Une nouvelle génération de jeunes est en marche. Ce sont les volontaires ! Ici ou ailleurs, ils rendent service au milieu associatif. Et pour leur permettre de mieux s’engager, on a créé pour eux un statut sur mesure : le Service Civil Volontaire. Quand l’Etat prend l’éducation citoyenne des jeunes à coeur, volontariat rime avec initiation à la précarité renforcée.
Dans une société qui peine à se définir et à trouver ses nouveaux repères, il devient urgent de réhabiliter les valeurs du travail collectif et désintéressé au service des autres » (1). Voilà, le constat fait en décembre 2007 par une vingtaine d’associations dans leur appel « Service civique des jeunes ; il était temps ! ». Le volontariat associatif, justement, ce sont des jeunes (de 16 à 25 ans) qui consacrent six, neuf ou douze mois de leur vie à s’engager dans des « missions d’intérêt général », en échange d’une petite indemnité (environ 600 € par mois). Ca fait chaud au coeur et apparemment, ça ferait aussi beaucoup d’heureux.
Selon une étude d’impact, réalisée auprès des jeunes qui ont effectué un volontariat à Unis-cité, 97 % sortiraient satisfaits et épanouis à tous les niveaux : « personnel, citoyen et professionnel » (2) ; les associations bénéficient d’un apport en main d’oeuvre gratuite ; et l’Etat et les entreprises mécènes qui financent le dispositif, redorent leur image auprès de la jeunesse.
Le bon plan ?
Juste avant de se lancer sur le marché du travail, le volontariat apparaît comme le moyen d’obtenir une petite indépendance financière et une première expérience de terrain, tout en s’investissant dans un milieu qui apparaît comme porteur de sens, le milieu associatif.
Pour une ex-volontaire et salariée à Unis-cité, c’est aussi un « espace d’expérimentation » différent des stages et des formations habituellement proposées par le système éducatif. Cette fois, « le jeune est co-acteur de sa formation ». Marlène, 25 ans et volontaire à Lille, venait de terminer ses études et était à la recherche d’un boulot dans le domaine culturel lorsqu’elle a vu une annonce ANPE pour un volontariat. Aujourd’hui, elle s’est engagée dans une petite asso qui développe le slam et la littérature dans la région. « Pour ceux qui ont peu d’expérience, c’est intéressant ».
L’objectif final est donc « l’insertion professionnelle ». Toujours selon l’étude d’Unis-cité, 57 % des volontaires étaient à la recherche d’un emploi. Certaines associations ont déjà proposé à des volontaires de devenir salarié-es. Logique : « Pour eux, c’est bien d’avoir quelqu’un qui connaît déjà [l’asso] », explique une volontaire. Période d’essai avant de bosser dans un milieu déjà précaire ?
A Unis-cité, heureusement, on ne laisse pas les jeunes seuls face à leur « projet d’avenir »... Dans le cadre du droit à la formation, on les prépare à maîtriser les « techniques de recherche d’emploi » et on leur propose des « suivis personnalisés ».
Les asso crient famine
« Les volontaires, ça a fait beaucoup de bien à l’asso » souligne Virginie, 24 ans, volontaire à l’AFEV, asso qui organise un accompagnement éducatif auprès d’enfants en difficulté. Face au désengagement de l’Etat et des collectivités territoriales, et à la disparition des contrats aidés, les associations se tournent désormais vers le volontariat. Une fois agréées par l’Etat, certaines d’entre elles se voient financer l’accueil d’un nombre défini de volontaires. Dans la région, ce sont 172 jeunes qui se sont engagés à Unis-cité sur la période 2007-2008 et 50 pour l’AFEV.
Hélas, « les besoins sont bien plus grands que ça », déplore Jean-Denis, salarié dans une association de Roubaix. Le dispositif ne permet actuellement pas de venir combler les besoins des associations. La revue Associations mode d’emploi (3) explique que c’est surtout « le secteur de l’animation, de l’éducation populaire et de la jeunesse [qui] était fortement porteur de cette revendication de donner naissance à un nouveau statut », à savoir le statut de volontaire associatif. Après les contrats précaires, voici venue l’ère du statut de salarié-bénévole !
À l’origine était le Service
En 1997, on croyait en avoir fini avec le devoir du don de soi à la Nation, mais il ne fallait pas perdre espoir... Novembre 2005, les émeutes de banlieues donnent l’occasion à Chirac, de trouver une idée pour occuper les jeunes : le service civil et non plus militaire ! Inspiré des objecteurs de conscience, ce dispositif existait déjà dans d’autres pays et dans quelques associations françaises (dont Unis-cité), mais il ne bénéficiait pas de la reconnaissance étatique.
En 2006, naît l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE) dont une des missions est de promouvoir la création et la généralisation du « Service Civil Volontaire » (SCV). Unis-cité est désignée « structure de promotion » du nouveau statut et montre l’exemple à d’autres asso qui l’adoptent rapidement (AFEV, Animafac, CEMEA, Croix Rouge Française, UFCV, UNEF, etc.)
Mais, depuis décembre 2007, « c’est le black out total ! » rapporte Jean-Denis. L’ACSE n’accorde plus aucun agrément. Des rumeurs circulent en attendant les déclarations du Secrétaire d’Etat, Bernard Laporte. Fin des financements et disparition du dispositif ? Ou préparation d’un service civil obligatoire pour tous ?
Bientôt le SCO (Service Civil Obligatoire) ?!
Le Service pour tous... Les présidentielles avaient été l’occasion d’en parler. Bernard Khouchner avait notamment remis à Ségolène Royal un projet costaud de « Service Civique Universel ». Une fois la vague des promesses électorales passées, le gouvernement annonçait l’instauration prochaine d’un service obligatoire de 100 jours. Dans leur appel, les principales associations concernées par le dispositif soulignaient, elles aussi, « l’urgence de rendre cette étape de vie incontournable dans la vie de tous les jeunes, d’en faire un élément clé de leur éducation citoyenne ».
Bientôt obligé-e de déserter ? Une employée d’Unis-cité se veut rassurante : « un jeune coûte environ 900 euros par mois à l’Etat », impossible donc de le rendre obligatoire maintenant. Et si le statut était amené à disparaître ? « Unis-cité existait avant le loi de Chirac [...], si les subventions de l’Etat diminuent, [l’asso] fera appel aux subventions privées. » Ouf ! Rappelons, qu’à l’heure actuelle, Unis-cité vit en partie grâce aux mécénats de fondations d’entreprises telles que Gaz de France, Veolia, ou... Kronenbourg (plus de 20 % de son budget).
Espèce de bâtard !
Concrètement, comment ça se passe ? Le jeune a le choix ; soit il s’engage directement auprès d’une association pour y travailler, soit il choisit de passer par une association spécialisée qui s’occupera de choisir à sa place les missions et les associations qui l’accueillent. C’est ce qui se passe à Unis-cité. Les volontaires sont regroupés par équipe de huit. Chaque équipe doit réaliser des projets au sein de plusieurs associations : par exemple, un chantier nature dans un jardin communautaire, une émission de radio pour un Point Information Jeunesse, une animation sur le thème du développement durable dans un centre social, etc.
Chaque volontaire est lié à la structure qui l’accueille par un contrat, pour une durée déterminée, l’empêchant de cumuler tout autre statut (salarié, allocataire de minima sociaux... sauf étudiant), « sans être [néanmoins] soumis au lien de subordination propre aux salariés » (3). Et là, c’est le flou artistique : le statut de volontaire est un statut de droit privé, le droit du travail ne s’applique donc pas. Mais alors, quid de la durée hebdomadaire du volontariat ? Quid de l’application d’éventuelles conventions collectives ? Nada.
Sous-salarié ou sur-bénévole ?
Si les associations doivent assurer le minimum aux volontaires (protection sociale, cotisations pour la retraite, congés), on trouve de tout dans les contrats qu’elles proposent. Des indemnités qui varient entre 560 et 650 euros par mois. Des horaires allant jusqu’à 35 heures par semaine, auxquelles il faut ajouter des heures de transports pour se rendre d’un projet à l’autre.
Pour Virginie, le volontariat représente de toutes façons bien plus que les 27 heures hebdomadaires inscrites sur son contrat. « Tu t’engages parce que tu crois en certaines choses. [...] Les heures supplémentaires, je ne compte pas. » Personne ne compte d’ailleurs. Les heures supp’ ne sont évidemment pas payées. Si pour certain-e-s, cela ne pose pas de problème, on peut bien sûr craindre des dérives...
Ainsi, on trouve le comble du volontariat dans le contrat d’Unis-cité : des sanctions financières pour toute absence injustifiée... « de 2 à 4 journées dans le mois : retrait de 75 euros », au-delà : « retrait de 150 euros ».Mais c’est bien connu, les jeunes, il faut les cadrer !
La revue Associations mode d’emploi résume la situation : « Une tournure qui prend bien plus l’aspect d’un sous-salariat que d’un bénévolat régi par la liberté de l’engagement ». A missions, responsabilités et niveaux de contraintes équivalents, pourquoi embaucher quand l’Etat met à disposition une ribambelle de jeunes serviables ?
Mixité sociale et sélection naturelle
Du point de vue des volontaires, tels que Marlène, le SCV est censé fonctionner comme « un tremplin ». Une étape théoriquement épanouissante pour toutes et tous, le principe de « mixité sociale » étant là pour le garantir... Faire se rencontrer des jeunes de milieux différents, pour qu’ils s’unissent et s’élèvent les uns les autres, autrement dit : que les jeunes de bonne famille apprennent aux jeunes pauvres à se tenir en société. C’est beau !
Des structures comme Unis-cité ont instauré une sorte de système de quota pour concrétiser ce rêve. Dans chaque équipe de volontaires, on trouve un peu de tout : un Blanc, un Noir, des riches et des pauvres, avec ou sans-diplôme (et la « compatibilité des caractères » compte aussi). Il faut que ça ressemble un minimum à la pub façon Benetton que l’on trouve sur le site de l’Acsé !
Mais dans la pratique, tout le monde ne tient pas le coup. Bien que l’ACSE nous assure « qu’aucun niveau de formation et d’expérience n’est exigé pour accomplir un service civil », en réalité, pour aller jusqu’au bout, quelques capitaux sont de bon augure. Parmi les volontaires qui quittent l’aventure avant la fin, il y a celles et ceux pour qui les finances ont posé problème, mais aussi qui n’avaient pas les bagages nécessaires pour effectuer certaines missions (maîtrise des outils informatiques, élaboration d’un rétroplanning, etc.). Etrange sélection naturelle pour un plan de « cohésion sociale »...
Civisme vs citoyenneté
Mais pour rattraper le coup, la Charte du SCV instaure un droit à la formation (obligatoire), et notamment aux valeurs civiques (4). Alors, « allons enfants... », les volontaires assistent à trois « journées citoyennes » par mois, organisées par chaque asso selon ses envies : du retour sur les notions d’instruction civique aux interventions d’asso qui luttent contre le racisme, pour les droits de l’Homme et le développement durable, etc. Si la forme peut varier (ateliers, théâtre-forum, cours magistraux), le contenu fait souvent consensus et la confusion règne... Au fait, on y parle de citoyenneté ou de civisme ?
Dans l’appel lancé par les principales asso prônant la généralisation du dispositif, on lit : « développer le civisme est un réel enjeu de société ». Mais alors, citoyenneté ou civisme, peu importe, pourvu qu’on leur apprenne à respecter l’ordre social ? Ou plutôt « comprendre et [accepter] les règles de la vie en collectivité » comme le propose la Charte ? En tout cas, certainement pas chercher à comprendre, participer, prendre position dans les conflits sociaux qui pourraient exister (5) ?
Bien sûr, tous les volontaires ne sont pas dupes. Certain-es allient leur engagement à un esprit critique et militant. C’est d’ailleurs ce qui avait mené, en 2006, quelques un-es à créer une sorte de petit syndicat au sein d’Unis-cité. Décédé, ce collectif aura au moins porté une critique là où on ne l’attendait pas, c’est-à-dire au beau milieu de l’apparent consensus. Et si « s’engager contre le SCV » était aussi un acte citoyen ?
Dossier réalisé par deux ex-volontaires, SH et M-HF
1. Appel « Service civique des jeunes : il était temps ! » signé par une vingtaine d’associations (en ligne sur le site de l’AFEV )
2 : Etude réalisée en interne (donc pas vraiment indépendante) par une sociologue pour l’association Unis-Cité. Les premiers résultats sont parus début 2008. (unis-cite.
3 : Associations mode d’emploi, novembre 2006
4 : Titre IV de la Charte (en ligne sur lacse.fr)
5 : Dictionnaire collectif de la Langue de Bois et des concepts opérationnels (scoplepave.org)
Volontaires partout et pour tout
Si un jour, par hasard, te vient l’envie de t’engager dans un volontariat, sache que tu as le choix. Et oui, l’Etat a tout prévu... Y’en a pour tous les goûts !
Envie de voyager et de sauver le monde entier ?
Tu peux choisir :
¤ SVE (Service Volontaire Européen)
¤ VIA (Volontariat Civil International en administration)
¤ VIE (en Entreprise)
¤ VSI (Volontariat de Solidarité Internationale pour les missions humanitaires).
Envie de t’investir sur place, pour ta té-ci ? Des associations ou des organismes publics de ta ville sont prêts à te faire faire des tâches utiles au sein d’un Service Civil Volontaire (SCV).
Besoin de préciser tes choix ? Rends-toi sur les sites de propagande du volontariat : le CIVI et l’Acsé.
Unis-cité, machine à uniformiser les jeunes
Trois étudiantes de l’ESSEC créent l’association Unis-cité en 1994, en Ile-de-France. Avec le financement exclusif d’entreprises privées et de fondations (telles que ADECCO ou Mac Donald), elles mettent en place un “Service volontaire des jeunes pour la solidarité”, en vue de donner naissance à une « génération volontaire »[sic]. « L’objectif est de multiplier l’expérience et de permettre chaque année à de plus en plus de jeunes de s’engager ». En dix ans, Unis-Cité annonce avoir « mobilisé » près de 1000 jeunes sur plus de 400 projets.
Actuellement, l’asso est présente dans plusieurs régions de France, et malheureusement dans le Nord-Pas-de-Calais où elle compte quatre antennes (Lille, Lens, Dunkerque et Valenciennes).
Moins de 25 ans ?
Dommage, tu n’as pas le droit au Revenu Minimum d’Insertion. Et comme le Revenu Universel n’existe pas - et n’existera sûrement jamais - démerde-toi pour exister !
Petite astuce tout de même : il existe le RMI couple. Pour cela, il suffit de déclarer que tu es en couple avec un-e RMiste et tu auras droit toi aussi à des allocations.
Principe n°1 :
L’idéalisme en action
« A Unis-cité, nous fondons notre action sur la conviction que de simples citoyens ont la capacité de changer le monde, tant est qu’ils unissent leurs énergies dans un effort organisé. » (Principe d’action inscrit dans la Charte de l’asso)
Matraquage
et détraquage
des mots
La langue de bois semble plus forte que tout et - le SCV le prouve - elle parvient à s’immiscer avec force dans le milieu associatif... Elle est une véritable épidémie dans la campagne de communication : redondance des concepts regorgeant de valeurs altruistes, tels que « bien commun », « intérêt général », « sens civique », et verbes efficaces comme « agir », « servir » ou encore « développer ». Des mots qui sonnent « justes » pour le public visé. Dans le top 10, petit échantillon ci dessous.