Du béton au bétail

En Picardie aussi on s’attelle au redressement productif. Au Nord d’Abbeville, le bétonneur Ramery projette la construction de la plus grande exploitation laitière française : 1000 vaches et 750 veaux et génisses seront élevé-es hors-sol, dans un hangar. Adossé à cette super-ferme sans pâture, un méthaniseur d’une puissance de 1,5 MegaWatts produira de l’électricité à partir des déchets organiques qui ne manqueront pas d’en sortir.

 

Michel Ramery, 329ème fortune française en 2011, respecte ses engagements : "valoriser les matières premières" pour "préserver les ressources naturelles" [1]. Évidemment, il se trouve toujours des riverain-e-s un peu bégueules pour trouver quelque chose à y redire. Ainsi, l’association Novissen [2] s’inquiète des gaz qui sortiront des cheminées du méthaniseur, ou d’une épizootie qui pourrait se déclarer dans une telle concentration d’animaux et se transmettre aux riverain-e-s. Risque d’autant plus grand que les bâtiments concernés ne se trouveront qu’à 600 mètres des premières habitations. Sans parler d’une éventuelle pollution des sols et des eaux suite à l’épandage des déchets qui n’auront pas été consumés par le méthaniseur : on parle de 40 000 tonnes de digestrats (de la bouse, quoi) qui seront épandus chaque année sur environ 2500 hectares.

Élevage et animalité

Que dans la campagne picarde on s’inquiète des dégâts de l’agriculture industrielle a de quoi surprendre. Il y a déjà un moment que les monocultures de patates et de betteraves ont évincé l’image d’Epinal du cul terreux perdu avec ses trois vaches. Engrais et pesticides s’infiltrent partout pour le plus grand bonheur de celles et ceux qui consomment l’eau des nappes phréatiques [3]. Le projet de construction de cette « usine à vaches » n’a rien d’exceptionnel. À l’ouest des États-Unis, la taille moyenne des exploitations est, par exemple, de 1056 vaches. Et il y a bien longtemps que les porcs et les volailles ne voient plus la lumière du jour. Parfois en Picardie, l’élevage a été conservé dans les exploitations agricoles comme une ressource financière d’appoint. Cependant, la suppression des quotas laitiers prévue pour 2015 pousse de plus en plus d’exploitant-e-s à se séparer de leurs bêtes pour se concentrer sur la culture. Chaque année, la région perd donc des éleveurs et des éleveuses. Pour autant, la production laitière reste stable, destinée à devenir une activité spécialisée dans laquelle les bêtes ne sont perçues qu’à travers un rapport utilitaire : des machines organiques, intermédiaires entre les granulés et la viande ou le lait.

Contrairement aux rêves des zootechnicien-ne-s, produire de la viande ou du lait nécessite encore des animaux qui – ô malheur ! – mangent, attrapent des maladies, beuglent, travaillent, refusent d’obéir, meurent... L’industrialisation des productions animales a fait des bestiaux des fardeaux pénibles et encombrants. Néanmoins, même entassés dans des hangars, les animaux d’élevage ont gardé leur animalité. C’est elle qui nous renvoie l’inhumanité de ce projet d’usine à vaches. Persister à nier l’animalité des animaux domestiques en les considérant comme des automates pourrait bien, un jour ou l’autre, nous mener à des nouvelles vaches folles ou autres poulets grippés.

Camille & Louison Bobet

A lire : Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux. Une utopie pour le XXIe siècle, La Découverte, 2011.

Notes

[1ramery.fr/engagements

[2Acronyme pour « Nos villages se soucient de leur environnement ».

[3« Défense et illustration du cancer picard », tomjo, juillet 2012, hors-sol.herbesfolles.org

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