Entretien avec Gérard, de l’APU Vieux-Lille.
Au programme : lutte contre l’insalubrité, les expulsions et la spéculation.
Depuis deux ans et demi, l’APU siège au 14 rue des Tours. L’ancien local était insalubre. Après s’être bagarrés, la mairie leur met à disposition ces nouveaux locaux. « Mais [elle] ne veut pas être liée à l’APU ». Elle refuse donc de signer une convention de mise à disposition des lieux comme c’était le cas pour l’ancien local : l’APU n‘a pas de justificatif de domicile ! Mais d’après Gérard, ils peuvent toujours courir pour les déloger : « On fera comme d’habitude, on mobilisera, on sortira les banderoles sur la façade, on appellera la presse, etc ». Le deuxième étage et les combles sont inoccupés, ils ont donc souhaité héberger d’autres associations (comme Parcours de femmes ou Vacances Ouvertes), mais la mairie n’a pas donné de réponse, sans raison. Plusieurs fois, il souligne qu’à Lille, « c’est pas dans la culture de la mairie de travailler avec les habitants. L’époque Mauroy ou Aubry, ça n’a pas beaucoup changé ».
L’APU s’est créé en 1979, au début de la rénovation du Vieux-Lille. « Beaucoup d’investisseurs sont venus faire du pognon ». Désormais « les gens ont l’impression que le Vieux-Lille, ce n’est que bourgeois. Il y a de belles façades, etc, mais il y a encore des survivances du quartier d’avant. (...) Beaucoup de travailleurs maghrébins sont encore là, « les chibanis », qui ont été logés dans des chambres ». Pour certains d’entre eux, ils bénéficient encore de la loi de 1948, qui protège les locataires et leur garantit un faible loyer, « même si ce sont des logements insalubres et pourris ». Ils sont coincés ici : « Ils touchent une retraite de 700 euros, et s’ils retournent au pays, l’Etat diminue leur pension à 150 euros ! Comme leur santé est bien usée, ils restent une partie de l’année ici pour leur retraite et pour se faire soigner, et ils rentrent quelques mois au bled ». Gérard cite plusieurs exemples d’immeubles où ils sont logés : « des années que les proprios essaient de les virer ».
Le Vieux-Lille abriterait donc encore des prolos. C’est un document confidentiel de la mairie, récupéré par l’APU, qui le dit : un cabinet d’étude a recensé 36 % de ménages pauvres en 2004 [1]. Le document révèle aussi que 27 % des logements sont vacants (soit 2116) et 155 immeubles sont « vacants ou dégradés » ! L’APU contacte alors la mairie : serait-il possible d’avoir les études similaires réalisées sur les autres quartiers ? Le service habitat répond que « ce n’est pas pour vous, c’est pour les élus ». Ils interpellent M. Cacheux, « il ne répond même pas, il tourne la tête », tout comme Mme. Staniec [2]. « En tout cas, ils n’ont jamais contesté ces chiffres ». A Fives, en 1995, une enquête du CAL-PACT subventionnée par la mairie avait permis de recenser 303 immeubles vacants. Par la suite, en contactant chaque propriétaire, 221 ont été recyclés et 28 réhabilités en logements d’insertion par des bailleurs sociaux. « Pourquoi, avec des résultats pareils, ce travail n’a pas été réalisé dans chaque quartier ? On remettrait ainsi peut-être 2000, 3000 logements sur le marché ! Mais j’ai l’impression qu’ils ne veulent pas effrayer les propriétaires privés, surtout depuis Lille 2004 et Lille 3000 ». Avec les autres APU, ils ont donc décidé de faire ce travail eux-mêmes, rue par rue. Ils comptent déjà 20 à 25 logements vacants sur deux rues du quartier...
Pour Gérard, ces logements inoccupés sont à relier directement avec les problèmes d’insalubrité : « En remettant des logements sur le marché, cela baisse les prix, et les proprios véreux n’arriveraient pas à louer des logements pourris ». Le plan insalubrité de la mairie de Lille ? « On est passé de trois à dix inspecteurs (service hygiène municipal), mais on est loin d’avoir résolu le problème. Quand, sur arrêté de la préfecture le logement est enfin déclaré insalubre, il faut en sortir les habitants : le proprio doit reloger et s’il n’en n’est pas capable la mairie doit le faire. Mais celle-ci ne dispose que de trois logements-relais à proposer le temps des travaux, pour tout le territoire de la ville de Lille ! Elle peut aussi ordonner d’office les travaux, si le proprio ne les fait pas, et les mettre à sa charge : il existe un arsenal de lois contre l’insalubrité, mais on a l’impression que tout le monde s’assoit dessus ! »
La tâche est aussi immense en matière d’expulsions. S’il est sans-pitié avec les sans-papiers, le préfet Canépa n’a pas moins de scrupules envers les locataires endettés. Son prédécesseur faisait peu d’appels au concours de la force publique. Négociation avec le propriétaire, maintien dans les lieux voire relogement : « On arrivait souvent à trouver une solution ». Mais « depuis un an un virage s’est amorcé, le préfet n’hésite plus à signer pour l’expulsion par la force ». Ces derniers temps, l’augmentation est exponentielle à Lille : jusque 2004, seule une vingtaine avait lieu chaque année, en 2005 on en compte 36, puis 44 en 2006. Depuis début 2007, le chiffre explose : 120 concours de la force publique ont été signés par la préf’ sur le 1er semestre ! [3] Et ces derniers jours, cela s’accélère à nouveau : nombre d’expulsions sont prévues avant la trêve hivernale, le 1er novembre.
Mais il y a aussi de nombreux cas d’expulsions abusives, quand « le proprio fait justice lui-même ». « Neuf fois sur dix, la police ne bouge pas ». Pire, lorsque les locataires vont porter plainte pour violation de domicile, « ils refusent de prendre la plainte ! ». Gérard raconte qu’une fois il s’était déplacé avec une locataire dont le propriétaire était rentré chez elle en son absence. Il a fallu 15 jours de démarches pour qu’enfin le commissaire les appelle et avoue : « oui, on s’est trompés, elle peut venir déposer sa plainte ». Ce travail leur demande beaucoup d’énergie, et le plus rageant selon lui, c’est que la moitié des locataires abandonne les poursuites. A Fives, un propriétaire est venu défoncer la porte, il a frappé les locataires, dont un enfant. Le procès était gagné d’avance. Mais la locataire d’origine immigrée a eu peur et a abandonné. « Alors qu’on était sûr de gagner... et là le proprio rigole ». De même pour un locataire expulsé par un marchand de sommeil, venu avec deux molosses armés de couteaux... Cas exceptionnel : en décembre 2005 un propriétaire s’est fait mettre en garde à vue à Lambersart pour une expulsion illégale. Là, c’est l’APU qui rigolait.
Pour conclure, Gérard lâche que « le problème dans tout ça, c’est le rouleau compresseur de l’argent. Pour le Vieux-Lille, on a eu quelques petits succès, mais voilà, on n’a pas pu s’opposer ». Sur les sept jours précédents notre entrevue, deux expulsions illégales ont eu lieu, à Lille Sud et Saint-Maurice.
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L’APU Vieux-Lille compte deux salarié-e-s, contre cinq auparavant, car « ils n’ont plus aucun sou de l’Etat depuis deux ans ». Le budget est de 120 000 euros, les subventions venant de la Région, du Conseil Général, de la CUDL et de la mairie. Elle compte 20 à 25 militants actifs, avec un réseau de personnes en soutien. Pendant 15 ans, leur action était centrée sur le Vieux-Lille. Désormais ils se sont élargis à d’autres quartiers de Lille, à Tourcoing, Roubaix, Seclin, etc. Ils éditent un journal : « Le Canard du Vieux-Lille ».
Contact : 03.20.15.04.96
[1] Étude intitulée « Bilan mi-mandat – Habitat, quartier du Vieux-Lille », que l’APU s’est procurée en mai 2005. Une copie est reproduite dans Le Canard du Vieux Lille, n°53, nov 2006.
[2] Respectivement adjoint au Maire délégué à l’habitat, et adjointe au Maire déléguée à l’action sociale liée au logement.
[3] Ces chiffres ont été obtenus par l’APU auprès de la préfecture le 12 septembre. Ils concernent l’arrondissement de Lille. Pour le département du Nord, 164 concours de la force publique ont été signés en 2007. Alors qu’auparavant, la préfecture accordait 20 % des demandes d’expulsions de la part des propriétaires, pour 2007 ce chiffre est de 87%. Canépa a clairement choisi son camp !