Compte rendu du procès d’Indymédia Lille (www.lille.indymedia.org) à Boulogne, pour une plainte du ministère de l’intérieur sur un sujet traitant de la chasse aux réfugiés sur Calais, mis en ligne sur leur site.
Independant Media Center (plus connu sous le nom d’Indymedia) est un réseau mondial de sites Internet. L’IMC est un média de « publication ouverte » (« Ne haïssez pas les médias. Soyez les médias »). Cela implique que des gens de tout public peuvent y porter leur contribution sur les sujets abordés, comme sur tout sujet jugé utile et contribuant aux luttes sociales. Sa nouveauté est de permettre aux réseaux politiques de trouver des infos fiables, car issues des militants et gens de terrain, habituellement biaisées si ce n’est carrément censurées dans les comptes-rendus des « grands » médias. Les sujets y sont, donc, très politiques (cf. encadré Mode d’emploi). Leurs opposant-e-s, une fois leur nez mis dans leur merde, sont nombreux, nombreus-e-s et farouches [cf. les commentaires de Stop La Grève, des sbires nazillons d’Sos-touts-petits, récemment]
Salam et C’Sur se mobilisent pour soutenir les migrants, précarisés par leur périple et par les conditions d’« accueil » de la France.
Calais est une zone très touchée par la question des migrations, car située aux portes du Royaume Uni. La ville est ainsi considérée par les migrants comme le passage vers une vie meilleure, une vie en livre sterling ou en dollar.
La police est utilisée par le gouvernement et les pouvoirs locaux pour « réguler » cet afflux. Elle s’en charge, seule, et à coups de matraque.
Chronique
Au printemps et à l’été 2004, les CRS sont venus aider la PAF (police aux frontières) de Calais à disperser et interpeller des immigrants, réunis dans un squat de fortune. Les associations de promotion de la liberté de circulation et d’installation, humanitaires et anti-racistes de la région se sont rejointes sur place, en tant que soutiens.
L’expulsion est brutale, d’une violence remarquable... et remarquée. Les comptes-rendus sur les sites d’Indymedia et Salam, fidèles à la situation vécue par les soutiens présents, ne mâchent pas leur mots pour décrire l’attaque de police, soupçonnée d’un racisme qu’on aurait déjà vu.
Pourtant, dès 2004, le chef des CRS porte plainte pour plusieurs messages parus. à cause du devoir de réserve qui la régit, c’est le Ministère de l’Intérieur en la personne de son ministre d’alors qui porte la plainte de la police. C’est néanmoins un vulgaire emmédaillé qui suit l’audience dans la salle, Villepin devait être occupé. La plainte transite en première instance par le TGI de Paris, reconnu finalement incompétent au profit du TGI de Boulogne-sur-mer, compétent sur ces questions, semble-t-il, calaisiennes.
A l’issue des délibérés, la liberté d’expression triomphe. On a le droit de qualifier la police française de fasciste lorsqu’elle se comporte comme sous le fascisme. On n’a pas le droit de dire que la police est nazie si elle ne l’est pas, et elle ne peut pas l’être : le nazisme est mort en 1945. Dont acte.
Au départ, 6 suspects usuels *…
poursuivis comme : auteur-e-s et complices de diffamation publique envers une administration publique, comme d’injures publiques envers une administration publique [extraits incriminés] :
« CRS miliciens », « petits esprits, cons et fiers de l’être », « police de Vichy », « vieux gros con congénères » (admis par les deux parties comme une faute de « frappe »), « Bravo la police (...) merci Villepin... », « chasse avec des bâtons », « facho », « débordants de haine »
« Chasse – partie » (pour Indymedia) ; et « simplement parce qu’il est noir », « il ne fait pas bon être bronzé dans les rues de Calais » (pour C’Sur / Salam).
Au final, verdict du 25 octobre :
¤ une condamnation, tout de même, pour une militante témoin des violences et rédactrice maladroite : 1501€ d’amende dont 500 avec sursis.
¤ une relaxe pour le modérateur d’Indymedia, et quatre relaxes pour les témoins militants de Salam et de C’Sur.
* Leur nom, par souci d’anonymat, a été ici modifié. Les pseudos d’Internet et les noms des avocats, non.
Querelles de robes et effets de manches pour parole dénudée.
TGI de Boulogne-sur-mer, le 18 octobre. (Extraits)
Me Maillard. [Orthographe incertaine. Avocat de la CRS-12 du Nord.]
« Il s’agit ici d’examiner une plainte pour faits de diffamation et / ou d’injure, et pas autre chose.
La liberté de parole, c’est mon métier, mais aussi mon inquiétude. On ne peut dépasser les limites de l’acceptable, en l’occurrence, comme le veut l’adage, la liberté d’autrui où s’arrête la notre. (…) Le raccourci maintes fois entendu « CRS = SS », la police en a marre. (…)
à rappeler : le droit de refus des ordres est récent, et donc pas encore forcément dans les habitudes des exécutants de l’Etat. Un CRS me racontait sa tristesse d’entendre parler de « rafles nazies », lui dont les parents sont morts à Auschwitz. (…)
C’est éminemment désolant. Imaginez ce que des enfants peuvent imaginer après ça en tombant sur le site [on imagine, oui, vaguement… merci pour eux]. C’est vraiment du pinaillage, et ça me navre. Le corps que je défends est une institution pénible. Il n’y a personne qui y milite, qui y défende de point de vue, à cause du devoir de réserve. (…) Il est dommage de n’avoir pas été un peu « carré ». (…) La CRS demande de l’argent, mais c’est important pour les mots. »
Procureur.
« On a des propos repris par des personnages mal intentionnés. On est face à une haine, qui me dérange personnellement, car elle fait référence au passé le plus douloureux.
Nous avons ici trop d’allusions à la 2ème Guerre Mondiale, il ne faut pas banaliser cela. Sinon, les générations futures n’y comprendront plus rien. (…) On ne peut pas comparer n’importe quoi avec les chambres de torture dans les petits matins blêmes (sic). Il faut se souvenir des gens morts pour notre liberté. (…) Voyons le Code de Procédure Pénale : « s’il n’y a pas d’intervention du modérateur : le devoir est de faire cesser le trouble, faire valoir les arguments comme un Directeur des Publications. Il a des pouvoirs », notamment celui de donjoniser. La nature injurieuse des messages postés impliquait pourtant bien le devoir de modérer. Le Ministère Public demande donc une condamnation, sous forme de peines d’amendes, une amende avec sursis (M. Durand*) et une amende de peine ferme (Mme Dupont*). »
Me Berthe [avocat de M. Durand]
« De quoi débattons-nous, ici ? Nous débattons de la question de l’immigration. Cette question est devenue centrale. M. le Procureur ne veut « pas banaliser » certains faits ? Mais de quoi parle-t-on ? On parle bien ici de Guinéens torturés, de Congolais violés, de Kurdes gazés.
En France, on vit dans une société démocratique. Je vous lis juste deux extraits, de la Cour Européenne des Droits de l’Homme :
« § 49 : La Constitution est un fondement essentiel d’une Démocratie. »
« § 2 art. 10 : (…) rendre compte des informations, même celles qui heurtent, choquent ». (…) Elle fait référence à l’arrêt Casteels [orthographe incertaine] : « § 46 : la liberté de critiuer est plus large concernant le gouvernement ». On doit donc ici débattre et réagir, ces gens en ont le droit, voire le devoir. La réponse dans ce débat, c’est alors la voie pénale.
(…) Il faut rester à de justes proportions, et IMC-Lille, c’est plutôt « les gauchistes parlent aux gauchistes », en terme de fréquentation, on n’est pas sur le site du Ministère de l’Intérieur ! (…)
On ne va alors pas pouvoir dire qu’on « me vole mon âme », M. le Procureur. Ici on reproche d’avoir publié des messages. Sur le reste, on n’a, je crois, pas d’éléments. M. Durand n’a jamais contesté co-gérer le site. La Justice n’a pas considéré le Directeur des Publications chez M. Durand. Les messages (des 23 et 24 juin) ont été « validés », non pas « publiés ». La nuance est la visibilité ou non du message. La difficulté d’Internet est dans la loi. L’art. 7 prévoit que l’hébergeur n’est pas obligé d’être souverain sur tout ce qui y figure. Il a pour tâche de réagir promptement à un contenu illicite, sous peine d’une amende. Sur les messages des 22 et 23 juin, la Justice permet d’être cohérente avec M. Durand : il doit être relaxé, ce qui va dans le sens de la jurisprudence. Avocat je le fais, j’espère le faire encore longtemps. »
Me Lequien [avocate de Mme Dupont alias Zetkin ] :
(…) Dans un rapport de force où la police et des citoyens sont concernés (…) Que peut représenter le procès de la police par rapport aux citoyens ? M. le Procureur, je me permets ici d’émettre un sérieux doute quant à l’« humanité » supposée de chaque policier…
Depuis 2002, pourtant, la police, pour se défendre, s’en remet systématiquement au juge. Il lui faut donc convaincre le Parquet de servir et fonctionner correctement. Aujourd’hui, ce serait la police la victime, selon le schéma juridique. On est en face d’une belle leçon d’humanité de la part du Parquet. (…)
Les accusations de lâcheté et d’outrage, d’outrance [marrant, comme écho : le proc, c’est Lesigne, celui de la triste affaire d’« Outreau »…] ne sont pas le moindre des paradoxes de mon confrère. La disproportion dans son appréciation est flagrante. On a une exagération, une pénalisation, de quoi ? De rien d’autre que d’aide au séjour. C’est en tout cas sur la base de la bonne foi de ma cliente que moi j’y crois. Le Ministère Public devrait s’y reconnaître, un de ces jours. Ses procédures sont devenues critiquables par leur disproportion. »
Me Berthe :
« Problème : l’injure et la diffamation sont de nature très différente. Il y a donc une erreur : on n’a pas le droit (loi de 1881 sur la liberté de presse) d’exercer la double qualification. » [ [marrant, « con » semble effectivement chaud à qualifier de diffamant, vu la difficulté à prouver le contraire !]
Me Maillard :
« Que “petits cons” soit une injure est bien exact [se marrent à deux], même si ce n’est pas diffamatoire. » [sic]
Procureur :
« CRS miliciens », les imputations sont plus particulières sur l’honneur des CRS .
(...) « On a des responsabilités, un citoyen se doit d’agir avec prudence, avec modération »
M. Pierre et M. Paul [deux militants de Salam et du C’Sur] :
« Le 5 novembre 2002, à la fermeture de Sangatte, il y a eu une manif réprimée dans une violence extrême. C’est l’origine de mon engagement. Moi je le referai encore aujourd’hui. »
« Quand les CRS m’ont vu, ils ont rangé leurs matraques. Je ne dis pas qu’ils allaient frapper, mais ils les ont rangées. »
Président et Mme Dupont :
« Plusieurs des mails diffamatoires sont signés « Zetkin ». Après de très longues recherches, on a découvert que c’était Mme Dupont. Elle a refusé de s’exprimer devant la police, alors, elle en dit quoi ? »
[Z. confirme être z. Elle ajoute :]
« Je les revendique [i.e. les messages], faut que je vous explique pourquoi ?
Non, ici ce n’est pas une tribune »
(…)
Le Président : “Alors, ces preuves [de bonne foi] ?
Zetkin : Dans les centres de rétention, parler semble dangereux pour les prisonniers ; on me raconte les coups portés, des exemples.
Pdt : Qui avez-vous rencontré ?
Z : Des gens dans le centre. On s’est parlé à travers la fenêtre grillagée.
Pdt : Et ces révélations justifiaient-elles d’écrire « chasse avec des bâtons » ?
Z : Mais c’est vrai !!
Pdt : Ah ?
Z : Je vous explique, par exemple dans la forêt avec un policier des RG.
Pdt : Vous avez vu des CRS chasser ?
Z : Non : d’autres, ils n’ont pas le courage de déposer. [ça fait 10 min qu’enfin le vieil assesseur suit]. Moi je ne suis jamais tombée sur un policier en train de frapper, mais c’est flagrant.
Pdt : Par rapport au terme de « miliciens » ?
Z : C’est la photo d’un homme iranien, prise cachée dans un buisson.
Pdt : Vous avez le droit de vous révolter, pas de diffamer.
Z : Je dois préciser qu’un CRS s’est fait calmer, que quelqu’un l’a vu.
Pdt : Vous avez des témoins cités ?
Z : Ben non.
Pdt : Message suivant, alors.
Le Proc [il souligne bien : « débordants de haine »] :
Me L. : Monsieur attention : on est sous le coup de la bonne foi. [dispute]
Proc [lit une vieille déposition] : « … pas moi qui l’ai vu mais mon appareil photo » ... pour une prof de CE1, on aurait peut-être besoin d’une remise à niveau pour mme Dupont ?? [sans légende…]
Z : il s’agit d’éloigner les sans papiers de Calais, afin qu’ils ne reviennent pas. Les CRS peuvent faire ce qu’ils veulent, c’est une démocratie ? L’un a dit « après les bastonnades, il ne reste plus qu’à les tuer » !
Pdt : Mais les migrants sont-ils capables de différencier les CRS des autres policiers ?
Z : Oui, désolée.
Pdt : Par rapport au terme « facho », ne s’agit-il pas plutôt d’abus de pouvoir ? Est-ce le diminutif de « fasciste » ?
Z : D’extrême droite.
Pdt : C’est injurieux ?
Z : Alors pourquoi je dirais ça ? C’est hallucinant !!
Pdt : Pour « vieux gros con - congénères », c’est aussi des « fachos » ?
Z : Non, ce n’est plus la même histoire.
Me M. : Nous voulons bien admettre que ce puisse être une faute de frappe, et enlever « con » congénères.
Pdt : Bien, vous reste-t-il des questions ?
Tous : Non.”
Indymedia—Lille, mode d’emploi
1) Les messages arrivent par Internet, en commentaire des articles ou en dépêche.
2) Ils passent ensuite en « zone d’attente ».
3) Ils sont lus par le public et par les modérateur-euse-s.
4) Ils sont validés par ces-dernier-e-s, ou
4’) ils sont invalidés dans le « donjon », au bout d’une semaine au plus, à l’époque des faits.
5) Les messages sont lus par le public, ravi ou non, ou
5’) les messages restent au donjon, oubliés de tous.
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