Arrêtée en janvier et toujours pas jugée, Isa écrit son incarcération à la prison de Sequedin.
Le 23 janvier 2008, Isa et Farid (surnoms) sont arrêtés à Vierzon en possession de manuels de sabotage et de fabrication d’explosifs, de plans de la prison pour mineurs de Porcheville (disponibles sur internet) et d’« une petite quantité de chlorate de sodium ». L’ADN d’Isa, prélevé de force pendant une garde-à-vue de 96 heures, correspondrait à celui retrouvé sur des engins incendiaires sous une voiture de police en mai 2007 à Paris : ni une ni deux, l’affaire est instruite sous juridiction anti-terroriste.
Comme pour Ivan et Bruno (deux militants interpellés avant une manifestation contre les centres de rétention, voir La Brique n°8), l’affaire prend une dimension symbolique. Rattachés à une mouvance « anarcho-autonome » fantasmée par Dati et sa clique [1] comme un réseau terroriste, Isa et Farid font l’objet d’un acharnement judiciaire et carcéral (multiples transferts, placement sous haute surveillance, etc.).
Pour le ministère de l’interieur, tout est bon pour lutter et condamner sévèrement des individu.es suspectés d’avoir des liens « avec des ressortissants de pays tels que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Grèce et la Grande-Bretagne et [pouvant] afficher un soutien à d’autres mouvances terroristes ». Pressions psychologiques et physiques lors de gardes à vue prolongées, fichages ADN imposés et multiplication des perquisitions ne sont plus des mesures d’exception et pourraient venir renforcer la répression des mouvements sociaux.
Cette lettre a été écrite par Isa en mai 2008, elle venait de se faire transférer de la maison d’arrêt de femmes de Fleury-Mérogis à celle de Sequedin. Aujourd’hui elle se trouve à la prison de Rouen. Elle n’a toujours pas été jugée. Elle y dénonce également ces « transferts entre maisons d’arrêt et [ces] mesures d’éloignement arbitraire » qui comprometteraient « sévèrement [sa] défense ». Dans l’extrait ci-dessous, elle décrit la prison de Sequedin et les conditions d’incarcération.
« (...) Je rentrais dans un environnement en apparence plus sécurisé, lisse, propre mais glacial. De larges couloirs éclairés, ponctués de caméras sous des globes de protection, une petite cour sans âme sous vidéosurveillance, tapissée de goudron et cerclée d’une double rangée de grilles et de barbelés, une cellule munie d’une douche, d’une télé d’office et de 5 prises électriques (!)... Et pour peupler de fantômes cet espace morne, une rationalisation et discipline des mouvements, attachées à réprimer la vie dans ses moindres recoins. L’esprit du lieu a fort bien marié le confort et la propreté au service de l’ordre. Les flux et les effectifs sont réduits au minimum et strictement réglementés (3 tours de promenade pour 150 détenues, des activités limitées et à petit nombre). Les temps de promenade n’excèdent pas la limite obligatoire (1h15 par demie journée). Les échanges et solidarités entre détenues (à part les trafics de cachetons) sont particulièrement compliqués à mettre en œuvre dans une ambiance où la répression est diffuse (même un papier et un stylo sont interdits en cour de promenade)... Et à ne pas s’y confondre, si un service de buanderie est proposé c’est pour éviter le désordre et la confusion du linge aux fenêtres ; pour empêcher que les prisonnières puissent se « réapproprier » et détourner l’espace dans lequel ils survivent...
D’ailleurs dans cette nouvelle prison gérée en partie par une société privée (la SIGES -filiale de SODEXHO-) qui s’occupe du travail, la buanderie est le pôle d’activité essentiel pour les femmes. Je crois que 1,5 tonne de linge est traitée par jour, provenant des différents centres pénitentiaires de la région. Pour les hommes, il s’agit de la cuisine. Sur le même principe Séquedin fournit des repas en barquettes à toutes les prisons de la zone. Les salaires sont inférieurs à 200 euros pour les femmes (pour un temps plein), 100 de plus pour les hommes.
Depuis l’ouverture d’un EPM (établissement pour mineur) à Quièvrechain, le quartier mineur de l’établissement a été fermé. Aujourd’hui en travaux, il est en phase de devenir un quartier ultra-sécurisé. Alors l’ouvrage sécuritaire se poursuit aveuglément : une nouvelle file de barbelés vient d’être ajoutée au mur d’enceinte, les tuyaux souterrains d’évacuation des eaux ont été grillagés, etc... Je compare cette platitude pacifiée à l’ambiance de la Maison d’arrêt des femmes de Fleury qui a son histoire, ses luttes , ses évolutions, ses acquis... Et puis ce qui caractérise les vieux centres pénitentiaires comme les douches « collectives » ou la distribution d’eau chaude le matin... Le dimanche après-midi la promenade s’étend sur 3h avec une autorisation de « pique-nique ». Et jamais une surveillante ne poserait un pied dans la cour de promenade... En fait le front est plus présent dans l’absolu.
A Sequedin, c’est comme si la division et l’effacement avaient opéré. On entend rarement les détenues frapper sur les portes des cellules à l’unisson. Mais j’espère que le quartier des femmes se secouera dans l’avenir pour refuser la résignation, conquérir de nouveaux « droits » et libertés, ici et ailleurs. Et enfin, partout, mettre à bas ces lieux de l’enfermement. A l’heure qu’il est j’attends toujours, mais avec plus de confiance et avec une compréhension progressive des mécanismes qui tentent de nous gérer... La lutte continue ! »
[1] Dans un communiqué adressé, en juin, à tous les parquets de France