L’autre, c’est celle du trottoir d’en face, celle de la pub, ou encore celle qui, pour nous autres, des femmes, incarne la perfection. Pour dépasser cet idéal, tous les moyens sont bons...Tous ? C’est en partant de cette réflexion que Cécile Talbot (1) présente sa performance Modèle, modèles, où des femmes mises en scène dans leur rapport au corps, jusque dans leur violence au corps, tentent de dire l’autre, la femme rêvée, du délire à la norme.
Je suis une copie de copie, de copie... » résume un peu la teneur de ta performance qui, grosso modo, montre la difficulté d’être et de jouer à être une femme et d’atteindre le modèle qu’on idéalise.
Oui, dans le spectacle les filles commencent par jouer « aux » filles, en tombant dans les pires clichés, par exemple les talons aiguilles, le maquillage, finalement tous les symboles qu’on attribue à la femme et la féminité. Et puis elles se rendent compte que ce n’est pas si facile de coller au « modèle », de ressembler à un idéal indéfinissable. Elles en viennent à repousser leurs limites, à tourner en rond, au point d’entrer dans une forme de folie...
Le rapport au corps est ici aussi axé sur la bataille, une guerre intérieure... C’était la base de ta démarche politique ?
J’ai voulu partir de nos gestes quotidiens, de ces banalités, en fait véritables bases de l’organisation politique et économique. Notre corps est un territoire occupé qui subi une attention constante où la publicité n’aide pas ; image unique de la femme, telle mensuration, tel degré d’épilation... Alors même quand t’es une fille « qui n’a pas à se plaindre », tu restes étouffée sous ce poids structurel qui veut que tu tendes vers la perfection, c’est un ennemi intérieur qui s’installe. Finalement, les garçons nous font rarement des remarques négatives sur notre corps, mais nous seules entrons en compétition avec... nous.
Cette violence, d’ailleurs, t’en fais quelque chose qui devient finalement banal, normal... flippant, non ?
À un moment, une des filles dit « c’est quand même pas dur de vomir, faut savoir ce que tu veux » ou « tu manges que des pommes », tous les moyens sont bons (3). C’est notre corps qui devient notre propre ennemi.
Tu mets l’accent sur l’apprentissage des gestes qu’on dit « naturels » chez les femmes, c’était déjà le cas dans l’un de tes spectacles, Celles qui
Oui, il y a 2 ans j’ai fait une performance à l’Hospice d’Havré, la Maison-Folie de Tourcoing, qui avait pour thème l’éducation des filles. J’ai mis en scène des textes féministes dans un ancien couvent de jeunes filles, un lieu où elles ont été nombreuses à devoir se taire. Elles apprenaient à être discrètes et soumises...ici, je montre que marcher de façon « naturelle » avec des talons, ou utiliser tous les autres accessoires (maquillage par exemple) est aussi et encore un apprentissage imposé. Être ce qu’on attend qu’on soit en tant que femme s’apprend encore aujourd’hui.
Tu mets en scènes des accessoires-clichés de la féminité et d’ailleurs, toutes ces chaussures à talons...
Oui, au début j’ai vraiment choisi les pires ; talons très hauts, avec des strass... Il y a avait un peu l’idée de « je fouille dans l’armoire à maman » comme peuvent faire les petites filles... On s’amuse en se déguisant en femme. Et puis au fur et à mesure (4) on voit l’objet différemment, il devient quelque chose qu’on peut apprendre à utiliser. On renoue nous-même avec certains accessoires qu’on ne voyait possible que sur les autres.
Tu te situes comment dans les mouvements féministes, et dans ta propre démarche militante ?
Mes propres réflexions sont le fruit de lectures, de discussions avec des amies. En 2004, j’ai pris part à certaines discussions du groupe de parole qui s’était crée (5). Mais, je trouve qu’il y a un manque aujourd’hui et surtout en France en ce qui concerne les mouvements féministes, il n’y en a pas de grande ampleur. On en est quand même restée à Simone de Beauvoir (6)...
Entre l’académie des Beaux-Arts et le milieu militant, je suppose que ça ne doit pas être facile de trouver sa place en tant qu’artiste qui s’engage.
J’ai un peu le cul entre deux chaises. Certains de mes prof me trouvent trop revendicatrice et me font bien comprendre que je suis là pour travailler davantage les techniques, les arts plastiques. Et d’un autre côté, les milieux militants vont me dire que je ne vais pas assez loin dans ma critique. En plus, le fait de faire une perf aux Beaux Arts ça peut en bloquer certainEs ; car c’est un lieu « d’art officiel ».
Le milieu artistique est-il toujours sexiste ?
Oui, surtout dans la direction, c’est quasiment que des hommes alors que c’est 70 % de femmes qui composent l’effectif des élèves des Beaux-Arts, où sont-elles passées ? En plus, le mouvement féminsiste en tant que mouvement artistique est consiédéré comme un vieux mouvemtent, donc c’est pas évident de dire que ce n’est pas terminé. trop théâtrale, d’avoir mis trop de texte. Par contre, les retours du public ont été assez encourageants.
Et à quel genre de public, justement, souhaites-tu t’adresser ?
Je pense que la perf’ parle essentiellement aux filles car il y a beaucoup de clins d’oeil du genre « et oui, on s’est toutes dit ça ». Car, qu’on se le dise, il y a des choses qu’on n’ose pas se dire entre filles. Parler de ses complexes dans un monde décomplexé est devenu difficile. Et puis, c’est bien aussi que des hommes puissent la voir, pour qu’ils comprennent cette bataille avec nous-même, l’oppression constante qui pèse sur nos corps. A terme, c’est un public beaucoup plus large que je souhaite atteindre. Car derrière ces problématiques peut-être jugées « superficielles », on touche à la condition féminine. J’aimerais toucher un public moins épuré, moins élitiste que celui des Beaux Arts.
Prochaine représentation prévue le 18 juin 2008 au Centre Culturel Libertaire Culturel, 4 rue de Colmar, M° Pte des Postes.
1. Élève à l’Ersep : École Régionale Supérieure d’Expression Physique.
2. Sur le sujet, voir entre autres “Mon corps est un champs de bataille”, analyses et témoignages, collectif, éditions Ma colère.
3. 90-95% des personnes présentant des troubles alimentaires sont des femmes. 20% parmi elles présentent de graves troubles, quand seulement 33% disent avoir des « comportements alimentaires normaux ».
4. Les répétitions durent depuis presqu’un an.
5. Collectifs anti-patriarcat.
6. La France connaît un retard dans les études féminines et du genre mais depuis quelques années la tendance change. M.H. Bourcier (sociologue) notamment, travaille à Lille III sur les mouvements « queer ». * Les citations des accroches proviennent de Mon corps est un champ de bataille.
Interview réalisée par M-H. F