Le plan hôpital 2007 fait glisser un peu plus le milieu hospitalier sur la pente du démantèlement et de la privatisation. Dans la continuité du plan Mattei 2002 qui entendait sauver l’hôpital public, ces plans nous rappellent que pour le gouvernement la santé est un secteur qui doit s’ouvrir à la concurrence. Après l’hôpital général, c’est au tour de la psychiatrie d’entamer sa restructuration.
À Lille comme ailleurs la Communauté Urbaine fait la part belle au privé en créant des Zones d’Activités Concertées public privé. Pour l’Etablissement Public de Santé Mentale de l’Agglomération Lilloise (Cf. encart epsmal), qui gère l’ensemble de la psychiatrie sur vingt communes, la mise en œuvre des réformes s’accélère sérieusement, au profit de l’Institut Catholique de Lille.
Un plan nosocomial
Tarification à l’acte, nouvelle gouvernance, mise en concurrence, partenariat privé public « la volonté du gouvernement dans le cadre du plan hôpital 2007-2012 est d’attaquer le secteur public, de dire que le privé lui est supérieur pour privatiser le système de santé » explique Vladimir Nieddu, délégué sud santé. Le privé serait moins cher pour l’Etat ; mais à quel prix ? « Le privé ne prend pas en charge les hospitalisations d’office, ni les hospitalisations sous contraintes. Il ne prend que des patients choisis. Comme les activités des CMP (1), de prise en charge à domicile, ne rapportent pas, aucune clinique privée n’a aujourd’hui de structures de territoires pour ces activités. Ce qui les intéresse, ce sont les hospitalisations : une bonne cure de sommeil avec un minimum de personnel et de prises en charge. » Chronique d’une mort annoncée, celle de la psychiatrie publique lilloise.
Le démantèlement tranquille
Dans le cadre de la réorganisation des services psychiatriques sur le territoire, les syndicats et les professionnels, en lien avec l’unafam (Union Nationale des Amis et des Familles de Malades Psychiques) s’inquiètent du devenir de leur pratique. La délocalisation de 40 lits dès avril 2008 à l’hôpital d’Armentières sème le doute sur l’avenir de la psychiatrie publique lilloise. Maryse Fourdraine, infirmière en psychiatrie en consultation médico-psychologique de Lambersart, voit ses craintes renforcées : « le nombre de lits du secteur public diminue fortement, et dans le même temps, le nombre de lits dans le privé augmente de façon très importante. » La traduction pour les malades c’est une augmentation des coûts, sans que le choix du public puisse persister.
Le recul psychiatrique
Ce déplacement de lits à l’hôpital psychiatrique d’Armentières a des conséquences directes pour les personnes hospitalisées à Saint-André, qui voient leur lieu de prise en charge s’éloigner. Une grande première en psychiatrie, puisque la tendance jusque-là était de développer la proximité. V. Nieddu explique : « Dans l’histoire de la psychiatrie, il y a toujours eu - à peu près - un établissement pour un département, avec des départements très peu couverts. A Saint-André, il y a 30 ou 40 ans, on hospitalisait pour le Pas-de-Calais. Puis il y a eu une politique de rapprochement des populations pour que l’activité psychiatrique soit à proximité des lieux de vie des patients, et ce, également, pour que soient prises en compte les problématiques de la vie quotidienne. C’est l’objectif de la psychiatrie depuis 1960 : rapprocher les lieux d’hospitalisation et les lieux de vie. » Aujourd’hui pour la première fois, on va en sens inverse.
Constat d’impuissance
Il y a eu d’abord l’échec du mouvement social : depuis l’annonce du plan hôpital 2007, les hospitaliers ont manifesté, signé des pétitions, en vain, et presque dans l’indifférence générale. « On n’arrive pas à faire décoller le mouvement ; on espérait l’étendre, mais on est resté isolé sur notre établissement. On se demande comment sensibiliser les gens » déplore M. Fourdraine. Pourtant « quand on parle de santé publique, ça regarde tout le monde. On se demande pourquoi les gens ne bougent pas avec les franchises [médicales ndlr] également, on subit des attaques […] on voit bien que sur le 59G20 2 on impose aux patients un éloignement anormal, et que c’est valable dans plein d’autres régions en France. » Autre constat, qui résulte des pressions de la hiérarchie et des cadres « qui ne sont plus que des gestionnaires » : l’essoufflement gagne du terrain dans les services. Les jeunes et les nouveaux « ont les pétoches, ils ne bougent pas. Ils sont menacés parfois directement. » Aujourd’hui c’est au tour du conseil d’administration de l’epsmal, qui a voté contre le projet, de se retrouver au pied du mur : les nouvelles lois hospitalières et la « nouvelle gouvernance » - axe majeur du gouvernement dans le plan hôpital - donnent plus de pouvoir au directeur de l’Agence Régionale d’Hospitalisation (voir ci-dessous) qui peut passer outre cette décision. L’opposition réelle ou opportuniste, temporaire ou permanente, des maires de Saint-André, Lomme, et Lambersart ne pèse pas lourd non plus semble t-il.
Les cathos sont dans la place
L’éloignement géographique constitue un recul inédit en psychiatrie, mais pour l’intersyndical cela marque également un point de non retour et une étape vers un démantèlement de plus grande ampleur. Le Centre d’Accueil et d’Admissions des services psychiatriques de Lille, géré par l’epsmal, va lui aussi être délocalisé. La nouvelle unité sera construite sur un terrain de Saint Vincent de Paul qui dépend du GHICL (3) (Cf. encart). Une proximité géographique qui inquiète car elle faciliterait toute privatisation à venir. V. Nieddu en est sûr, les statuts du personnel hospitalier vont évoluer très rapidement : « on modifiera les statuts dans le sens de la mise à disposition du personnel aux structures privés. » Une seconde étape qui concrétiserait alors un cadeau financier : « c’est ce qui coûte le plus cher, la journée d’hospitalisation » mais aussi un cadeau stratégique : « c’est la porte ouverte à toutes les entrées et toutes les sorties du secteur lillois. On a vraiment des grosses craintes, on a peur d’être avalé par le privé » explique M. Fourdraine.
La part belle au privé
La tendance est à la gestion par le ghicl de la quasi totalité de la psychiatrie lilloise. Ce qui se passe sur à Lille est représentatif de la « dynamique générale de privatisation de l’hôpital public ; partout à travers la France on a la même explosion de la psychiatrie publique au profit du privé. » dit V. Nieddu. Ce que redoutent les salarié-es c’est « la création de pôles public privé » et la multiplication « des cadeaux pour la faculté catholique ». Et justement : le projet d’un pôle hospitalier à Capinghem, dont les terrains ont été alloués avec la bénédiction de la Communauté Urbaine De Lille à la faculté catholique, conforte ces inquiétudes. Décrit par V. Nieddu comme « un cadeau politique » [et financier ndlr] les conditions d’attribution - à prix d’amis - du terrain et le devenir du projet reste flou : « le ghicl achète des terrains avec une aide de la Communauté Urbaine, à 14 ou 17 euros le mètre carré. Leur objectif affiché est de viabiliser le site et de le revendre. Ils devraient le vendre à l’hôpital d’Armentières, mais c’est loin d’être certain… On sait que le ghicl aime bien louer. » En effet, l’epsmal lui-même louera à Saint Vincent 360 000 euros par an l’unité de Centre d’Accueil et d’Admissions sur le site de Saint-Vincent de Paul « alors que [le secteur public ndlr] a tout ce qu’il faut pour gérer cette activité. »
Certaine incertitude
Présentée comme une révolution urbaine, la Zone d’Activité Concertées de Tournebride, située à Capinghem, à proximité de l’hôpital Saint-Philibert, doit « multiplier les entreprises et faire doubler la population. » Une opportunité selon le maire de Capinghem Dominique Verfaillie (5), qui vante cette implantation comme un projet « sans équivalent dans la métropole ». Il raconte à la presse locale comment « tout a commencé en 2002 par les premiers échanges avec la Catho […] nous avons eu un comité de pilotage avec LMCU (6) ». Le même Dominique Verfaillie déclarera par la suite au sujet du regroupement de l’epsm d’Armentières et du secteur 59G20 : « il n’en est absolument pas question, je m’oppose fermement à toutes tentatives faisant aboutir cet éventuel projet » (7) et déplore un manque de consultation des élu-es. Un comble pour les syndicats qui prennent la nouvelle comme la suite d’un « mauvais film » et alimentent les zones d’ombre du projet. Ces politiques de démantèlement sont « complètement cachées, il n’y a rien de transparent. C’est inacceptable et anormal que ceux-là même qui travaillent à l’hôpital ne sachent pas comment va évoluer cette organisation, et c’est pareil pour les patients. » Les syndicats réclament la transparence sur ce dossier et une table ronde sur le devenir de la psychiatrie dans la métropole lilloise.
Lille sanctifiée !
Par ailleurs, l’implantation sur ce site « n’est pas un petit projet pour le Vatican ». En effet, Mme Lebrun présidente du GHICL est aussi présidente de la FUPL (Fédération Universitaire Polytechnique de Lille) qui regroupe les écoles privées de Lille. Pour V. Nieddu « il y a là un enjeu idéologique important. La faculté de médecine catholique forme 50 médecins par an, ce n’est rien à coté de la faculté de médecine de Lille, qui forme 95% des toubibs de la région. Tout ça nous fait dire qu’il y a derrière tout ça l’objectif de maintenir [et développer ndlr] un pôle privé universitaire. » D’ailleurs la clinique Saint Vincent de Paul participe déjà à la formation des internes en psychiatrie de la faculté publique. Les infrastructures jouant un rôle majeur dans le contrôle du territoire, les hectares de Tournedride sont d’une importance capitale. « On en est au stade du projet, et on n’y voit pas très clair » regrettent M. Fourdraine et V. Nieddu, mais « la délocalisation du 59G20 sur Armentières laisserait deux possibilités : soit le maintien sur Armentières, soit la délocalisation complète de l’epsm d’Armentières sur Capinghem, avec à terme le risque de son intégration au Groupement Hospitalier de l’Institut Catholique de Lille. » Ce rattachement placerait la psychiatrie lilloise au main de l’Institut Catholique. Or si on en croit François Caplier secrétaire général de l’epsmal (8) : « Quatre secteurs de l’epsm d’Armentières et le G20 seront accueillis, a priori d’ici 2012, à Capinghem. Le projet a été validé par l’Agence Régionale d’Hospitalisation, et il n’est pas question que le 59G20 reste à Armentières. » La décision semble donc d’ores et déjà actée. Ce qui semble évident, c’est que le personnel « n’a plus de droit de regard, ni de pouvoir sur son devenir. » Les patient-es, eux, n’en ont jamais eu…
Salade salariale sauce précaire
Le rapprochement des structures public privé est une facette de la désintégration prochaine des services publics. L’inquiétude pèse également sur les emplois. « Quand il y a suppression d’emplois dans la fonction publique […] les premiers qui prennent ce sont les contrats précaires. Ils sont extrêmement nombreux. Plus ou mois 10 % du personnel. » affirme V. Nieddu. Les salarié-es notent également une « modification du recrutement » qui cible « uniquement des gens précaires, pas à même de réagir immédiatement ; on embauche des intérims pour 3 à 6 mois, et c’est facile de ne pas renouveler le contrat. Les gens ne sont pas encore intégrés dans les collectifs de travail ou les luttes sociales, donc ce ne sont pas des gens qui viennent se plaindre. » Mais les emplois les plus directement menacés sont les emplois de logistique. Une activité colossale déjà en cours de démantèlement qui comprend les services de blanchisserie, de restauration, de nettoyage. Sharko l’a clairement exprimé. Le directeur d’hôpital doit « pouvoir décider librement de transférer au secteur privé des activités logistiques qui ne sont pas au cœur des missions de l’hôpital. » (9) Notons au passage qu’Attali propose leur privatisation expresse dans son récent rapport sur la relance de la croissance… A propos des statuts d’agent public, le pire est envisagé : « suppression et licenciement. » Aujourd’hui déjà « beaucoup de titulaires ne sont pas remplacés. Et on ne perçoit pas l’ensemble de la réforme de Sarkozy. Son objectif, avant les élections [présidentielles ndlr], c’était quand même de remplacer la sécurité sociale par un système assurantiel privé. »
Paremski
1. Consultation Médico-Psychologique.
2. Secteur de l’epsmal regroupant les communes de Lomme, Lambersart. Lompret. Saint-André, Verlinghem.
3. Groupement Hospitalier de l’Institut Catholique de Lille.
4. Communauté Urbaine De Lille.
5. La Voix Eco le 12/02/2008 http://www.lavoixeco.com/
6. Lille Métropole Communauté Urbaine. Ancien nom de l’actuelle cudl.
7. La Voix du Nord le 05/03/08
8. La Voix du Nord le 13/12/07
9. Discours de Bordeaux le 16/10/07.
L’epsmal
Il regroupe sur un secteur donné un ensemble de structures d’hospitalisation telles que Lommelet et Ulysse Trélat sur Saint-André, Lucien Bonnafé et la Clinique du Nouveau Monde à Roubaix ; la clinique Jean Varlet à Villeneuve d’Ascq. L’EPSMAL est également présent sur vingt communes avec 86 structures d’accueil ou de soin.
ghicl
Composé de deux établissements : l’hôpital Saint-Philibert et l’hôpital Saint-Vincent de Paul. Le Groupe Hospitalier fait partie intégrante de l’Institut Catholique de Lille. Source : www.ghicl.fr
Agence Régionale d’Hospitalisation
L’Agence Régionale de l’Hospitalisation a une triple mission : définir et mettre en oeuvre la politique de l’offre de soins hospitaliers, analyser et coordonner l’activité des établissements de santé publics et privés, déterminer leurs ressources. Source : www.parhtage.sante.fr