Allumer le chauffage électrique, c’est mettre en branle tout une super-structure technique et militaire. D’une complexité tellement folle qu’on ne saurait en évoquer ici toutes les facettes. Alors prenons la première d’entre elles dans le cycle de production électronucléaire : l’extraction d’uranium dans le Nord-Niger.
En plus de vouloir refourguer des centrales EPR partout où c’est possible, Areva est en passe de devenir la 1ère entreprise mondiale d’extraction d’uranium. Grâce aux mines d’un des pays les plus pauvres du monde, et en dernière place du classement de « développement humain » [1], son chiffre d’affaires grimpait vers les 13 milliards d’euros en 2008. À la même époque, le PIB du Niger ne dépassait pas les trois milliards. On appelle ça du pillage organisé. Du pillage qui s’appuie sur le bon vieux savoir-faire colonial français.
Un siècle de domination
Dans le Nord-Niger cohabitent plusieurs peuples nomades, notamment des Touaregs. Jusqu’alors, ils vivaient au gré des saisons au-delà des frontières actuelles de l’Algérie, du Burkina, de la Libye, du Mali et du Niger. Dès 1906, l’armée française quadrille le pays, impose une scolarisation en français qui favorise d’autres schémas de pensée, et déstabilise les économies traditionnelles basées sur l’élevage et le commerce caravanier : un mode de vie particulièrement adapté aux sécheresses récurrentes et aux ressources en eau.
Dans les années 1960 avec la reconnaissance des États-nations, des frontières artificielles et arbitraires enferment le nomadisme des éleveurs. Les rythmes naturels et ancestraux sont bouleversés. Et le « développement » finit de tout saccager.
La ruée vers l’uranium
Depuis quarante ans, Areva exploite les mines d’Arlit et d’Akouté : deux villes militarisées, édifiées de toutes pièces dans le désert nigérien. En plus de quoi une mine de charbon alimente la centrale thermique nécessaire à l’extraction uranifère.
Photo tirée du dossier d’information "La malédiction de l’uranium. Le Nord Niger victime de ses richesses" publié par le collectif Tchinaghen. Voir ici.
Jusqu’à très récemment, les travailleurs des mines, qui viennent principalement du sud du pays, n’étaient quasiment pas protégés. Les tuberculoses et cancers du poumon y sont fréquents. À Arlit, Areva a construit un hôpital. Mais bizarrement, aucun cancer n’y a été détecté selon l’association Tchingahen. Les médecins préférant diagnostiquer le sida ou le paludisme.
Pour les besoins de l’extraction, Areva vide des aquifères millénaires qui servent à l’abreuvage du bétail et pollue pour des éternités cette eau destinée à la consommation ou au maraîchage. Dans les eaux d’Arlit et d’Akokan, la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD) a relevé une pollution radioactive dix fois supérieure à la norme admise pour la boisson. Les populations locales apprennent ainsi à digérer les phosphates, nitrates, fluor ou Radon 222.
Dernièrement, le Niger a accordé 139 permis de recherche d’uranium. Et Areva s’apprête à exploiter une méga-mine à Imourraren. Toute la région sera désormais colonisée par les sangsues de l’uranium, saccagée durablement, vidée de son eau et de ses populations autochtones.
Faudra pas venir chialer
Du coup, certains Touaregs qui n’ont rien compris aux délices de la fée électricité se rebellent. Contre le pillage d’Areva bien sûr. Mais aussi contre l’État nigérien qui les ostracisait pour des raisons plutôt ethniques.
Jusque 2009, le Mouvement Nigérien pour la Justice (MNJ) avait pris les armes. Mais depuis le dernier coup d’État, et l’engagement d’Areva d’embaucher 1 500 personnes, le feu a cessé. Des élections sont prévues en février et les jeunes qui s’entassent dans les bidonvilles après avoir fui un mode de vie devenu impossible nourrissent des espoirs d’une situation meilleure.
Selon Issouf Maha, réfugié nigérien et président de l’association Tchingahen, « toutes les puissances intéressées par le sous-sol nigérien ont intérêt à ce que la psychose d’une région aux prises avec les rebelles soit entretenue ». Et la dernière prise d’otages par Al Qaida de salariés d’Areva et Vinci nourrit cette psychose. Selon M. Maha : « Un scénario se met en place pour vider la région des ONG, observateurs et touristes. » Les Touaregs acculés à la misère et se défendant légitimement étant assimilés à des terroristes.
Un développement qui ne supprimera jamais la misère et les radiations
La revendication de stopper l’extraction d’uranium est minoritaire. Selon Issouf Maha, « on n’a pas la possibilité de s’opposer à la spoliation et aux pollutions. Le discours antinucléaire est minoritaire dans un pays aussi pauvre où la principale ressource c’est l’uranium. »
Parmi les revendications de la société civile et du MNJ, on trouve « le recrutement et la formation par Areva de toute la jeunesse de la région », une meilleure répartition des fruits de l’extraction uranifère, ou une plus grande « protection de l’environnement ». Autant de vœux pieux qui nous semblent hors d’atteinte depuis notre local lillois. Une industrie extractive propre et équitable, ça ne s’est jamais vu. Virer définitivement et sans négociation les colonisateurs semblerait une base politique peut-être moins utopique.
[1] Bien sûr, nous ne reprenons pas à notre compte cette locution (néo)coloniale de « développement humain » calculé par l’ONU à partir du taux d’alphabétisation et de scolarisation, du « niveau de vie » et de l’espérance de vie. Mettons-la juste en contradiction avec les mensonges d’Areva qui ambitionne « une croissance rentable, socialement responsable et respectueuse de l’environnement » pour le Niger. Allez voir ce site : collectif-tchinaghen.over-blog.com.