nous raconte son parcours et ses difficultés actuelles à faire vivre un café concert entre les législations sur le bruit et celles sur les horaires de fermeture.

« Il y a vingt ans à Moulins, t’avais un café à chaque coin de rue. J’ai même une photo de 1903, ici c’était déjà un bistrot ». Aujourd’hui, on les compte sur les doigts de la main. Depuis que la fac de droit est arrivée il y a quinze ans, ils ont été remplacés par des fast food. Passées les 19h, cet ancien quartier ouvrier est presque éteint. Les jeunes squattent la place Déliot, les autres restent devant leur télé. « C’est vrai que la culture du bistrot s’est un peu perdue. Et puis, ça devient difficile pour beaucoup de se payer un verre en rentrant du boulot ». Contrairement aux grandes fêtes anonymes et bruyantes de Lille 3000, de Saint Sauveur ou des discothèques, au Détour, on est plutôt entre habitué-es : étudiants encanaillés, petits voyous, skinheads amateurs de ska ou de punk, teufeurs assommés à l’électro, rappeurs, la cave du Détour les accueille le week-end pour des concerts ou un baby-foot. À la fin des années 1980, Philippe bossait au Concorde, près de la place de la République. Ambiance enfumée, on s’y retrouvait en fin de manif’ sous les grands posters des Bérus et de Charlie Hebdo. Ou pour des soirées qui débordaient sur le trottoir. C’était la movida lilloise.

Répression de la vie publique ?

« Il y a huit ans, il n’y avait pas vraiment d’études acoustiques, en tout cas pas pour la cave. Si tu voulais contrôler le son, ça te coûtait 500 francs, là c’est 3000 euros. Les restrictions sont de plus en plus fortes, surtout pour les lieux privés j’ai l’impression. » On se souvient des largesses laissées au Tripostal quant à l’hygiène par exemple [1]. Depuis deux ans, la police passe régulièrement contrôler le bruit. « Je suis restreint pour les concerts maintenant. Et je dois fermer à minuit en semaine, 1h le vendredi et 2h le samedi. Et t’as pas le droit de laisser les gens sortir avec une bière alors qu’ils doivent fumer dehors. Ça devient très dur, je ne sais pas si je vais m’en sortir. » Et peu importe l’histoire ou le rôle du café dans le quartier, la loi c’est la loi. 90 décibels, c’est pas 91. « Pourtant j’ai l’impression d’amener des choses et des gens différents. Je voulais apporter de la vie, de la culture. Il y a plein de groupes qui sont passés ici qu’on retrouve maintenant dans les maisons Folie ou sur des grandes scènes. Mais ça, ils s’en foutent. » Comme c’était le cas avec le cinéma L’Hybride l’an dernier, les problèmes se posent de la même façon à Moulins que ce soit à L’Univers ou La Rumeur. Le quartier devenu « Zone de sécurité prioritaire », les flics vont-ils remplacer les cafés ?

Le Détour est adhérent du collectif « Culture Bar-Bars » qui compte 250 adhérents en France. Il défend les intérêts des « Cafés culture » à propos des législations sur le bruit, la diffusion de musique ou la vente d’alcool. Le collectif aimerait faire reconnaître ces petits cafés « comme lieux incontournables des pratiques artistiques amateurs » qui, de toutes façons, ne pourront jamais être cantonnés aux « structures institutionnalisées » [2]. À Lille en effet, on a l’impression que ça devient difficile d’exister en dehors des grosses machines ou de celles affiliées aux pouvoirs publics. Une culture indépendante et populaire, faite d’anonymes et de curieux, ça se défend.

Notes

[1« Lille 3000 : l’envers XXS d’un décor XXL », La Brique n° 27, mai-juin 2011.

[2Le site du collectif : bar-bars.com. Tous les ans, le collectif coordonne le festival « Cultures Bar-Bars ». Il aura lieu du 22 au 24 novembre dans toute la France.

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