Le site Lille.indymedia.org c’est 5000 visites par jour [1], ce qui en fait le site d’informations militantes le plus fréquenté de la région. Appels à manifestation, rendez-vous d’action, infos sur le blocage des facs, la répression des réfugiés à Calais, les expulsions de sans pap’, de Roms, de squats : tout y passe, ou presque...
Le réseau Indymédia se crée en 1999 lors du contre-sommet de Seattle [2]. Depuis, 250 sites locaux ont essaimé à travers le monde, dont cinq en France. Les « principes d’unité » du réseau mettent l’accent sur des « relations non hiérarchiques et non autoritaires » au sein des groupes locaux, le refus de toutes formes de discrimination et une organisation horizontale et transparente : tous les Indymédia sont des collectifs indépendants définissant leur propre charte. Enfin, caractéristique essentielle du réseau, la « libre publication », permettant à tout le monde de proposer un article de façon anonyme.
« Be the media »
À Lille, la ligne est claire : « Le but c’est de rendre visibles les luttes sociales. C’est montrer qu’il se passe encore des choses, et que ça se passe de la même façon ailleurs, à Toulouse, Grenoble, etc. » La « convergence des luttes » et l’ancrage local de l’information sont également mis en avant. Concernant la modération [3] du site lillois, un article n’est visible dans le fil d’info que lorsqu’un membre d’Indymédia le valide comme conforme à la « politique éditoriale » [4]. À l’inverse des commentaires, visibles immédiatement et modérés a posteriori.
Ce travail demande beaucoup de temps [5] et peut parfois susciter des débats. « Il y a des articles que l’on a publiés, alors que d’autres Indymédia ne les auraient pas validés ». Où se situe alors la ligne politique ? « Trop réformiste ou pas assez révolutionnaire, ce n’est pas la question. Si l’article est clairement électoraliste, on le refusera. Mais cela ne veut pas dire que l’on refuse un tract du NPA. Si ça concerne les luttes sociales, même si on n’est pas forcément d’accord, on le publiera s’il n’y a pas d’éléments contraires à la charte. »
Inversement, « s’il y a un article qui est vraiment contre la lutte, qui va critiquer un moyen (...), on va en discuter bien sûr... Mais s’il s‘agit de critiquer une lutte globalement sans qu’il y ait un objectif de l’améliorer, cela n’a pas sa place sur Indymédia ». Les choses peuvent aussi se faire naturellement : « On a rarement des tracts du PS ! »
L’exercice de la modération...
Parfois, cela se complique : « Ce qui pose le plus problème, c’est le conflit Israëlo-Palestinien, sans le moindre doute ! Dès que tu as la moindre ambiguïté sur un article, il faut être méfiant. » Autres sujets sensibles : la police. « Quand a-t-on le droit de traiter des gens de « fascistes ? » ou de dire : « la France de Pétain on lui obéit ou on la combat ? » » L’assimilation ou pas d’un article à de la publicité fait aussi partie des nombreux litiges inhérents à certains sujets.
Écarter des articles suscite souvent des réactions : « On s’est déjà pas mal fâchés avec des gens qui ont eu des articles refusés... » Mais finalement, le nombre d’articles rejetés est faible, de 10 à 20 %, dont une grande partie pour cause de doublon. « Il y a un nombre assez restreint de gens qui savent se servir de l’outil Indymédia. Si l’on enquêtait pour connaître le nombre de personnes qui publient la majeure partie des articles, on serait peut-être déçus. Forcément, ceux-là connaissent les règles de la publication ». En revanche, les suppressions de commentaires sont courantes, et ne sont pas toujours comprises par les internautes : « On se fait pas mal cracher dessus... »
Sortir du milieu militant lillois ?
Malgré cette politique éditoriale plutôt ouverte, Indymédia n’est-il pas trop cantonné au petit milieu libertaire ? Non, estime le collectif. D’un côté, « si l’on s’attachait à une ligne strictement anarchiste, beaucoup de choses ne passeraient pas... » De l’autre, au regard du nombre de visites, cela dépasse évidemment la sphère anarchiste ou libertaire...
Malgré tout, le « milieu militant » et les luttes étudiantes y sont fortement représentés, et le collectif reconnaît que certaines luttes, comme les grèves ouvrières hors de la métropole, ne sont pas suffisamment relayées. « Partout où il y a une grève on devrait y aller pour présenter Indymédia. Mais on n’est pas assez nombreux... » Dans cette optique, le collectif est allé distribuer des tracts Indymédia lors d’une manif des métallos à Valenciennes, le 19 février 2009. « Personne ne connaissait... On n’a pas vu fleurir sur le site des articles sur les grèves dans le Douaisis, mais il y avait un intérêt de la part des gens. Faudrait que l’on arrive à faire ça plus souvent. » Car si le collectif doit rester dans son rôle de modérateur, ses membres se doivent de « connaître le milieu militant, d’être dans les réseaux, de prendre part aux luttes sociales locales ».
Répression policière
Bien entendu, l’État et sa police ne facilitent pas le travail. Il faut dire que les violences policières sont régulièrement dénoncées sur Indymédia, photos à l’appui. L’activité du site est donc particulièrement surveillée et les menaces judiciaires récurrentes : « Deux membres du collectif ont déjà eu des procès. Et il y en a toujours un sur le feu ». Le ministre de l’Intérieur est d’ailleurs à l’origine du 2ème procès intenté à Indymédia Lille en 2004, pour insulte et diffamation, à propos d’un article traitant de la violence des CRS calaisiens lors de rafles de réfugiés. Mais Indymédia Lille est un collectif anonyme et horizontal... « Les flics se sont donc acharnés à essayer de trouver un directeur de publication. À force d’enquêter, ils ont trouvé quelqu’un qui faisait partie du collectif ». Il a été relaxé [6], mais « cette affaire a duré deux ans et demi, on avait ça au-dessus de la tête, avec un risque de 50 000 euros d’amende ».
Les serveurs d’hébergement ont aussi été saisis par la police. Ainsi en 2004, un serveur anglais qui loge plusieurs sites Indymédia est confisqué : le site de Lille doit alors fermer quelques jours. Récemment, un autre serveur a été saisi : « Peu importe que ça touche des dizaines de milliers de personnes, ils s’en foutent, ils y vont franco ». C’est pourquoi, à Lille comme ailleurs, la prudence est de mise : « Il a été décidé de mettre le site sur un serveur hors de la zone européenne, qui est sujette à des lois très liberticides imposant aux hébergeurs de conserver les moyens d’identifier la connexion internet de l’auteur d’un article ».
Si leurs réunions sont publiques, les membres du collectif tentent au maximum de rester incognito : « On n’est pas à l’abri de poursuites judiciaires. Et dans le jeu avec la justice, c’est d’essayer qu’ils ne nous trouvent pas ». Inutile donc de demander le prénom ou le nombre des personnes investies : « On est un certain nombre... ». En tout cas, les « cyber-activist-es » y sont les bienvenus pour lutter contre l’isolement des luttes sociales, qu’elles se déroulent dans les facs lilloises, une usine arrageoise ou une école de Vieux-Condé...
[1] Jusqu’à des pics de 18 000 par jour lors du mouvement anti-CPE.
[2] Lors du contre-sommet de Seattle, le site Indymedia.org atteint le million de visites par jour... Autant que les plus grands médias des USA !
[3] Concrètement, chaque membre du collectif valide ou non les articles et les commentaires depuis son PC. Lors d’un refus ou d’un article mis en débat, il en informe le collectif via la « liste de modération », accessible à tout le monde sur inscription, et les cas plus litigieux sont tranchés en réunion.
[4] « Les contributions exposant des éléments xénophobes, homophobes, racistes, âgistes, sexistes, révisionnistes, diffamatoires, théologiques ou mystiques, des amalgames relatifs au nazisme, (...) des publicités à but commercial ou électoral » - liste non exhaustive - sont refusées.
[5] Selon les modérateurs et modératrices ou l’actualité des luttes, cela peut leur prendre 1, 2 ou 3 heures par jour.
[6] L’auteur de l’article incriminé, de son pseudo Zetkin, qui multiplie les articles sur la brutalité des CRS à Calais (et donc les procès), a été condamnée à une amende. Elle avait été dénoncée (nom et profession) par Nord Littoral.